Un ouvrage conséquent, consacré à la littérature norvégienne dont Éric Eydoux brosse un panorama complet et chronologique.

Dans un volumineux ouvrage de 527 pages, Éric Eydoux propose un vaste panorama de la littérature norvégienne, centré sur la présentation narrative et circonstancielle des œuvres et présentant les auteurs dans leur contexte politique, historique et sociologique. L’auteur motive ainsi pleinement cette articulation entre histoire et littérature. Bien qu’essentiellement focalisé sur les périodes des XIXe et Xe siècles, l’ouvrage présente en ouverture les périodes préchrétienne et médiévale et se clôt par quelques pistes du XXIe siècle.

La littérature norvégienne n’est pas seulement mise à l’honneur, elle est également observée par la circulation culturelle qu’elle implique et qui la définit. Appliquant la vertu encyclopédique à la littérature, la diffusion joue de son accessibilité même qui est le propre de la visibilité, qu’il s’agisse d’un public cultivé mais non spécialiste, ou de (plus ou moins) jeunes chercheurs cherchant de nouveaux domaines littéraires d’investigation. Le parti pris est celui d’une "vulgarisation éclairée" où l’érudition (la présentation vaste d’un ensemble conséquent d’écrivains norvégiens) entre en écho avec la médiatisation, à la fois comme principe et comme support. L’image comme média est ainsi utilisée en tant que tiers et intermédiaire (ce que montrent la variété, le choix et la qualité des illustrations), Éric Eydoux propose photos et images en marge des auteurs convoqués : portraits, tableaux, affiches de spectacle, premières de couverture, extraits de lettres ou déclarations d’écrivains, ou encore images filmiques tirées des œuvres citées et analysées. Le transfert culturel n’est pas seulement un moyen, il permet de saisir un des principes de cette littérature, montrant bien à quel point la réception des œuvres tient à leur exposition (présentation contextuelle et/ou discours critique), combien les images aussi jouent pleinement leur rôle dans l’élaboration et la durabilité de nos propres clichés ou stéréotypes nordiques – qu’elles les confirment ou les infirment au contraire. Ainsi, le nombre conséquent d’auteurs et d’ouvrages cités (les références des traductions en français sont précisées en fin du volume dans la bibliographie), prouve, si c’était encore nécessaire, la vivacité culturelle et le dynamisme littéraire de la sphère norvégienne – et par là même nordique.

Où et comment situer dès lors cet ouvrage par rapport à ceux qui précèdent ? Qu’Éric Eydoux fasse justement référence à l’Histoire des littératures scandinaves de Régis Boyer paru en 1996 nous conduit à une seconde question, moins contextuelle et plus spéculative : quelle est la position de la Scandinavie dans un ouvrage consacré à la Norvège ? Quel point de vue choisir ? Qu’une présentation sur les sagas "islandaises" soit intégrée au sein de la littérature médiévale est significative à cet égard   . Au terme scandinave qu’il n’utilise pas ou guère, Éric Eydoux préfère le terme de "Septentrion", signe d’une volonté de se démarquer des panoramas traditionnels consacrés aux littératures nordiques. Frédéric Durand, se consacrant "aux" Littératures scandinaves   , répondait implicitement à la question : faut-il parler d’une littérature de ces pays-là ou doit-on les distinguer et dans ce cas jusqu’à quel point (degré) ? Si l’on peut comprendre effectivement que les années (une dizaine dans le premier cas et une trentaine dans le second) qui séparent ces ouvrages justifient une Histoire de la littérature norvégienne, conférant à la littérature du XXe siècle non pas une uniformité, mais l’unification temporelle que permet déjà un certain recul – celui du tournant du siècle, donnant les moyens et le temps de distinguer les auteurs marquants de ceux plus mineurs ou à la popularité plus circonstancielle et datée.

La focalisation sur la Norvège littéraire met en évidence une cohésion interne portée par une histoire, une nationalité, un territoire et des faisceaux de convergence identitaires. Loin de contester ce choix – les études historiques des œuvres littéraires sont souvent circonscrites par le critère de la nationalité, et il relève de la pleine liberté d’un chercheur à qui on ne peut que reconnaître la perspicacité de ne pas suivre machinalement la tradition – n’est-il pas utile toutefois de s’interroger sur les enjeux et les conséquences d’un tel choix ? Il existe, quand bien même on déciderait d’en faire fi, des interrelations et des connexions, des liens (historiques, géographiques, linguistiques, mais également politiques et historiques – et Éric Eydoux n’omet pas de consacrer un chapitre intitulé "Dans l’orbe du Danemark" à la dépendance danoise subie par la Norvège). À partir du moment où les destins des pays nordiques sont liés, n’envisager que l’un d’eux (ou tout au moins principalement), c’est choisir de n’exposer ses facettes littéraires qu’à partir d’un point de vue unique, celui de ce pays-là, c’est choisir une modalité d’inspection "endogène". Or, dans la mesure où Éric Eydoux s’adresse à un lectorat  français, davantage d’extériorité (européenne) n’aurait-elle pas été propice et nécessaire à ce type d’analyse ? Évoquant le mouvement de "percée moderne", Éric Eydoux renvoie à Georg Brandes et Kierkegaard, et sans doute aurait-il pu s’attacher davantage à leur influence sur la littérature norvégienne – par le biais des chroniques de leur réception. La Norvège mérite d’être envisagée exclusivement (et non inclusivement comme on pourrait s’y attendre en ce qui concerne une littérature interagissant particulièrement avec d’autres), rendant compte de cette fragmentation justement qui constitue significativement l’une de ses spécificités. L’interdépendance ne renvoie pas seulement à la servitude ou à l’aliénation, elle permet aussi de pallier les manques.

Ces remarques, mineures, ne rendent pas compte de la qualité de l’ouvrage, de la vue d’ensemble, du parcours et de la somme de connaissances rendues lisibles et accessibles. Saluons le sérieux et la fiabilité des données et des sources, ce dont témoigne la conséquente bibliographie en fin de volume (littéraire et scientifique, sont cités les principaux travaux et études sur les auteurs) : cette Histoire de la littérature norvégienne est à même de devenir un ouvrage de référence, c’est-à-dire auquel on se réfère et dont on se sert pour créer les siennes propres.