Et si évangéliser n'était pas une affaire de communication ? Voire, s'il fallait renoncer à toute rhétorique pour parler vraiment ? Voici un petit essai stimulant sur la parole dans ce qu’elle a de plus essentiel.

La question titre de cet essai est un prétexte - un prétexte pour questionner la question elle-même et parler de la parole. Mais il s'agit de parler de ce qui ne peut se dire, de l'ineffable. Cette mise en tension de la parole sur elle-même à propos de ce qui l'excède et qui se définit pourtant comme le Verbe, fait tout l'intérêt du présent ouvrage.

Fabrice Hadjadj s'est fait un nom dans les milieux chrétiens, où il est à juste titre apprécié pour ses réflexions, souvent profondes, qu'il sert avec une langue enjouée. Ses thèmes tournent autour du caractère concret, incarné, voire charnel, de la grâce. Son dernier Comment parler de Dieu aujourd'hui ? constitue un bon spécimen de cette veine. Le style imagé et volontiers racoleur - ponctué de formules saillantes - sert une pensée qui n'en est pas moins ferme et précise. S'il use souvent de paradoxes, ce n'est jamais en vain mais pour montrer le caractère paradoxal de certaines réalités.

Ainsi Hadjadj aborde-t-il là de nombreuses difficultés : ce que signifie le mot Dieu, ce qu'est l'acte de parole pour l'homme, la situation du locuteur par rapport à sa parole ("Le message, c'est le messager"   ), les détournements possibles de la parole ("La parole n'est plus écoutée comme hospitalité au mystère de chaque être, mais saisie comme un instrument de manipulation"   ), etc. Ces réflexions ne se résument pas, pour ne pas risquer de les simplifier abusivement. On relèvera cependant l'objection qu'oppose la parole à l'athéisme.

Invoquer le nom de Dieu peut servir de "dispense de penser et réplique universelle"   , mais cela vaut autant pour ceux qui s'en réclament que pour ceux qui le nient. Car la grande question est de comprendre ce qu'on entend par ce mot de Dieu, et de reconnaître ce que l'on tient comme valeur suprême, ce qu'on divinise dans sa vie (qui peut être le football ou la volupté ou son propre moi, etc.). "La vérité de l'athéisme n'oblige à ne rien diviniser, et surtout à ne pas diviniser l'athéisme. [...] Je dois donc accepter de ne pas avoir le dernier mot. [...] L'athéisme n'est vrai que s'il devient pure disponibilité au mystère"   . Où l'on retrouve le sens profond de la notion de Dieu, qui n'indique pas une chose parmi d'autres qui serait une super-chose, mais le fond et la fin des choses et qui les inhabite.

Cet essai donne à voir une pensée chrétienne à l'état natif, tout droit issue d'une rencontre intime. Un tel aperçu de la foi déroutera ceux qui pensent savoir ce qu'est croire et qui imaginent que la récitation du catéchisme en est le fin mot, préjugé tenace en notre pays assez déchristianisé pour ne plus connaître l'Évangile, mais pas assez pour savoir qu'il ne sait plus. Tel est le dernier mérite de cet ouvrage, d'être un juste exemple d'une apologétique ouverte, qui puise tant dans le patrimoine des connaissances contemporaines que dans celui de la sagesse des anciens, à la lumière de la fréquentation de la Trinité#nf