Avec Artistes de laboratoire, Recherche et création à l’ère numérique (Paris, Hermann, 2012), le sociologue Jean-Paul Fourmentraux publie un ouvrage dans lequel la question des rapports entre arts et sciences est formulée, pour nos jours, dans des termes proches des nôtres. D’emblée il précise que l’enjeu de l’ouvrage est « d’éclairer et d’interroger les frontières « mobiles » de l’activité artistique en régime numérique ». Celles où s’hybrident « les actions et compétences artistiques, scientifiques et managériales ». Mais aussi « celles de l’œuvre et du produit ». Et enfin, celles également « des différents mondes dans et vers lesquels sont portés et acheminés ces productions, leurs extensions, leurs croisements, leur porosité ».

Et le sociologue d’ajouter : « A la suite de travaux récents qui ont proposé de considérer l’art ou la science sous l’angle de leur production collective, incertaine et prototypique, il s’agit de déployer les modalités de valorisation et d’attribution d’oeuvres d’art saisies comme des processus dynamiques plutôt que comme des biens statiques ».

Pour une part, le sociologue insiste aussi sur les rapports entre arts et techniques. Un autre rapport que nous ne pouvons laisser de coté. Il montre alors qu’à la lumière des oeuvres étudiées par lui, il est nécessaire « d’amender les logiques de production afin de favoriser une pluralité d’enjeux de création (artistique), d’invention (technologique), et d’innovation (économique) ». La valorisation d’une recherche-création en art et technologie devra ainsi « favoriser l’émergence d’une œuvre et en faire simultanément un « milieu » producteur d’innovations technologiques : l’œuvre peut y être multiple, intermédiaire et fragmentaire ». La recherche qui y conduit pourra également être valorisée (procédés, méthodes, connaissances) et parfois « donner lieu à des productions autres que l’œuvre visée (outils logiciels, dispositifs scéniques...).

C’est, ajoute l’auteur, le cas, par exemple, des sites Internet ou des jeux vidéos d’artistes contemporains, qui entrent au musée, et qui engendrent aussi, par ailleurs, des logiciels, des procédés optiques ou des interfaces informatiques innovantes.

Deux avantages semble-t-il viennent ainsi en avant : d’une part une alliance hétérogène d’acteurs et de techniques qui travaillent à l’articulation d’une pluralité d’activités. D’autre part la réalisation d’un travail en équipe interdisciplinaire, accompagné de l’impératif d’un programme de recherche transversal à plusieurs projets. Autrement dit, en favoriasant la dispersion des lieux de réflexion, et le travail en réseau des laboratoires, artistes, et chercheurs, et en les mettant à l’interface des écoles d’art, de l’université et de l’industrie, ces nouvelles conduites, insiste Fourmentraux, transforment les clôtures hiérarchiques et disciplinaires.

Le point de vue sociologique sur l’évolution de nos sociétés est ainsi décisif, en ce qu’il nous montre que ces pratiques interdisciplinaires donnent forme à de nouveaux réseaux de recherche technico-artisitque et à un modèle distribué de l’innovation qui associe une pluralité de formes d’engagements à une diversification des objectifs de recherche et de création.

Il aboutit à la conclusion suivante : « le travail artistique devient ici une entreprise de coordination collective qui enrôle de multiples auteurs ». Cette conclusion est complétée par un appui sur les travaux de Pierre-Michel Menger : « A l’interface des différents milieux qui font commerce de « l’innovation créative », l’artiste campe un nouveau type de chercheur-créateur dont on attend qu’il croise recherche académique, innovation artistique et valorisation publique. Ainsi se trouve aussi justifiée la question de la « classe créative » telle qu’elle est déployée par certains sociologues.