Daniel Arasse, dans Histoires de peintures   soulève un problème qui reste à méditer. Celui d’un parallèle possible entre l’histoire des sciences et l’histoire des arts. Non pas que ce parallèle consiste à mettre les sciences et les arts en parallèle ainsi que cela se pratique souvent. Ce n’est d’ailleurs pas une démarche erronée que de lier par des surfaces d’échange les œuvres d’art et les travaux scientifiques. De nombreux exemples probants poussent à compléter les recherches sur ce plan. Qu’il s’agisse de la perspective en peinture et des travaux des mathématiciens, qu’il s’agisse de la synthèse opérée par Brunelleschi à propos de la coupole de la cathédrale de Florence, ou encore de l’impact des théories de la fragmentation dans la peinture moins classique. On trouverait ainsi des milliers d’exemples, dont quelques-uns ont été retracés dans un numéro de la revue Raison Présente, par Claude Frontisi   .

Ici, il s’agit d’autre chose. Arasse pose la question de la perspective et de ses variations. La perspective contribue à définir un schème d’organisation de la représentation à partir d’un œil unique vers lequel convergent les lignes du tableau. Mais simultanément, cette forme de base de la représentation est à la fois identique de 1250 à 1920, et produit un nombre de styles considérable. "Dans un seul type de forme de base, on a toute une série de configurations du schème qui changent, et sont les styles". Ce qui intéresse donc l’historien qu’il est, ce sont les transformations du modèle.

A partir de là, il affirme que "On observe alors des processus équivalents à ceux qu’on observe en histoire des sciences". Il fait ainsi allusion à deux choses. D’une part, les travaux de Thomas S. Kuhn   , puisqu’il est question ici d’histoire des sciences et non pas de sciences effectives. D’autre part, le refus de toutes les histoires des arts qui s’écrivent de manière linéaire et continue, comme si l’histoire des arts était un long fleuve tranquille, selon l’expression devenue proverbiale.
 
Et Arasse de nous obliger à réfléchir : "Il est extrêmement intéressant de pouvoir utiliser certains modèles d’interprétation élaborés par l’histoire des sciences pour voir qu’ils permettent de mettre au clair certaines transformations artistiques qui sans cela ne sont pas vraiment compréhensibles"   .

Cela oblige alors à privilégier deux moments. D’une part le moment de constitution d’un schème artistique, d’autre part le moment de sa déconstruction. Et entre les deux, les variations. En un mot, il y a donc des ruptures en histoire des arts, et des moments constitutifs à partir desquels les modèles s’instaurent. Disons des inventions. Et puis, il y a d’autres moments en fonction desquels une forme de base est emportée, sans pour autant disparaître, car on peut encore, de nos jours, produire un tableau perspectiviste.
 
Au passage, Arasse profite de ce parallélisme pour signaler qu’il n’est jamais bon en matière d’histoire des arts de parler de "découverte", sinon à présupposer que l’objet découvert (la perspective, telle couleur, ...) existe déjà avant même sa dé-couverte. Or, en cette matière, il n’y a pas de préalable. On ne découvre pas la perspective, mais on l’invente. Et pour la comprendre, il convient de s’interroger : Que cherche-t-on par là ? Quelle est la fonction de ce système ? ...