* Le 13 avril, l’École de Psychanalyse Sigmund Freud a présenté une intervention du pédopsychiatre Alain Gillis, dont le thème était : Corps et autisme.

 

Ancien directeur d'un Institut Médico Educatif, Alain Gillis y a pratiqué le packing et s'en explique. Une intervention fort bien venue dans un contexte où le packing est très controversé. Cette pratique thérapeutique consiste à envelopper l'enfant autiste dans des linges. Elle est l'objet de nombreuses attaques qui la dénoncent comme une pratique barbare et l'associent parfois à la psychanalyse.

Mais concrètement, de quoi s'agit-il ? Le packing est-il barbare et est-il le fait des psychanalystes ? Lors de cette conférence, le docteur Gillis a donné plusieurs éléments de réponse sur ces questions, ce qui n'est pas sans intérêt quand on constate que par ailleurs, le débat public sur ce sujet est souvent inquiétant mais aussi flou et très peu informatif.
Dans ce débat, souvent virtuel, l'argument essentiellement mis en avant pour dénoncer le packing est que les linges utilisés pour envelopper l'enfant sont froids, voire glaciaux, suscitant chez l'autiste une sensation d'autant plus pénible que son rapport au toucher peut être altérée (par exemple dans le sens d'une plus grande sensibilité). Or, premier correctif, Alain Gillis mentionne qu'il n'a jamais utilisé de linges froids, mais des linges tièdes qui ne visaient d'ailleurs pas à immobiliser complètement l'enfant. N'étant pas "plâtré", il pouvait toujours bouger (on imagine modérément...), tout en étant contenu. 

Il mentionne combien l' "autisme" est une nébuleuse polémique sans intérêt ; comment se fait-il que les cas d'autisme aient été multipliés par 10 depuis la guerre ? Selon lui, l'autisme est une entité fourre-tout sans consistance théorique propre. On peut seulement parler de "troubles autistiques", cette désignation étant purement descriptive : elle correspond à un ensemble de comportements dont, selon Alain Gillis, nul ne connaît l'origine exacte à ce jour. S'il lui paraît totalement dépassé de nier qu'une origine génétique puisse être en cause (la plupart des psychanalystes qui l'ont invité à s'exprimer n'excluent en rien qu'un déterminisme génétique puisse peser sur l'autisme), il remarque néanmoins que sous l'appellation "autisme", se cache souvent la psychose infantile. Mais... il est "désormais difficile de parler de psychose infantile" précise Gillis qui , malgré qu'il se soit un peu éloigné de la psychanalyse au profit d'une approche plus phénoménologique, estime que chez les dits "autistes", il a souvent constaté la "forclusion du Nom du Père" (cette expression désigne l'éviction du père dans le discours de la mère, éviction génératrice de la psychose).

À la recherche de "modifications"
Découvrir la forclusion du Nom du Père chez certains enfants autistes est une chose, mais cela permet-il de les guérir ? Le Dr Gillis mentionne que suite à cette découverte, les enfants manifestaient toujours la même symptomatologie (agitation motrice constante, stéréotypies, incontinence, crachats...). Inspiré par la phénoménologie, il se met alors à simplement écouter, regarder, les éducatrices sachant bien qu'il n'observe pas ce qui se passe dans un but de "fliquage" et n'attendant pas non plus de lui des "interprétations formidables". Dans cette ambiance de travail positive, il remarque que le groupe des enfants, secoué d'une agitation qui ne trouve aucun répit, "fonctionne" dans un bruit de fond permanent, comme une usine... qui ne produit rien. L'agitation, comme le bruit, est continue. Il décide alors d'introduire de la discontinuité. D'introduire du "pas toujours, pas tout le temps", de rompre la continuité. Pour cela, les membres de l'équipe prennent les enfants dans leurs bras. "On aurait fait ça pour nos enfants", disent-ils. Et ils obtiennent des résultats : apparaît un attachement entre l'enfant et l'adulte qui l'a ainsi contenu. Le calme grandit et des objets s'échangent. Constatant la proximité entre cette nouvelle manière de faire et la thérapie allemande par le maintien ferme, Gillis se rend à Stuttgart et en constate les effets positifs : au bout d'une heure trente de maintien de l'enfant dans les bras, il voit les enfants pris en charge à Stuttgart sourire. Il ne s'agit pas de les sanctionner en les maintenant, mais d'empêcher leur agitation. Remarquant cependant que la théorie qui fonde cette thérapie est peu crédible (elle se résume à prôner le maintien ferme comme une forme de retrouvailles avec la mère), il cherche une base théorique pour cette pratique d'actes contenants. Il expose sa théorie à Maud Mannoni (il y a 25 ans de cela), mais celle-ci la refuse en commentant : "On va faire comme si vous n'étiez pas venu."

