Tous les mercredis, les journalistes se pressent à la sortie du conseil des Ministres. Bérengère Bonte, rédactrice en chef adjointe d’Europe 1 et présentatrice des “Grands Journaux” de 6h30 et de 8h a elle pénétré l'un des lieux de pouvoir les plus énigmatique de notre république. Confidences, témoignages et anecdotes : entrez dans le secret...

Nonfiction.fr : Votre ouvrage s’intitule « Dans le secret du Conseil des Ministres » mais on s’aperçoit vite que beaucoup dévoilent ces fameux secrets…

Bérengère Bonte : C’était mon but ! Certains, quand même, ont refusé de parler. Et pas forcément ceux que l’on imagine. Jean louis Borloo ou Martin Hirsch m’ont dit très clairement : « On ne parle pas du Conseil des ministres » A l’inverse, Lionel Jospin que l’on penserait plus mystérieux a accepté tout de suite.
Lorsqu’ils acceptent, ils commencent tous par dire la même chose : « Vous savez, il ne se passe rien ou pas grand-chose au Conseil des Ministres. Tout est arbitré avant. ». Mais très vite la discussion s’engage, ils se livrent et on sent, chez eux, la fierté d’avoir assisté à ces Conseils. C’est vrai chez des ministres néophytes comme Bernard Laporte, autant que chez des politiques aguerris.

Nonfiction.fr : Même si tous partagent cette fierté, on comprend vite, en vous lisant, qu’il y a deux catégories distinctes : les poids lourds et les autres.

Bérengère Bonte : Les néophytes rêvent évidemment de rejoindre un jour les têtes d’affiche. Forcément ! Mais ils savent qu’il faut avancer prudemment. Jean Pierre Raffarin parle même de Ligue 1 et de Ligue 2, comme au foot. Il explique très bien comment les ministres de Ligue 2 commencent par observer les codes et les acquièrent progressivement. Malheur à celui qui cherche à griller les étapes.

Nonfiction.fr : Vous abordez aussi la question du formalisme au sein du Conseil des Ministres. Nicolas Sarkozy voulait le transformer. Cinq ans après, il n’y est pourtant pas parvenu.

Bérengère Bonte : Nicolas Sarkozy, lors des premiers Conseils, répétait qu’il allait « dépoussiérer » ce rendez-vous hebdomadaire. Il avait vu notamment la salle où se réunit le gouvernement à Madrid ou à Berlin et il rêvait d’installer les mêmes équipements high-tech dans le salon Murat. Il voulait tout transformer. L’ennui c’est que le lieu où se tient le Conseil est en fait un couloir d’accès à la salle des fêtes. Impossible d’y installer des ordinateurs chaque mardi soir et de les enlever chaque mercredi. Pas moyen non plus de trouver un autre salon aussi grand à l’Elysée.
Finalement, les mois passants, le Président Sarkozy a changé d’avis. En réalité, tout le monde tient au formalisme et à cette solennité un peu austère : ça assoit la fonction présidentielle. Pour lui, le Conseil symbolise vraiment la continuité de l’Etat.
Tous ses prédécesseurs ont d’ailleurs rêvé de moderniser ce Conseil, de le vivifier, de restaurer une part de débat comme au temps du Général de Gaulle. Aucun n’y est arrivé. Valéry Giscard d’Estaing l’a décentralisé plusieurs fois. Mais il a vite arrêté. Et finalement, cinquante ans après, pratiquement rien n’a changé. Même les crayons disposés sur la table ont gardé la même couleur. Crayon à papier pour les ministres, crayon à deux mines (rouge et bleue) pour le Président. C’est vous dire !

Nonfiction.fr : Lieu de secret, lieu de formalisme… et lieu où l’on décrypte les rapports de force …

Bérengère Bonte : C’est même le lieu idéal pour ça. Tout est observé, décrypté. Qui prend la parole ? En quels termes ? Combien de temps? Comment réagit le Président ? Quelle est l’attitude des autres ministres ? Tout compte dans le rapport de force.
Le Président lui-même ne boude pas ce petit plaisir qui consiste à se faire apporter un petit café. Il le demande en arrivant. Privilège de la fonction !

Nonfiction.fr : L’attitude est très importante. Mais on écrit aussi beaucoup pendant les Conseils, on s’envoie des petits mots.

Bérengère Bonte : Oui, et pourtant, à part les secrétaires généraux et le porte parole, il leur est formellement interdit de prendre des notes et donc d’avoir un stylo en main. En fait, les ministres se passent des petits papiers, comme des gosses à l’école. Ca permet d’échanger sur un dossier ou de ricaner sur la communication d’un autre ministre. Parfois, les autres jettent un œil indiscret au passage. Le jeu est subtil. Les Présidents eux-mêmes en envoient, parfois en faisant en sorte qu’ils soient lus. Pendant un Conseil de janvier 2011, Nicolas Sarkozy a fait ostensiblement parvenir un mot de soutien à Michèle Alliot-Marie en pleine polémique sur le printemps tunisien. Le petit mot n’était pas sous enveloppe. Beaucoup l’ont lu au passage. Et forcément, ça s’est su très vite.

Nonfiction.fr : On se croirait effectivement à l’école ! Et d’ailleurs, gare à celui qui arrive en retard !

Bérengère Bonte : Oui, c’est interdit ! L’exemple le plus connu est celui de Jacques Toubon, retardataire maladif, qui n’a pas pu entrer. L’huissier a tenté de venir plaider sa cause à l’oreille du président Chirac. En vain. Toubon est resté dehors. Les semaines suivantes, je peux vous dire qu’il était bien en avance.
Sous De Gaulle, on était aussi priés d’arriver à l’heure. Le pire récit qu’on m’ait rapporté concerne Edgar Pisani qui a osé frapper alors que les portes étaient déjà fermées. Evidemment, il s’est excusé en expliquant qu’il s’était réveillé fiévreux. Pisani, qui était d’origine maltaise, s’est entendu répondre par le Général : « Oui, sans doute s’agit-il de la fièvre maltaise ! » Cette allusion à cette fièvre du bétail a servi d’avertissements à l’ensemble des ministres. Radical !

* Bérengère Bonte, Dans le Secret du conseil des ministes,  Editions du Moment, 2011.

* Propos recueillis par Julien Miro.