La principale originalité du dernier ouvrage de Françoise F. Laot est d’aborder l’histoire de la formation des adultes en étudiant un moyen métrage.

Le dernier ouvrage de Françoise F. Laot a été publié dans une collection intitulée Histoire des institutions scientifiques (Presses Universitaires de Nancy), qui "s’intéresse à la genèse et à l’évolution des institutions d’enseignement supérieur en réhabilitant des groupes professionnels et des acteurs"   . L’institution étudiée ici, d’avant-garde de par les expérimentations pédagogiques qu’elle propose, est le Centre universitaire de coopération économique et sociale de Nancy (Cuces) et plus largement la question de la formation des adultes en France. Les acteurs réhabilités sont les femmes qui ont pris part à ce mouvement entre la toute fin des années 1950 et le début des années 1970. L’originalité méthodologique est de faire porter cette recherche sur un moyen métrage, Retour à l’école ? (A. Bercovitz et J. Demeure, 1966-1967, 45 min.). Le titre de l’ouvrage est on ne peut plus explicite : Un film comme source pour l’histoire de la formation des adultes hommes… et femmes. Il n’est donc pas question de s’interroger sur la production audiovisuelle du Cuces dans son ensemble   , mais sur un cas exemplaire, en adoptant une démarche à la fois socio-historique et micro-historienne (G. Noiriel et J. Revel sont deux des références mobilisées par l’auteure ; il est au passage étonnant que prenant un film pour objet central d’étude, l’auteure ne fasse pas mention des nombreuses recherches menées depuis le début des années 1970, sur les rapports entre histoire et cinéma).

 

Adoptant une approche psychosociologique donc, notamment centrée sur ceux qui apprennent   , Retour à l’école ? donne la parole à un groupe d’hommes qui suivent des cours du soir au Cuces.Ces derniers sont invités à partager leurs impressions sur l’utilité de ce type de formation, sur leurs motivations pour suivre celle-ci, sur les différences avec l’école (ou l’université) et sur leur désir de promotion sociale. Ils reviennent également longuement sur les efforts consentis par leur famille pour les accompagner dans ce processus souvent très long et ardu. Filmés au Cuces et à leur domicile, ils s’expriment sans langue de bois, dans une forme qui a cependant été fortement orientée (et montée) par l’auteur et le réalisateur du film, afin de s’adresser aux formateurs. En effet, si seuls des auditeurs prennent la parole, le but du film est de mener leurs enseignants à s’interroger sur leur pratique de formateur. En effet, trop souvent, ces derniers n’adaptaient pas leur pédagogie au public particulier qui se trouvait en face d’eux. Le documentaire propose donc un face à face entre formateurs et auditeurs, afin de s’adresser à un troisième groupe qui est, lui, absent de l’image. À ce titre, le film s’inscrit dans un ensemble plus large d’expérimentations pédagogiques qui visent à remettre en cause la place de l’apprenant vis-à-vis de celle de l’enseignant.

 

Pour être tout à fait précis, Retour à l’école ? est, en fait, un projet commun au directeur du Cuces Bertrand Schwartz, à la Délégation générale à la promotion sociale (DGPS) qui souhaite le présenter lors d’une conférence internationale, et au Service de la recherche de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), alors dirigé par Pierre Schaeffer. La rencontre entre Schwartz et Schaeffer en juin 1966 a été décisive pour le lancement du projet, le film ayant été tourné rapidement (décembre 1966). L’articulation problématique entre des enjeux se situant au niveau local (Cuces) et d’autres au niveau national (DGPS) est une difficulté constitutive de celui-ci. Cette articulation est particulièrement intéressante à étudier avec un recul d’une quarantaine d’années. En effet, pour l’auteure le film est tout autant un objet problématisé dont le processus de réalisation est à documenter, qu’un "point de départ, un préliminaire à partir duquel lancer de nouveaux questionnements" concernant l’histoire de la formation des adultes   . Aussi, dans une courte première partie, le film et la méthode d’analyse sont-ils présentés   , avant de céder la place à une étude plus longue concernant le contexte, c’est-à-dire la formation pour adulte durant les années 1960   . Les rôles respectifs de la DGPS, du Cuces, des syndicats, des mouvements militants, du patronat et surtout des auditeurs sont alors présentés. Les changements en cours entre 1964 et 1969 sont particulièrement soulignés. Fort de ces informations au sujet des évolutions institutionnelles dans ce domaine, la troisième partie aborde à nouveau le film   . Le principe (classique) est qu’il est uniquement possible de l’interpréter une fois que l’on dispose de suffisamment d’informations concernant le contexte général. La genèse du projet, que l’auteure désigne par le terme d’archéologie (terme mobilisé en référence à Michel Foucault, l’auteure ne faisant pas référence aux recherches en histoire visuelle faisant usage de ce même terme   , puis le contenu du montage final et la circulation du film sont alors abordés de manière détaillée. Il est ici possible de se demander si ce mode de structuration de la narration – qui fait perdre de vue le film pendant plus de soixante pages – est le plus adapté. En effet, une présentation organisée autour d’incessant allers-retours entre contexte et réalisation aurait certainement permis de mieux comprendre les liens entre ces deux niveaux.

