Eloge de l'esquive est un éloge à la vie. Plutôt que d'affronter, dribbler, ruser, esquiver...

Le Brésil. Non celui de la FIFA, de Nike et des chaînes télé. Ni celui des courbes de croissance. Au Brésil, si l’enfant n’est pas bien-né, rien ne lui est acquis. « Entre elles, les oligarchies pratiquent la conciliation, par hantise de perdre leurs privilèges » raconte Olivier Guez, « et [elles] se barricadent derrière un système législatif et administratif opaque, un labyrinthe de verre dont nul ne sort s’il respecte les règles du jeu ».

C’est qu’en plus d’être jeune et miséreux, l’enfant brésilien est noir, métissé, fils d’esclaves. Et la caste au pouvoir, blanche, attachée à ses racines européennes, n’est guère indulgente. Alors, plutôt que de se « rebeller contre les règles, (l’enfant des favelas) les contourne, n’obéit qu’aux siennes, fluctuantes, pour jouir de sa liberté, de ses bons plaisirs, en se moquant de l’ordre établi ». Il va s’inventer le personnage du malandro  … « à la frontière du bien et du mal, de la légalité et de l’illégalité ». Bluffeur, provocateur, c’est un dribbleur social. Contourner plutôt que d’affronter, ruser, zigzaguer, improviser, suivre son intuition…

Le dribbleur du ballon rond n’est que l’incarnation du malandro, l’enfant des favelas. On est emmené à comparer avec la manière traditionnelle de gérer les conflits sociaux par la confrontation, l’approche manichéenne de la lutte des classes. Par-delà bien et mal, au Brésil, « l’ambiguïté est une valeur positive, car (son) histoire est une succession d’équivoques ».

« L’enfance du dribble c’est la déstabilisation de l’adversaire, la transgression, mais sans commettre de crime ni faire usage de la force ».

Point d’ennemi à tuer au Brésil, mais un compétiteur à vaincre. Des compétiteurs. Quand la vie n’est pas une guerre, elle est un jeu. Plutôt que d’affronter, dribbler. Ruser, esquiver, donner le rythme. L’Eloge de l’esquive est un éloge à la Vie. C’est le choix d’assumer la complexité, de miser sur l’intuition et de se méfier des pensées doctrinales qui a permis aux Brésiliens de conjuguer construction politique, intégration et développement. De bâtir une culture jeune, métissée, rayonnante. Tout n’est pas rose. Mais le « soft power » brésilien n’a rien à envier aux sociétés occidentales modernes.

La société brésilienne a inventé un art du dribble fait d’imagination, d’audace et de swing. Longtemps attachée à imiter le modèle culturel et politique européens, elle suit son chemin désormais, elle bénéficie de son image de « nation métisse, créative, sexy ».  À moins qu’en grandissant, l’enfant brésilien ne s’assagisse, pour perdre sa nonchalance et son audace. Tel semble être le regret de l’auteur