Cette série de Brèves ne cesse de répertorier des pratiques différentes concernant les rapports (potentiels) entre Arts et Sciences, à partir des données contemporaines (le recours à l’histoire n’est pas exclu d’emblée, mais réservé à donner des amers d’appuis dans des réflexions plus contemporaines). Nous avons donc eu à faire à des rapports d’exclusion, d’intégration, de confrontation, de convergence, de ressemblance, … autant de manières d’explorer ces rapports Arts et Sciences dans un contexte qui a pour principe premier d’accepter de poser la question de ces rapports à nouveaux frais, en lien avec l’art contemporain.

La référence de ce titre porte plutôt sur la danse. Mais peu importe ici. Elle nous sert à parler d’un spectacle qui travaille les surfaces d’échange entre les arts et les sciences.

Aurélien Bory fut apprenti chercheur en physique à Strasbourg. Puis il a travaillé dans l'acoustique architecturale. Enfin, il devient jongleur dans une école de cirque, avant de fonder sa troupe, la Compagnie 111, à Toulouse. Son spectacle projeté au Théâtre du Rond-Point (Paris, 22 mai - 29 juin 2014), et désormais en cours, devrait rendre compte à nouveau de cette trajectoire. Entre trous noirs, antigéométrie, art combinatoire et bosons de Higgs, théâtre et danse, quelque chose se produit ici que la scène du théâtre donne à lire, et que Bory appelle son "théâtre physique".

Ce théâtre ne se contente plus des données classiques de la danse. On sait que cette dernière est intrinsèquement liée, dans ses formes les plus constantes, et avant l'impact d'une conception biologique du corps, à la physique classique des corps, et à la question de la pesanteur, sous version galiléenne, si l'on peut dire. Le danseur se met au défi de l'équilibre des forces (les pointes, les déséquilibres assures, les envolées) et la coïncidence entre le pied et le sol est gouvernée par la prise en compte des lois élémentaires de la physique classique. Mallarmé en a dit assez sur ce sujet pour que nous n'y revenions pas. Il suffit de relire Les fonds dans le ballet, d’après une indication récente (1893).

Mais Aurélien Bory travaille à partir d'autres conquêtes du savoir - les déformations de l'espace-temps et ses rapports avec la gravité classique - et autour d'une métaphysique plus franchement liée à la déclinaison d'une philosophie de la vie de la matière. Ainsi affirme-t-il : "le théâtre est certes régi par des lois physiques comme l'espace et la gravité, mais aussi par la vie et la mort qui règnent sur chaque drame".

Dès lors, avec "Plus ou moins l'infini", "Azimut", "Plan B", et d'autres pièces encore, il s'attache à donner toute sa force au mouvement qui au lieu de retenir, soulève. Mais aussi à l'analogie développée par Einstein : l'espace s'apparente à une toile sur laquelle les corps exercent des plis. Rappelons qu'un autre artiste, Adrien Mondot, a lui aussi travaillé, par le jonglage et la danse, cette figure de la physique de la relativité.

Le spectateur se livre alors au spectacle en laissant venir à lui ce monde au milieu duquel l'acteur se situe, interrogeant ainsi la place de l'homme dans l'univers. Le théâtre se livre en forme d'hommage au carré, au cercle, au cube. Mais ensuite, il est pris dans la mécanique de l'élévation et de la retombée, du saut au repos, ... avant de prendre corps dans des distances et des proximités, des rapprochements et des écarts. Le tout donnant un portrait d'une humanité prise dans l'espace, puisque, affirme l'artiste, "l'espace nous modèle, il est plus fort que nous : l'espace nous porte, puis l'espace nous engloutit. Dans ce laps de temps se situe l'humanité".

Tout ce travail, inscrit dans une certaine approche de la surface d'échange entre danse et physique, renouvelle les formes de la danse