Une comédie subtile, texte et mise en scène discrètement réglés, comme une montre suisse. Petit à petit s’élève le tic tac de deux cœurs qui ont cessé de battre apparemment à l’unisson.

Quand le personnage joué par Fanny Cottençon (Marianne) et celui de Jean-Luc Moreau (Serge) entrent en scène, fin de la « politique » du siège vide, symptôme d’une stratégie d’évitement, pleine de non-dits, à ce qu’indique leur décor quotidien. Deux simples fauteuils individuels en effet y sont figurés durant tout le premier tableau. Ils tiennent front aux spectateurs, privés d’un lever de rideau qui n’a pas lieu d’être puisque les voilà invités à prendre le train d’une histoire en marche. Quelques notes de piano, entêtantes comme une ritournelle laconique pour commencer ; les seuls coups de théâtre seront, au fil de trois tableaux, ceux du « suspens amoureux » ainsi entonné…

Le couple fait irruption, mine de rien – lui au début vaguement impliqué comme on dit, elle occupée de lui raconter un « accroc » survenu quelques heures plus tôt au volant de sa voiture. Accident, dépannage, échange de cartes relatés avec un luxe de précision, comme pour mieux emballer ce qui va finalement provoquer un déballage monté sur ressorts : un nom.

Un nom associé à un souvenir « enkysté » dans leur histoire, insiste-t-elle. Un patronyme qui sonne comme un canular : Clébard. Mais attention, chien méchant, celui-ci les relie au début de leur vie commune, quand une de leurs voisines mettait la puce à l’oreille de Marianne encline à l’imaginer du goût de son conjoint, nonobstant ses farouches dénégations de l’époque. Cette comédie joue du temps comme d’un yoyo.

A quelques jours de leur anniversaire de mariage, l’incident sera l’élément pivot d’un « reboot » de leurs 25 ans de conjugalité. Un bail ! Scellé par un serment d’une arrogance funeste comme toute hubris, vieille promesse rebattue sur tous les tons comiques au théâtre, au cinéma, dans les livres… bref, dans la vie : « On ne se mentira jamais ! ». Mariage, fidélité/mensonges et cie, l’auteur, Eric Assous s’y est déjà collé   mais arrive pourtant à surprendre encore. Le prix du dramaturge 2014 de l’Académie française pour l’ensemble de ses pièces n’est pas un leurre !

Dans l’intimiste enceinte du théâtre La Bruyère, point trop d’éclats de voix, ni de portes qui claquent, ni de faconde à la Pierre Arditi. Polar domestique, feutré, et ping-pong verbal minutieusement agencés. Plus de retenue, de justesse que d’outrance et pourtant on rit de bon cœur ; rien ne grince. Or de dérapage en dérapage pseudo-contrôlés, le vernis des apparences se craquelle. Madame sort de sa bourgeoise chrysalide, il était temps, et tel un taon en été, ne lâche plus le morceau. Elle épie, elle questionne ; mise au défi de se révéler « apte à entendre la vérité », elle n’en démordra pas. Marianne (capricieuse, façon Musset) piste les dérobades de Serge (beau, forcément, alors, « tombeur » de ces dames inéluctablement !)

S’ensuit une cascade de mises au point, et de proche en proche, du tac au tac, à la faveur d’aveux a priori anodins – « c’était il y a 25 ans : il y a prescription !» commence par lâcher Serge –, va s’évider un écheveau sinon de vérité, du moins une série d’évidences lovées dans une tranche de vie plus saignante qu’il n’y paraissait. Leur « bonheur » y résistera-t-il ? Suspens. Il rebondit, de tableau en tableau et même, au-delà de l’extinction des feux de la rampe marquant la fin de la représentation. Avec celle du couple en question ? A chacun d’interpréter le dernier geste de la comédienne : cherche-t-elle à se libérer de l’étreinte ou bien à s’accrocher – en dépit de tout à la main qui l’enlace? L’obscurité clôt la scène pile poil avant que la réponse ne soit vraiment claire. Subtile, énigmatique jusqu’au bout cette comédie montée autour d’un argument qu’on aurait pu craindre d’une affligeante banalité !

* Au théâtre La Bruyère, Paris. Jusqu’au 28 mars