Il s’agit dans ce livre d’en finir avec la rhétorique d'une euphorie sur un sport qui est censé unir le monde en surpassant tous les problèmes sociaux, économiques et politiques. 

En écho à la coupe du monde 2014 et au mot d'ordre "Pas de Coupe du monde" des activistes Anonymous Rio, Nonfiction revient quatre ans plus tôt à Johannesburg avec l'ouvrage choc : Footafric – Coupe du monde, capitalisme et néocolonialisme. La motivation de ce retour à l'analyse publiée le 10 juin 2010 par Louise Beltzung est de créer un parallélisme entre les deux situations : De johannesburg à Sao Paulo, la coupe du monde est-elle une utopie viable pour les pays qui l'accueillent ?

 

Cette semaine, on a appris que des publicités des compagnies d'électricité étaient affichées dans tout Johannesburg. Ce sont des incitations à préférer les bougies à l'électricité pendant les matchs pour éviter des surcharges du réseau et donc des interruptions de diffusions. Des bougies au lieu de lumières électriques, voilà un exemple cynique d’un des nombreux sacrifices auxquels la population d'Afrique du Sud va devoir consentir pour que la Coupe du monde se tienne sans problème majeur dans son pays, du 11 juin au 11 juillet.

Ronan David, Fabien Lebrun et Patrick Vassort auraient très bien pu citer cette anecdote dans leur livre Footafric – Coupe du monde, capitalisme et néocolonialisme, sorti dans la collection "pour en finir avec". Il s’agit ici d’en finir avec la rhétorique d'une euphorie sur un sport qui est censé unir le monde en surpassant tous les problèmes sociaux, économiques et politiques. Le regard est posé sur le contexte historique et actuel de cette compétition mondiale. C’est en remettant en cause l’idée dominante selon laquelle le foot unirait les peuples que les auteurs mènent le lecteur dans les bas-fonds de la machinerie du marketing sportif. Pourquoi le discours médiatique général évoque-t-il une Coupe du monde pour l'Afrique du Sud ? Pourquoi ce pays a-t-il été choisi   ?

Les auteurs retracent l'histoire de la Coupe du monde, et du football en général. Dès ses débuts, il s’agissait d’un sport d'affrontement servant l'appareil idéologique. Il fut maintes fois utilisé pour renforcer et propager des régimes totalitaires. Les exemples permettent de revenir sur la célébration du Duce pendant la Coupe du monde tenue en 1934 en Italie, sur la Coupe de 1978 en Argentine saignée par la dictature de Jorge Raphael Videla, mais aussi sur un cas de cynisme évident, la Coupe du monde au Mexique en 1986, alors que ce pays souffrait non seulement de ségrégations dans tous les domaines mais aussi des conséquence d'un violent tremblement de terre. Comme les auteurs le résument, "chaque compétition internationale, Jeux Olympiques ou Coupe du monde de football, a pour objectif de faire admettre l'inadmissible : assassinats, impérialisme, tortures, déplacements de populations, surexploitations de populations dominés, tout en asseyant  la puissance du capital au sein de la région concernée"    . Derrière le discours rhétorique concernant une population pour laquelle le seul espoir serait le football, c’est un système dont quelques rares personnes profitent qui se dissimule. Les intérêts économiques de certains milliardaires constituent l'engrenage d'une énorme machinerie qui, pendant un mois, fera oublier à des populations entières tous les schémas sortant du mode binaire "nation gagnante versus nation perdante".

Le mythe du sport comme force unificatrice se répète comme pour la Coupe du monde de rugby avec Nelson Mandela en 1995, récemment célébrée par le film Invictus du réalisateur Clint Eastwood. En Afrique du Sud, la plupart des sports sont racialement marqués, si bien que l'association entre une communauté et sa discipline favorite relève de la tautologie. "En 2004, 94 % des Noirs plaçaient le football en première position de leurs sports préférés, tandis que le rugby arrivait en tête pour 84 % des Blancs, et le cricket pour 77 % des Indiens et 60 % des métis"    . La Coupe du monde 2010 renforce le système de séparation en Afrique du Sud par les zones d’exclusion décidées pendant le Mondial, mesures incontournables pour pouvoir permettre de présenter ce pays imprégné par l’apartheid et encore secoué par un clivage entre pauvres et riches. L’Afrique du Sud doit apparaître comme une destination de rêve, ensoleillée et paisible. Cette séparation doit permettre que les riches viennent suivre les matchs et faire la fête, dans un environnement "sûr"   .

