Initialement basée à Besançon, la compagnie de théâtre Mala Noche propose chaque année depuis 2006 une édition du Festival de Caves. En 2015, pour sa 10e édition qui a démarré le 1er mai, le Festival étend une programmation riche et hétéroclite à travers toute la France   et deux mois durant, les comédiens – certains d’entre eux sont également chanteurs et musiciens  partageront leur passion au sein de lieux de représentation provisoires et singuliers ; les caves. Des terrains de jeu atypiques, qui séduisent un public restreint et impliqué, au sujet desquels Guillaume Dujardin, créateur et directeur du Festival de Caves a accepté de revenir pour Nonfiction. L’occasion de se replonger dans l’histoire, l’identité et l’esprit qui animent ce Festival qui fait la part belle à la créativité artistique.

Nonfiction.fr –
Vous êtes l’un des fondateurs de la Compagnie Mala Noche qui a proposé en 2005 Le Journal de Klemperer   . Le lieu de représentation, la cave, était un moyen de rappeler les conditions de survie et la nécessité de se cacher pour un intellectuel comme Klemperer sous un régime dictatorial. Pourquoi avoir choisi ce lieu plein de sens et en avoir fait l’identité, l’atout communicationnel et artistique majeur du Festival depuis 10 ans ?

Guillaume Dujardin – C’est à la suite de ce spectacle que nous avons décidé de créer le Festival. La réception du spectacle avait été assez étonnante. Le lieu, la cave, et le faible nombre de spectateurs permettaient un silence, une écoute assez rare. Le Festival est parti de là. Et aussi de cette idée que sous le sol nous pourrions tout dire, nous pourrions tout nous permettre. Mais au départ, il n’y avait aucune stratégie. Cela nous amusait simplement. Et il faut dire qu’à Besançon, là d’où tout est parti, les caves sont magnifiques.

Nonfiction.fr – L’adresse des lieux de représentation est cachée jusqu’à la veille du spectacle, vous contactez les spectateurs un par un peu de temps avant la représentation pour laquelle ils ont réservé leur place. Est-ce un choix délibéré, un désir d’accentuer encore un peu plus le côté intimiste du festival ou une décision par défaut ?

Guillaume Dujardin – Ce fonctionnement s’est évidemment maintenu au fil des années, j’y tiens. Et si les spectateurs ne sont pas au rendez-vous ils ne peuvent pas voir le spectacle, ils ne savent pas où c’est ! J’en ai marre d’aller au théâtre et d’être dérangé systématiquement par des retardataires. Le fait également de rappeler les spectateurs un par un crée un lien unique entre le Festival et les spectateurs. Il n’y a pas de public au Festival, il y a des spectateurs. Des personnes différentes, qui ne forment pas un groupe, qui viennent entendre et voir nos spectacles en sous-sols.

Nonfiction.fr – Vous définissez le Festival de Caves comme « un réseau des sous-sols à l’échelle européenne, dans lesquels des créateurs inventent des spectacles », comment cette ligne directrice est - elle, après presque 10 ans, toujours mise en œuvre étant donné l’expansion géographique du festival et par quels biais et critères sélectionnez-vous les spectacles qui enrichiront sa programmation?

Guillaume Dujardin – Il n’y a pas de programmation, il n’y a que des créations. Le Festival est composé d’acteurs permanents ou plutôt d’acteurs récurrents. De comédiens qui sont là tous les ans, certains depuis le début du Festival. Ils jouent tous sur d’autres scènes le reste de l’année mais réservent leur fin de saison au Festival. Ces comédiens sont la colonne vertébrale du Festival. Ils peuvent proposer de faire ce qu’ils souhaitent : un texte, une proposition musicale… Ensuite des metteurs en scène permanents du Festival (dont je fais partie) et des metteurs en scène extérieurs proposent ce qu’ils veulent du moment qu’ils travaillent avec nos comédiens. C’est la seule contrainte en plus de la cave et son étroitesse évidemment. Je crois beaucoup en cet esprit de liberté. Chez nous ils peuvent faire ce que leur imaginaire leur ordonne. Nous discutons 5 minutes et c’est parti. En tant que directeur je peux accepter des textes que je n’aime pas, mon goût n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est de bien discuter en amont avec les comédiens et metteurs en scène qui nous rejoignent, cela peut aussi prendre plusieurs années.

