Un colloque qui pose la question de la foi du général de Gaulle et celle de son influence sur son action.

 Cet ouvrage collectif, publié par la Fondation Charles de Gaulle, présente les actes du colloque international " Charles de Gaulle, chrétien, homme d’État ", qui s’est déroulé les 13 et 14 novembre 2009 au Collège des Bernardins.

 Les différentes communications posent la question de la foi du général dans le but de déterminer si cette dernière influença son action publique. La problématique générale reprend donc la célèbre distinction opérée par Jacques Maritain afin de savoir si de Gaulle agit " en chrétien " ou " en tant que chrétien ". 

Un catholique social ?

 Dans un premier temps, l’ouvrage s’attache à retracer le croyant qu’a été Charles de Gaulle. Le général est né au sein d’une famille bourgeoise, profondément catholique et très pratiquante. Sa mère " portait à la patrie une passion intransigeante à l’égale de sa piété religieuse ", rappelait-il dès la première page de ses Mémoires de guerre   . Son père Henri, ancien disciple de la conférence Olivaint, a été préfet des études et professeur au collège jésuite de l’Immaculée-Conception ainsi qu’au collège Sainte-Geneviève de Versailles. Ce dernier, d’un catholicisme empreint de traditionalisme, s’est pourtant rallié à la République et s’est conformé à l’encyclique Rerum Novarum qui définissait la doctrine sociale de l’Église. La formation intellectuelle du jeune Charles a déjà été étudiée   : il n’a fréquenté que des établissements confessionnels. L’approche de son sentiment religieux est donc complexe, et Jacques Prévotat en rappelle toutes les difficultés méthodologiques. Néanmoins, le général de Gaulle a pratiqué sa foi avec régularité tout au long de sa vie. Il connaissait d’ailleurs parfaitement les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. À cette profonde imprégnation scripturaire, s’ajoutait enfin l’influence des valeurs du stoïcisme moral et de Nietzsche (Alain Larcan).

 Jérôme Grondeux se demande si le futur général est un catholique social, puisque Le Correspondant est lu dans sa famille et qu’il s’est rapproché, dans les années 1930, de l’équipe du journal L’Aube. Reprenant fort opportunément les travaux de Jean-Marie Mayeur sur l’origine intransigeante du catholicisme social   , il met en évidence la forte imprégnation de ce dernier. En revanche, de Gaulle n’a jamais milité au sein de cette famille du catholicisme français. Il s’en différencie notamment par sa conception de l’État, dont il n’admet pas l’autonomie de la société à son égard. Philippe Portier confirme enfin que la culture politique du général de Gaulle et la matrice du gaullisme sont à chercher dans la théorie de la justice du catholicisme social.

Du militaire au politique

 Le cœur de l’ouvrage s’attache ensuite à l’étude de l’influence de la foi du général de Gaulle sur son action. Xavier Boniface examine le lien entre sa culture religieuse et la manière de servir du militaire. Il démontre que le Général a intériorisé sa foi et qu’il n’a jamais été un défenseur de " l’alliance du sabre et du goupillon ". Dans une contribution injustement discutée selon nous lors du colloque, Étienne Fouilloux s’intéresse à la réaction des catholiques français à l’égard de l’ascension, à partir de 1940, de cet obscur général de brigade à titre temporaire. Il note ainsi la faiblesse des ralliements catholiques à la France libre. À commencer par l’absence des clercs, à l’exception de Georges Thierry d’Argenlieu, en religion le père Louis de la Trinité de l’ordre des carmes déchaux, des dominicains présents en Amérique du Nord, comme les pères Ducattillon et Delos et de quelques séculiers comme l’abbé de Naurois. Les laïcs quant à eux ne sont pas – encore – des personnalités de premier plan (Maurice Schumann, François de Menthon, René Pleven ou Yvon Morandat). La seule exception vient des intellectuels catholiques comme Bernanos, Mauriac, Fumet ou Maritain. D’une manière générale, la très grande majorité des catholiques français est restée loyale au maréchal Pétain, voire même hostile à la " dissidence ". Ce dernier terme, largement utilisé pour désigner les Français ralliés au général de Gaulle trouve, chez les catholiques, un écho particulier, dans la mesure où il renvoie à la thèse classique en théologie de l’obéissance au pouvoir établi. Dans ce contexte, il apparaît pertinent de se demander si l’épuration de l’épiscopat a offert au général un moyen de se venger de la hiérarchie catholique défavorable pendant la guerre. Étienne Fouilloux estime, qu’après bien des hésitations de la part du gouvernement provisoire, elle fut en fait modérée (remplacement du nonce, démission de trois évêques résidentiels et d’un auxiliaire de Paris).