C'est bien la FIFA qui tire les ficelles du monde pendant ce mois à venir – une organisation avec plus de membres que l'ONU et un pouvoir économique sans pareil. "La FIFA est une pieuvre. Son histoire, de sa naissance à son implantation planétaire sur l'ensemble des continents, dans l'ensemble des pays, démontre que son existence même est totalement déterminée par le développement capitaliste et sa croissance mondiale"   . Les auteurs tracent l'histoire de la FIFA dans le contrôle absolu qu’elle a exercé sur le marketing dès 1970, lorsque le président de l'époque, Joao Havelange, parvint à convaincre le dirigeant d‘Adidas, Horst Dassler, de vendre un spectacle partout dans le monde. Depuis, tout n’est que coups-bas, faillites et corruption   .

Les coûts de la Coupe du monde, organisée selon les vœux de cette organisation, sont énormes mais, – ô surprise ! – ne sont pas supportés par la FIFA mais par le budget public. Le gouvernement d'Afrique du Sud s’est endetté de 210 millions d'euros pour accueillir 64 matchs de football dans dix stades, certains ayant été spécialement construits pour cette occasion  . Des routes ont bien été construites pour y arriver, sans réflexion sur les besoins de la société.

Et après la Coupe ? Ces stades-monuments resteront perdus, les routes qui ont été construites ne mèneront plus que vers des stades vides et inutiles. Toutes ces dépenses sont astronomiques au regard des bénéfices qu’on peut en attendre pour la population. Et tandis que la population d'Afrique du Sud payera les dettes, les participants et la FIFA en auront tiré tout profit. L'équipe qui gagne la Coupe du monde obtient par exemple une somme de 20,5 millions d'euros, et chaque équipe participante, même chaque joueur sélectionné sort de ce combat avec des sommes d'argent, tirées des efforts d'un pays faisant de son mieux pour permettre ces 64 fois de 90 minutes de jeu   .

Certes, la Coupe du monde constitue un moment d'espoir pour beaucoup dans ce pays en détresse, mais avec des conséquences parfois fatales. Les auteurs explorent d’un point de vue critique ce qui se déroule derrière les coulisses de ce spectacle. Violences sexuelles, politiques et militaires, séparations, et l'exploitation des rêves d'enfants. L'utopie de pouvoir sortir de la misère par le football, transportée par quelques stars, est juste un exemple d'une logique capitaliste sans conscience. Alors que la détection de jeunes footballeurs est présentée comme un effet colatéral positif, selon la rhétorique dominante, c’est en vérité un marché aux esclaves qui se cache : "l'Afrique étant pour le capital une terre d'exploitation, les jeunes footballeurs sont considérés comme de la "chair à canon"" (p.63)). Ce sont quelques histoires de succès qui fondent des rêves. Mais derrières ces contes, il y a infiniment plus d'histoires réelles de détresse, de jeunes qui se retrouvent en formation jusqu'à leur majorité pour se faire rejeter ensuite, des jeunes mineurs en Europe, qui sont à la rue et non dans un stade jubilant. "[...] Pour un joueur repéré, plusieurs dizaines gâchent leur vie dans une migration parfois sans retour, dans la clandestinité, avec comme seul espoir le miracle de pouvoir vivre normalement"   .

Comme on pouvait s’y attendre, les auteurs tirent de cette analyse critique une conclusion radicale : ils parlent de la nécessité de la disparition du football. Peu probable, la prochaine Coupe du monde aura lieu en Brésil en 2014 et, là aussi, le contexte est tout sauf idéal : des dettes abyssales s’en suivront, beaucoup de violence pour encore 64 jeux et une foi aveugle dans le pouvoir de l'économie du sport. On en vient finalement à se poser la question : combien de Coupes faudra-t-il encore pour qu’un mythe pareil soit dévoilé ? Les auteurs ne permettent pas de répondre à ce questionnement mais finissent leur ouvrage par un plaidoyer pour la liberté, la différence et contre la loi du plus fort