Un inventaire monumental du substrat gaulois de la France actuelle.

 

Depuis le XIXe siècle, la Gaule n’avait jamais autant passionné : la profusion récente d’ouvrages liés à « nos ancêtres les Gaulois » et destinés au grand public le montre parfaitement. C’est que la matière s’est abondamment renouvelée ces dernières années – notamment grâce aux apports de l’archéologie   – et a permis de montrer à quel point les Gaulois n’étaient pas les barbares qu’on se plaisait à imaginer. 

Dans cette avalanche de publications, l’ouvrage rédigé par Fabien Régnier et Jean-Pierre Drouin se singularise d’abord par le parcours de ses auteurs, tous deux passionnés d’histoire mais ni l’un ni l’autre universitaire, quoique le premier ait participé à plusieurs fouilles et soit un ancien élève de Venceslas Kruta et de Paul-Marie Duval – sommités dans la discipline s’il en est. Le livre se distingue également par sa nature : c’est une véritable somme (904 pages), qui tient plus du dictionnaire que du livre de vulgarisation – de fait, l’essentiel de l’ouvrage est consacré à une liste alphabétique des « Peuples fondateurs à l’origine de la Gaule ».

Le titre de l’ouvrage est en lui-même un programme très clair. La capitale à « peuples » n’est pas anodine et dévoile en réalité une partie de l’objectif des auteurs, qui cherchent à relier passé et présent en montrant l’importance des peuples et du substrat gaulois, fondateur et à l’origine de la France actuelle : « cet ouvrage […] va un peu à contre-courant, en ce sens qu’il se donne pour objectif de recenser, de nommer et de situer avec autant de précision que possible les tribus qui participèrent à la formation de notre pays »   .Ce type de projet avait certainement tout pour plaire à la maison d’édition bretonne Yoran Embanner, engagée dans la défense du patrimoine des minorités européennes, tout particulièrement celtiques. 

Cette démarche est d’autre part appuyée par Venceslas Kruta, sous les auspices duquel l’ouvrage a été publié : dans la préface qu’il a rédigée, il soutient avec enthousiasme l’entreprise des auteurs, autant sur la forme – « le travail qui suit […] constituera encore pendant longtemps une précieuse source d’information »   – que sur le fond, puisqu’il y insiste également sur la notion d’héritage et sur l’intérêt de cette quête des origines.

L’ouvrage se divise en trois parties très distinctes qu’il convient donc d’analyser séparément. La première se présente comme un bréviaire à propos des Gaulois avant les Romains, écrit pour que le néophyte s’y retrouve. Cette synthèse sur la Gaule, ses habitants et leur culture permet de faire le point sur ce que l’on sait aujourd’hui. Elle a le mérite d’aborder des sujets souvent peu développés (ethnogenèse, importance des forêts-frontières, etc.) et d’insister sur la complexité des études celtiques actuelles. On y regrettera néanmoins l’absence d’une bibliographie plus fournie, tout autant qu’un certain nombre d’imprécisions voire d’erreurs et parfois même un manque de recul historique  

Cette première partie permet également d’introduire les bornes spatiales retenues par les auteurs   – la Gaule transalpine, grosso modo la France – ainsi que les limites chronologiques de l’étude, essentiellement l’Indépendance, c’est-à-dire la période précédant la conquête romaine. Un chapitre est néanmoins consacré à l’époque romaine, réduite à la portion congrue (cinq pages sur 135) en dépit de son importance pour la deuxième partie de l’ouvrage. Il est également dommage que la domination romaine y soit presque uniquement pensée en des termes qui fleurent certaines luttes très contemporaines, et qu’on retrouve dans des formules telles que « très lourd tribut », « le cadastre […] brisa le droit celtique », « de nombreux soulèvements très durement réprimés, très rarement évoqués », « résistance indigène durable […] connue sous le nom de Bagaudie » (p. 131-132), autant d’éléments au sein desquels l’imprécision se mâtine d’anachronisme.

L’intérêt de l’ouvrage réside cependant d’abord dans les 650 pages de la deuxième partie, que Venceslas Kruta décrit comme un « répertoire des peuples de la Gaule établi à partir d’un dépouillement laborieux et attentif des ouvrages de référence ». Outre la petite centaine de peuples généralement connus (Parisii, Arvernes, etc.), c’est l’ensemble des « premiers » peuples de la France, qu’ils soient gaulois ou non (Ibères, Ligures), qui sont ici répertoriés alphabétiquement, avec un souci d’exhaustivité très louable : plusieurs centaines de « peuples » sont ainsi décrits plus ou moins longuement, chacun étant présenté avec une bibliographie et les mentions des principales sources. Ce travail colossal ne fait pas l’économie de la pédagogie, puisque la plupart des notices sont accompagnées de cartes, anciennes ou modernes mais toujours très utiles, et parfois d’illustrations (monnaies, objets archéologiques). Les auteurs ont également le souci constant de montrer aux lecteurs les traces laissées par ces peuples et encore visibles aujourd’hui, surtout dans la toponymie. Il n’en demeure pas moins que les données sont souvent fournies de manière brute, sans toujours être classées, et que l’anecdotique y côtoie régulièrement l’essentiel. D’autre part – c’est le travers d’une œuvre au champ aussi gigantesque – les notices et les bibliographies afférentes pourraient être encore enrichies par un certain nombre de références universitaires récentes, françaises ou étrangères. 

Enfin, la troisième partie est une sorte d’index général très pratique, regroupant notamment des listes des peuples, de toponymes actuels et antiques, de noms de personnages importants et une bibliographie plus approfondie. 

D’une manière générale, cet ouvrage n’est donc pas exempt des défauts inhérents à la publication d’une somme à l’objet aussi large et à sa première édition en particulier (nombreuses coquilles, spécialement dans la deuxième partie) ; on pourra d’autre part facilement lui reprocher un manque de rigueur et un non-respect des conventions universitaires (présentation des racines linguistiques, par exemple). Néanmoins, cette énorme synthèse a déjà le simple mérite d’avoir été menée à son terme – et de nombreuses universités ne s’y sont pas trompées, qui en ont fait l’acquisition – d’être ensuite très pratique à l’emploi, d’avoir enfin su mêler constamment la pédagogie à l’érudition, rendant l’ouvrage réellement accessible à tous les publics et permettant par-là d’atteindre l’objectif des auteurs : montrer à tous la pérennité de l’empreinte gauloise en France