 Sébastien Gué, pour sa part, s’intéresse aux liens tissés de 1958 à 1968 entre le général revenu au pouvoir et le Saint-Siège. Il note que de Gaulle a innové en matière de relations diplomatiques, puisqu’il s’applique à entretenir des rapports personnels avec le Souverain pontife à l’occasion des visites d’État. Il veille cependant à éviter l’ingérence romaine dans les affaires françaises. La question scolaire, qui débouchera sur la loi Debré, était l’un des principaux dossiers en suspens entre Paris et Rome et le général s’y est investi de manière décisive à trois reprises : refus d’une négociation directe avec le Saint-Siège, création de la commission Lapie et invention du " caractère propre " des établissements privés (Bruno Poucet).

De Gaulle face aux autres religions

 Dans une dernière partie, très stimulante, le colloque étudie les rapports entre le général de Gaulle et les autres confessions. Pour Rémi Fabre, ses premiers contacts avec le protestantisme datent de la Seconde Guerre mondiale. On retrouve, à Londres puis à Alger, plusieurs protestants dans son entourage (Pierre Denis, dit " Rauzan ", Jacques Soustelle, André Philipp ou encore son commissaire aux Affaires étrangères au Comité français de Libération nationale et au gouvernement provisoire de la République, René Massigli). En outre, deux des fils du pasteur Marc Boegner, qui présidait à la fois l’Église réformée de France et la Fédération protestante de France, se sont ralliés à lui. Pour autant, l’attitude des Américains et des Anglais au cours de la guerre, mais surtout des Églises d’Angleterre, ne lui furent pas favorables. Élargissant la question, Rémi Fabre s’interroge sur l’œcuménisme du général de Gaulle, dont l’ouvrage de Geoffrey Adams a récemment soulevé la question   . Selon lui, sa position était celle " d’un paroissien de base   " qui n’éprouvait aucune attirance pour le protestantisme.

 Ilan Greilsammer décompose les rapports entre Charles de Gaulle et le judaïsme en trois temps. Avant 1940, le général ne semble pas avoir fait preuve d’un antisémitisme quelconque, en dépit de ses origines sociales, de son éducation et du contexte de l’époque. Après l’Appel du 18 juin et l’aventure de la France libre, il devient même une sorte de héros aux yeux des Juifs, d’autant qu’il condamne d’emblée les mesures d’exception qui les frappent en France. Le changement majeur intervient en 1967, à la suite de la guerre des Six-Jours, avec le début de la " politique arabe " de la France. C’est surtout la conférence de presse du 27 novembre 1967 lors de laquelle le président de la République évoque " un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur " qui marque la rupture. À partir de cette date, c’est un froid glacial qui s’instaure entre la communauté juive de France et de Gaulle.

 Jean-Pierre Filiu traite quant à lui des rapports de Charles de Gaulle et de l’Islam. La question est délicate, en raison de la faiblesse des études en ce domaine. Chef de la France libre, il ne mentionne dans ses discours de guerre que très rarement l’Islam. Il le perçoit davantage comme une force politique que spirituelle et ne l’invoque qu’en relation avec la libération de la France et de son Empire. Après l’indépendance de l’Algérie, les termes " Islam " et " Musulmans " disparaissent du vocabulaire gaullien, au profit du bien plus nationaliste " Arabes ".

Conclusion

 Cet ouvrage collectif de la Fondation Charles de Gaulle est une réussite. Regroupant les principaux spécialistes de la question, il étudie le dossier " De Gaulle, chrétien, homme d’État ". Les virgules du titre sont fondamentales, puisqu’elles soulignent bien que si l’homme fut chrétien, sa foi n’interféra pas dans son action publique.