Des promesses de campagne de 2007 à l’avant mai 2012, que restera-t-il du "sarkozysme " à la lecture de ses choix en matière de politique économique ? De la loi TEPA au discours de Toulon, peut-on dégager une cohérence dans les paroles et des actes du quinquennat ? Alternant entre les aspirations libérales du slogan de 2007 et l’interventionnisme de l’hyperprésidence, le sarkozysme est-il un nouveau corpus idéologique? Réunis par la Fondation Jean Jaurés au Sénat pour en débattre l’économiste Daniel Cohen, Julia Cagé et Thierry Pech ont soutenu que si sarkozysme il y avait, sa véritable nature n’était pas celle qu’il voudrait nous faire percevoir.

Le sarkozysme, berceau des illusions d’une droite plurielle
Pour Daniel Cohen, si la campagne de Nicolas Sarkozy fut une réussite politique, médiatique mais aussi idéologique, c’est parce qu’elle a su donner l’illusion d’un nouveau courant de pensée, en parvenant à fédérer les trois droites de René Rémond au sein d’une même famille réconciliée : la droite orléaniste, libérale s’est retrouvée dans l’aspiration à une nouvelle république de Guizot portée par le " Travailler plus pour gagner plus ", la droite légitimiste attachée aux valeurs régaliennes et autoritaires s’est identifiée dans les propos sécuritaires de celui qui avait été le premier flic de France et la droite bonapartiste dans son éloge du volontarisme en politique en rupture avec l’alliance Mitterrand-Chirac. Mais les promesses du candidat, amalgame des aspirations contradictoires de ses courants de la droite ne pouvaient que se heurter au mur des réalités auquel est confronté le Président au pouvoir. Et ce avant même la crise de 2008. Impossible en effet nous dit Daniel Cohen, "d’être Guizot et Bonaparte à la fois " et la pratique du pouvoir a révélé l’étendue de l’imposture du discours de campagne. Seul résultat du « travailler plus pour gagner plus », la loi TEPA, s’est limitée à quelques cadeaux d’ordre fiscal, en dehors des ressources de l’Etat Français, creusant un déficit budgétaire dont la crise révéla le danger. Derrière l’éloge de la volonté, les réformes institutionnelles furent caricaturales, de l’audiovisuel à la réforme universitaire présentée comme la grande réforme du quinquennat, qui copiant le modèle de la fonction présidentielle donne toute autorité au président de l’université, sans réfléchir aux contre-pouvoirs académiques qui permettraient une véritable autonomie dans lesquels les universitaires se retrouveraient à leur aise.


L’arbre du travail qui cache la forêt du capital
Même constat d’une imposture dans le discours sarkozyste pour Julia Cagé qui est partie d’une grille de lecture sémantique pour percer l’idéologie à partir de sa phraséologie. Ainsi la recherche de mots clés dans les articles du Figaro sur les cinq dernières années font apparaitre une forte corrélation entre la valeur travail ou la dénonciation de l’assistanat et le nom du Président. Sur le seul mot de flexibilité, on trouvera le double d’articles associés à Sarkozy dans le Figaro que dans Libération. A contrario, la notion négative de précarité ressort deux fois plus fréquemment associée au nom de Sarkozy dans les articles de Libération que dans ceux du Figaro. Pourtant la valeur travail, fondamentalement de gauche selon Julia Cagé n’est pas celle du sarkozysme, qui l’utilisera comme un argument de vente de mesures qui cachent une apologie du capital plutôt que du travail. Ainsi la présentation de la suppression partielle de l’impôt de succession comme la volonté de permettre le leg des fruits d’une vie de travail prête à sourire quand on l’applique au cas de Liliane Bettencourt dont les riches heures ne semblent pas faire l’allégorie d’un dur labeur.


Des zigzags de la pensée économique à la ligne droite de la vision sociologique
En résumant le quinquennat par "une forme de keynésianisme inégalitaire qui se serait achevé dans le libéralisme allemand par capitulation ", Thierry Pech, récuse pour sa part tout sens au " sarkozysme " en matière de politique économique. Les actions menées entre 2007 et 2012, se reniant l’une après l’autre, de la mise en place de la loi TEPA à la remise en cause du bouclier fiscal, de la valorisation de l’orthodoxie budgétaire à la perte du triple A, des engagements en faveur d’une moindre ponction fiscale à l’approbation de la TVA sociale sont révélatrices de l’absence d’une continuité idéologique, ou même d’une vision stratégique, comme celle de Reagan ou de Tatcher consistant à réduire la fiscalité et à déréglementer d’abord pour procéder ensuite aux ajustements nécessaires afin de parvenir à l’équilibre budgétaire. Certes, l’ampleur de la crise de 2008 a pu faire légitiment voler en éclat les certitudes de 2007. Se pose naturellement la question de savoir si les choix du Président, à défaut de cohérence, ne furent pas alors ceux d’un pragmatique sincère dont le principe d’action serait le réalisme économique. Le discours de Toulon, véritable rupture avec l’héritage idéologique de la droite a pu laisser croire que le Président s’était définitivement affranchi de tout carcan idéologique. Mais sa lenteur coupable à revenir sur des mesures devenues inadaptées au contexte de crise, empêche de justifier que le pragmatisme soit la seule motivation du sarkozysme. Au fond si la politique économique du quinquennat ne permet pas de décrire la véritable nature du « sarkozysme » ne faut il pas rechercher ailleurs la constance de l’homme ? Il y a en effet un choix qui innerve le sarkozysme, non pas économique mais sociologique : celui d’un clivage entre des individus que l’on pourrait favoriser et d’autres que l’on pourrait pénaliser. Cette dénonciation d’une masse d’assistés, est une posture à laquelle l’opinion publique peut facilement s’associer en période de croissance. Dans un contexte de crise économique et de hausse du chômage, c’est un jeu électoral dangereux

* A lire sur Nonfiction :

Y a-t-il une idéologie du sarkozysme ?, par Pierre-Henri Ortiz. 

Avec Jean Baubérot, Laurent Bouvet, Myriam Revault d’Allonnes. Débat animé par Frédéric Ménager-Aranyi.

"L'idéologie du sarkozysme" selon Myriam Revault d'Allonnes. 

"Nicolas Sarkozy et la laïcité" selon Jean Baubérot. 

 

- Le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy en perspective historique, par Marion Pinchault. 

Avec Alain Bergounioux, Marion Fontaine, Christophe Prochasson. Débat animé par Emmanuel Jousse.

 

- La politique d’intégration de Nicolas Sarkozy, par Quentin Molinier. 

Avec Frédéric Gilli, Gilles Kepel, Michel Wieviorka. Débat animé par Ivoa Alavoine.

 

- La politique culturelle et d’éducation de Nicolas Sarkozy, par Aïnhoa Jean. 

Avec Frédéric Martel, Olivier Poivre d’Arvor et Olivier Py. Débat animé par Jean-Marie Durand (Les Inrocks).

 

- Les Inrocks publieront demain un article co-signé par Frédéric Martel, directeur de la rédaction de nonfiction.fr, et Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, nourri des réflexions de cette journée d'études. 

 

* Cette journée d'études a été organisée en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, le Huffington Post et les Inrockuptibles.