Nonfiction.fr – Quels moyens sont mis en œuvre pour renouveler le Festival de Caves, palier l’homogénéité des lieux de représentation et ainsi éviter les redondances organisationnelles et artistiques qui pourraient s’instaurer au fil des années ?

Guillaume Dujardin – L’imagination. Que ces petits lieux nous forcent à être encore plus imaginatifs. Le Festival vient à peine de commencer. J’ai déjà vu 5 spectacles et filages. Je peux promettre qu’ils sont différents de ceux de l’année dernière. Cela est notre gageure. Renouveler les possibles.

Nonfiction.fr – Comment se met en place un tel Festival ?

Guillaume Dujardin – Nous sommes aidés financièrement par la Région Franche-Comté, le Département du Doubs, la Ville de Besançon, le Grand Besançon, la Métropole Centre Franche Comté ainsi que par la Drac Franche-Comté. Ce sont nos principaux financeurs. Mais autour d’eux il y a une multitude d’autres financeurs publics comme les départements de Haute-Saône, du Bas-Rhin et du Jura, les villes de Dole, Lyon, Lons le Saunier, Paris, Arbois, Strasbourg, Morteau, Baume les dames, Vaire le petit…
Les comédiens permanents organisent le Festival. Les artistes sont à la tête de l’organisation. C’est essentiel pour nous. Ensuite des régisseurs puis des soutiens à la communication et la gestion nous rejoignent. L’artiste doit être au centre.

Nonfiction.fr – Vous parlez d’association avec des compagnies et institutions de différentes villes mais également avec des particuliers qui vous prêtent leur propre cave. Quels ont été les démarches et arguments vous permettant d’organiser ce festival en harmonie avec les attentes de chacune de ces parties prenantes ?

Guillaume Dujardin – Il est essentiel de beaucoup parler, communiquer. Nous n’avons pas à argumenter nous avons simplement à trouver un endroit où nous rencontrer. Ce qui est formidable c’est que maintenant on nous appelle pour rejoindre le Festival : des communes, des compagnies, des individuels nous contactent. Nous les rencontrons et nous cherchons à voir comment le Festival peut répondre à leurs attentes voire leur permettre de développer leur travail. Le Festival doit être un bien à partager.

Nonfiction.fr – Le festival se caractérise également par la diversité des thèmes traités. De Buffalo Bill à Toussaint Louverture en passant par les rêves d’August Strindberg ou le sommeil de Blanche-Neige. Des spectacles musicaux enrichissent l’hétéroclisme de la programmation festivalière. Dans quelle mesure le lieu de représentation influence-t-il le niveau d’implication du public, la mise en scène et le jeu des comédiens ?

Guillaume Dujardin – Comme il y a une totale liberté, les propositions sont diverses. Quelques fois nous remarquons qu’un thème émerge. Mais c’est peut être une vue de l’esprit. En ce qui concerne la cave, c’est simple : c’est pour elle que tout est pensé.

Nonfiction.fr – Quelles sont les perspectives du festival dans les années à venir ?

Guillaume Dujardin – Si menaces il y a elles ne peuvent être que financières. La seule crainte vient de là. Le reste, nous nous laissons porter… Nous avons beaucoup de bonnes et belles fées qui aident ce Festival. Cela est assez formidable. Un souhait, oui sûrement : faire en sorte que le Festival puisse sortir de nos frontières, rencontrer des partenaires européens… Je crois que la dimension du Festival permettrait une étendue européenne