On ne sait pas si Maud Mannoni a rejeté le packing ou la théorie qui le fonde dans le discours d'Alain Gillis, théorie qui n'entre pourtant pas en totale contradiction avec les conceptions analytiques : le sein, pour l'enfant, ne vient pas toujours exactement au moment où il le souhaite. Cela introduit un début de séparation. Mais si le besoin et sa satisfaction sont trop découplés, c'est problématique : l'enfant s'auto-procure alors quelque chose qui devient alors l'objet d'une dépendance "lourde" dont il faut le sevrer. Ainsi, s'il se balance pour se satisfaire lui-même, il faut l'en empêcher. Il s'agit d'établir avec lui une sorte de marché : "Je te prive des balancements et tu prends ce que je te donne". (Ce qui sous-entend que ce qu'on donne n'est pas en exacte adéquation avec ce qui est demandé, mais que l'enfant doit bien s'en satisfaire, comme d'une réalité qui n'est jamais non plus en parfaite adéquation avec son désir).

Le packing donnait des résultats très sensibles, surtout quand les troubles étaient moindres. Mais "très sensible" ne veut pas dire "spectaculaire"... Alain Gillis fait également remarquer qu'il n'y a de toutes manières pas de quoi se glorifier car au bout de plusieurs années, n'importe qui a changé... avec ou sans traitement...
Dans cette approche, le holding (« maintien ferme ») avait précédé le packing. Mais le holding nécessitant trois personne, était trop coûteux. Il a alors été remplacé par le packing, toujours accompagné de mots, d'une présence bienveillante. Alain Gillis, à cet égard, précise que si les soignants avaient été des bourreaux, peut-être auraient-ils choisi un autre métier... De cette manière, il semble répondre à l'association faite entre packing et... actes de torture  

Loin de se contenter d'empaqueter les enfants autistes, il s'agissait, par l'observation, d'extraire ce qui était essentiel dans ce qui se passait chez ces enfants : le mouvement continu et l'absence d'événement. Cet enfant existe-t-il pour lui-même ? Parlons-en avec lui pour mettre en branle les éléments existentiels. Par exemple, "Je sors, je rentre, est-ce que tu me vois ? Là, tu vois ma main ?" Il s'agissait de faire événement de tout. Sachant que l'une des hypothèses psychogénétiques plausibles est que certains de ces enfants ont été laissés s'organiser seuls.
Mettre en pratique l'hypothèse phénoménologique c'était, pour l'auteur, "retirer ses lunettes psychanalytiques" pour partir, auprès des cas les plus difficiles, à la recherche de ce qui est essentiel à l'autisme. Face à un enfant qui est dans l'auto-organisation, l'auto-stimulation, ne peut-on accéder à un échange, introduire de l'autre ? Citant Maine de Biran, Gillis indique qu'avec lui, il cherche où se trouve l'être grâce à ce qu'il appelle l'"épreuve de la résistance" : il s'agit que l'enfant rééprouve de la limite et de la résistance.  "Quand son mouvement est empêché, l'enfant peut faire, à partir de sa limitation même, l'expérience concrète de son pouvoir. Le mouvement et ses conséquences, une fois identifiés comme effets de son pouvoir propre, peuvent être enfin "voulus" par l'enfant. Ce vouloir propre est comme l'origine d'une conscience de Soi qui va alors se déployer, se développer dans l'intentionnalité du sujet constituant le monde.” (A. Gillis)

A l'aide du packing, Gillis et les autistes réalisent une sorte de dialogue tonico-postural : "Je te bouge la tête"... Il valorise des "petits riens" qui n'ont pas été valorisés.   
Loin d'afficher des résultats thérapeutiques fabuleux, contrairement à ces "pédopsychiatres freudiens qui ont des hallucinations de résultats", Gillis conclut néanmoins en disant que depuis l'arrêt du packing, la violence de ces enfants a augmenté, ainsi que les prescriptions médicamenteuses...

Il reste difficile d'évaluer l'impact global du packing, qui, suivant les établissements ou les psychiatres, a pu être diversement pratiqué : notamment avec plus ou moins d'humanité, et aussi avec une cohérence théorique plus ou moins grande. Mais c'est en adjoignant les témoignages comme celui du Dr Gillis que nous pourrons nous en faire une idée juste, quand la grande dramatisation à laquelle nous assistons aujourd'hui fait probablement primer le fantasme sur la réalité et l'émotion sur l'information