Un ouvrage illustré qui explore les liens entre mode et cinéma à travers plus de quarante portraits d'actrices qui demeurent, aujourd'hui encore, des modèles d'élégance.

« Le glamour c’est mon fonds de commerce », avait coutume de dire Marlene Dietrich. Celle qui portait les créations de Christian Dior dans Le Grand Alibi d’Alfred Hitchcock en 1950, et qui achetait régulièrement des cravates Hermès, mettait alors le doigt sur le lien intrinsèquement commercial qui unit la mode et le cinéma. Il fut un temps en effet où la robe de l’actrice suffisait à caractériser la tonalité d’un film et à cristalliser l’image de son succès – tout en assurant la réputation de son créateur. Que l’on pense à l’immense robe de Rita Hayworth dans Gilda de Charles Vidor, aux tenues impeccables de Grace Kelly dans Fenêtre sur cour, ou à la ligne mutine d’Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé : ces silhouettes sont désormais les icônes des films qui les (re)présentent.

Mais aujourd’hui, à mesure qu’elle a envahi les tapis rouges et les spots publicitaires, la mode aurait-elle tourné le dos aux écrans de cinéma ? Plus proches des spectateurs, moins guindés, les films contemporains exposent de plus en plus discrètement les créations de couturiers et toute grande actrice cherche à briller dans des films moins directement glamours qu’autrefois. Le cinéma, cependant, n’en reste pas moins une formidable machine à créer du désir – et les actrices, des vecteurs de diffusion de tendances. A travers un très large panorama cinématographique (46 portraits d’actrices), Véronique Le Bris propose en creux, dans Fashion and Cinema, l’histoire d’un regard porté sur la féminité, où les femmes peuvent être « fatales » (Lauren Bacall dans Le Port de l’angoisse), d’un chic assumé (Romy Schneider dans La Piscine) ou libérées (Jane Birkin dans Don Juan 73).

L’auteure part du postulat que la mode et le cinéma partagent un même amour des femmes et entretiennent la même relation avec celles-ci, faite à la fois de sublimation et d’emprisonnement : la femme, objet de désir au cinéma, prend le risque de servir de faire-valoir pour les compositions de créateurs et de s’enfermer dans des rôles figés.

Pendant les années folles, les premières stars illuminent les écrans et impressionnent par leurs atours ultra-féminins (et souvent ultra-chargés). Louise Brooks, qui aurait dit qu’ « une femme bien habillée, même si son porte-monnaie est vide, peut conquérir le monde », est un de ces premiers oiseaux de nuit sublimement habillés, tandis que Marlene Dietrich plait avec ses silhouettes androgynes et que Greta Garbo fait la gloire de Givenchy dans Ninotchka d’Ernst Lubitsch (1939).

Les premiers noms de créateurs s’imposent, succédant aux costumières venues du théâtre. Jean Patou, basé à Paris, accompagne la « libération » des femmes (Louise Brooks en tête) après la Première Guerre mondiale en dessinant des vêtements aux lignes fluides pour la journée, chargeant les robes de broderies exotiques pour les soirées et apposant pour la première fois ses monogrammes sur ses créations. Ces créateurs s’appellent aussi Paul Poiret, Jean Louis ou encore Adrian. Ce dernier, célèbre couturier de la MGM, conjugua glamour et modernité et fit de Joan Crawford son ambassadrice dans les années 30. « Les costumes designers habillent l’Amérique comme une fille moderne » avance ainsi Philippe Azoury dans la préface. De fait, Garbo popularise le béret et le trench, et les copies des robes de Crawford se vendent en masse dans tous les Macy’s qui s’ouvrent alors aux Etats-Unis. Pourtant, l’une comme l’autre se libèreront peu à peu d’Adrian dont elles trouvaient que les créations cachaient leur jeu.

Plus intéressant encore est de rappeler qu’à cette époque déjà les impératifs du cinéma et de la mode peuvent différer, entrainant, selon Azoury, certains costumiers à repenser les couleurs de leurs créations en fonction de leur rendu en noir et blanc. Orry Kelly, par exemple, avait choisi la couleur rouille pour « mieux » rendre le caractère écarlate d’un rouge sang.
Après-guerre, d’autres attentes portent les actrices vers des choix divergents : Ingrid Bergman abandonne le glamour pour le néoréalisme, s’attachant les services de Fernanda Gattinoni pour les chemises fonctionnelles du cinéma de Rossellini, tandis qu’Audrey Hepburn rend grâce aux robes allumettes de Givenchy et que Lauren Bacall impose le tailleur New Look de Dior. Brigitte Bardot, Jane Birkin, Catherine Deneuve, Faye Dunawaye ou encore Romy Schneider émaillent les années 60 et 70, où les styles bourgeois chic (Deneuve dans Belle de jour) alternent avec des tenues plus rebelles (Dunawaye dans Bonnie and Clyde) ou artistiquement osées (Jane Fonda habillée par Paco Rabanne dans Barberella). A mesure que le prêt à porter envahit les écrans, les actrices se libèrent des créateurs trop envahissants et optent pour des styles plus adaptés à leur personnalité et à leur jeu. Le style volontairement mutin de Jane Birkin caractérise ainsi l’esprit d’une époque dès son apparition dans le très à propos Blow Up d’Antonioni.

A partir des années 80 enfin, le phénomène des égéries marque le retour du pacte faustien : ambassadrices à la ville de certaines maisons par contrat, les actrices se libèrent dans leurs films des contraintes de la mode pour endosser des rôles plus subtils. Monica Bellucci (qui commence sa carrière comme égérie de Dolce & Gabana), Nicole Kidman ou encore Tilda Swinton restent, au fil de leurs apparitions publiques, les incarnations des valeurs des créateurs de mode – pour ne pas dire des marques – qu’elles représentent.

Fort bien documentée et illustrée, cette histoire est à lire – et les créations (croquis et photographies) à regarder – dans le très beau livre de Véronique Le Bris paru aux éditions des Cahiers du Cinéma