Un retour un peu décevant sur les grands axes de la relation entre séries télévisées et société nord-américaine, des années 80 à aujourd’hui.

L’initiative est suffisamment rare pour être saluée : Alexis Pichard fait partie de ces quelques auteurs qui ne sont ni sociologues, ni psychologues, et qui s’intéressent malgré tout aux séries télé. Est-il besoin de préciser que l’on parle ici des séries produites aux Etats-Unis ? Si le reste du monde, la France en tête, peut encore se targuer de produire chaque année des films qui rivalisent, voire qui surpassent en qualité les productions américaines, on ne peut malheureusement pas en dire autant des séries télévisées. Il serait injuste d’y voir le seul résultat de moyens financiers plus importants ; rendons à César ce qui est à César, et admettons que nombre de séries américaines font preuve d’une audace et d’une intelligence immenses, et qu’en comparaison, la plupart des productions françaises ne font pas le poids. Difficile donc, pour le moment, de parler d’autre chose que des Etats-Unis sur le sujet.

Cela dit, l’angle d’approche d’Alexis Pichard reste conventionnel : il s’agit de tracer, des années 80 à aujourd’hui, la courbe capricieuse du succès des séries américaines aux Etats-Unis. À cet égard, l’approche de l’auteur se situe davantage dans la veine d’une étude de mœurs que dans celle d’une étude esthétique ou théorique, ce que l’on peut regretter, tant ce "nouvel âge d’or" concerne aussi bien les audiences que la qualité artistique des programmes. The Wire, Twin Peaks, voire Buffy contre les vampires sont d’éclatants exemples de l’énorme potentiel du format feuilletonesque par rapport au cinéma, lequel ne peut se permettre de développer une intrigue ou des personnages sur plus de trois heures (à quelques rares exceptions près). Sans doute, de telles œuvres méritaient davantage que les quelques commentaires très généraux qui leur sont attribués, comme par exemple : “[ces nouvelles séries] parviennent à conjuguer rythme frénétique et profondeur des personnages”. On le pardonnerait volontiers à Alexis Pichard s’il ne faisait continuellement référence à la “dimension cinématographique” de certaines séries, sans vraiment préciser ce qu’il entend par là.

Heureusement, ce n’est de toute façon pas sous cet angle-là que l’ouvrage a été rédigé. D’après l’auteur, on peut distinguer trois grands mouvements dans l’histoire des séries américaines : un premier âge d’or, du début des années 90 à 2001, durant lequel les networks   vont concevoir des programmes pour un public adolescent jusque là délaissé. Sitcoms, séries fantastiques, téléréalité : le succès est immédiat, et le divertissement pour jeunes bat son plein. Le second et "nouvel âge d’or" est déterminé par les évènements du 11 septembre 2001 qui entraînent avec eux un changement drastique des attentes du public américain : après un court repli vers les amourettes inoffensives des sitcoms, les networks et surtout les chaînes câblées investissent dans des séries plus réalistes et moins héroïques. C’est là, pour Alexis Pichard, la transformation la plus importante : parallèlement au réalisme des nouvelles productions   émerge "l’antihéros" comme modèle de protagoniste souverain – c’est-à-dire un personnage dont les faiblesses étouffent parfois l’héroïsme et la morale (typiquement le Jack Bauer de 24 heures chrono), et pour qui la fin justifie les moyens. Ces nouvelles attentes traduisent un cynisme naissant à l’encontre des paradigmes héroïques old school. La grève des scénaristes de 2007 met fin à ce dernier âge d’or. Trois mois durant, les chaînes furent forcées de rediffuser de vieux épisodes, avec pour conséquence la perte, parfois définitive, d’une large portion d’audience. Internet, ses avantages et sa stabilité (streaming, téléchargement) ont entretemps fauché les rangs des anciens fans. Dans de telles circonstances, les chaînes prennent moins de risques et préfèrent miser sur des valeurs sûres : importation de séries étrangères à succès, investissement dans des concepts qui ont fait leurs preuves (par exemple, les séries policières, que rien ne semble ébranler). C’est désormais du côté des chaînes câblées et d’internet qu’il faut espérer un éventuel renouveau.

Malheureusement, Alexis Pichard pêche par gourmandise : difficile de faire, dans un seul livre de 200 pages, un état des lieux doublé d’une histoire doublée d’une étude de mœurs sur les séries américaines. Une seule de ces questions mériterait qu’on lui consacre un ouvrage. Bien que fort lisible, Le nouvel âge d’or des séries américaines s’embourbe dans ses chiffres et ses généralités à force de vouloir être exhaustif. Certains sous-chapitres étonnent à la fois par leur ambition et la rapidité avec laquelle ils sont traités : “Les séries : kaléidoscopes d’une société en crise”, “La représentation des gays : un exemple de miroir déformant” pourraient être des sujets de thèse, mais sont expédiés en quelques pages seulement. Au bout du compte, bien qu’instructif à certains égards, Le nouvel âge d’or des séries américaines n’est pas beaucoup plus riche qu’une conversation autour d’un café. Ni plus enrichissant