Où l’on retrouve la vigueur polémique de Voltaire concernant des thèmes qui nous concernent encore.

L’édition est établie par Jacques Van den Heuvel et les textes rassemblés dans ce recueil sont extraits de Mélanges, publiés dans la Bibliothèque de la Pléiade, établis et annotés par le même chercheur et préfacés par Emmanuel Berl (dernière édition, 1981). La collection « Folio Sagesses » concentre des œuvres de Cicéron, Épictète, Fénelon, Lao Tseu, Montaigne… chacune visant le déploiement d’une sagesse particulière (stoïcienne, sceptique, taoïste…).

L’ouvrage s’ouvre sur les Entretiens d’un sauvage et d’un bachelier (1761). On ne peut faire autre chose que de rappeler combien ce bref texte pourrait faciliter de nombreuses discussions, encore de nos jours. À l’heure où le terme « sauvage » laisse encore pointer de nombreux ethnocentrismes, et où le faux débat individu-société fait encore rage, l’humour voltairien décompose ces préjugés pour mieux les abattre. Le « sauvage » se trouve plus sociable que le bachelier et souligne avec pertinence que les individus sont toujours sociaux, bien que chaque modèle de société invente le type d’individu dont il a besoin pour fonctionner. On ne peut par ailleurs négliger le goût polémique de Voltaire à l’égard de René Descartes (les « animaux-machines ») et Jean-Jacques Rousseau (tel que vu par Voltaire sous les traits du « sauvage isolé »), sur ces plans, ainsi qu’à l’égard de la dualité nature/culture. Le second entretien reprend, quant à lui, la critique de Leibniz (là encore, tel qu’il est lu par Voltaire, sous le titre de l’optimisme), celle de Descartes (sur la glande pinéale conçue comme siège de l’âme), celle du droit monarchique, celle de la papauté.

L’ouvrage poursuit son chemin en publiant un court texte sur la question de L’Éducation des filles (1761). On connaît l’intérêt de la philosophie des Lumières pour cette question. Les filles ne sont pas élevées dans et pour le couvent ! Dans les couvents, « on ensevelit dans la stupidité les premiers de vos beaux jours ». Et le personnage central de ce texte polémique de souligner : « Ma mère m’a crue digne de penser de moi-même. » L’instruction des filles est désormais une revendication centrale. Voltaire revient sur cette question dans Femmes, soyez soumises à vos maris (1759-1765), dans un dialogue avec un abbé, sur une phrase des Épitres de Paul.

Le célèbre Dialogue du chapon et de la poularde, datant de 1763, suit les précédents. Les diverses modalités de mutilation, depuis les mutilations sexuelles jusqu’aux mutilations intellectuelles, sont ici discutées par des personnages-animaux, ce qui permet un regard distancié sur le monde humain. N’oublions pas que la poularde est une poule engraissée à dessein de la table et le chapon un coq castré. Il s’agit donc d’argumenter – puisque ces deux animaux parlent – sur la cruauté des hommes, dénonçant encore une fois les abus des humains. Le dialogue est simultanément didactique et satirique. Il se dote des moyens des Lumières pour défendre la dignité de l’homme. Le chapon, qui dispose des répliques les plus conséquentes, devient le maître de la poularde, et l’informe tout en lui dispensant les savoirs de l’époque. Il est vrai que ses propos ne cessent de passer des idées générales aux explications. Et si, après tout, les animaux étaient moins cruels que les hommes ?

En 1765, Voltaire publie le texte dont le titre couvre ce volume entier : De l’horrible danger de la lecture. Il faut évidemment se souvenir des conditions de l’époque. Le texte est rédigé du point de vue de la Sublime Porte, du « palais de la stupidité » (procédé certes caricatural, mais susceptible de contourner la censure d’un État monarchique autoritaire). Tout l’art du pamphlet est rassemblé ici. Voltaire y déploie ses qualités de polémiste. Il y dénonce l’intolérance, les préjugés, la superstition, la censure, l’arbitraire. Plus exactement, Voltaire parodie les décisions d’interdiction de toutes sortes, à partir de la décision d’interdire l’imprimerie. On le reconnaît à ceci : « Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, ce qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. » La rhétorique de l’antiphrase donne tout son poids au propos. Ainsi, l’éloge de la lecture est-il plus percutant. Il n’est nul besoin de proposer un plaidoyer positif pour la diffusion des œuvres. Ces quelques pages critiques sont plus efficaces que n’importe quelle démonstration lourde sur la nécessité de l’imprimerie. Les paragraphes numérotés permettent la mémorisation des arguments.

En lisant ou relisant ces textes de Voltaire, on se prête évidemment à reconnaître la vertu pédagogique de tels dialogues. Non seulement ils entretiennent l’idée même de dialogue, si chère à Socrate-Platon, mais ils la reconstruisent dans le cadre des Lumières. C’est la question du « grand public » qui émerge désormais. Comment rendre la philosophie populaire se demandait Denis Diderot. Voltaire se demande plutôt comment détruire les préjugés. Versant négatif et positif d’une même question ? Ce serait à étudier. Après tout, ces mêmes textes ne reviennent pas constamment au baccalauréat sans raison