 

Cela conduit à critiquer l’usage de la notion de micro-histoire mobilisée par l’auteure. En effet, dans cet ouvrage il est plus question d’une histoire locale (celle du Cuces et de la réalisation du film), comme d’une étude de cas s’articulant avec un contexte plus général. En effet, il n’y a pas de remontée en généralité à partir du cas qui mène à une réinterprétation du niveau général, comme c’est le cas dans la micro-histoire, telle que définie par Carlo Ginsburg, Jacques Revel et Giovanni Levi.   Ce constat ne constitue cependant en rien une critique de l’intérêt – très grand – de l’ouvrage, dont un autre aspect original est de porter sur un film qui n’a eu aucune fortune critique et qui, à quelques exceptions près, n’a pas été diffusé. Françoise F. Laot démontre, en effet, que tout le monde ou presque, a oublié le film, soit tout autant les modalités de sa réalisation, les choix opérés pour son montage et jusqu’à la raison pour laquelle il n’a pas été diffusé. Le livre prend ainsi, parfois, la forme du récit d’une enquête documentaire très complexe. Il est ainsi question d’archives introuvables – les notes d’intentions, les transcriptions des entretiens et les rushes du film n’ont pas été conservés   – et d’entretiens non concluants. L’auteure expose alors ses doutes, ses hésitations, les impasses dans lesquelles elle est, dans certains cas, arrivée au cours de cette recherche obstinée qui a duré près de cinq ans. Mais, au lieu de considérer ces absences comme une contrainte mettant en péril son projet, Françoise F. Laot a choisi avec beaucoup d’intelligence d’en faire l’objet principal de son étude. Ainsi, en conclusion de la première partie de l’ouvrage, elle interroge le lecteur : "L’oubli de ce film a-t-il un sens pour l’histoire de la formation ?"   .

 

À cette question, plusieurs éléments de réponses sont apportés, certains strictement formels   , d’autres institutionnels et politiques. En effet, il n’y a pas de consensus au sein du Cuces concernant la méthode – psychosociologique – présentée dans le film. De plus, le sujet choisi – les cours du soir – est loin d’être l’expérimentation la plus originale menée dans cette institution. Il est aussi à noter que les trois institutions liées à la conception de ce film (Cuces, DGPS et Service recherche de l’ORTF) sont en crise au moment où il se termine. En fait, "le film Retour à l’école ? apparaît comme l’ultime projet d’une institution [DGPS] qui sait qu’elle va disparaître"   . L’absence de promotion autour du film s’explique donc directement par cela. Elle s’explique aussi par le rapport entretenu par les auteurs du film avec la CFDT et la CGT qui n’en ont pas soutenu la réalisation, ni, donc, la diffusion.

 

Ces questions institutionnelles complexes sont clairement replacées dans un contexte politique plus large, qui permet d’expliquer en quoi ce film est anachronique dès le moment de son tournage. Il rend compte d’un type de formation en train de disparaître. Françoise F. Laot indique qu’il s’agit "d’un film qui arrive trop tard"   . Il ignore, en effet, en partie, les bouleversements en cours à la veille de mai 68   . Enfin, il ne donne pas la parole aux femmes (ou seulement comme épouses), alors que l’aspiration de celles-ci à intégrer ces formations commence à être entendue   ). Rappelant avec à propos qu’aucune femme ne suit les cours du Cuces en 1966   , l’auteure évite d’adopter un ton bêtement accusateur, afin de comprendre pourquoi les femmes ne sont pas considérées comme des acteurs/ actrices de la narration. Reprenant les thèses de Michel Foucault, elle fait ainsi du film la forme exemplaire d’un discours collectif sur la formation (un discours en train de disparaître). Enfin, dans une conclusion qui prend parfois des accents programmatiques, Françoise F. Laot espère que d’autres études de cas similaires viendront compléter celle-ci afin de poser un nouveau regard sur l’histoire de la formation des adultes en prenant en compte de manière plus centrale le rôle des femmes. Elle indique notamment que l’exploitation de fonds audiovisuels encore largement ignorés par les chercheurs pourrait conduire à un tel renouvellement historiographique.