Entre complexité réelle et diversion stratégique, l’obligation d’un étiquetage informant le consommateur des conditions de fabrication écologique et sociale s’enlise. Ce livre compile les termes du débat.  

La généralisation d’une étiquette environnementale multicritères, sur l’ensemble du cycle de vie des produits de grande consommation, alimentaires notamment, est encore en suspens. Là est le nœud du débat dont ce livre, publié à point nommé   énumère les multiples aspects.

 

Sous le boisseau

Opportune lecture donc, que celle du premier titre de la collection "Débats du développement durable" des éditions T&O, dirigée par Anne-Marie Ducroux, présidente des conseillers environnement du CESE   , pour qui souhaite embrasser les tenants et aboutissants d’une disposition réglementaire ambitieuse reportée sine die en France. Sa vocation : moins donner à savoir qu’à comprendre. S’il se garde de fustiger le report impromptu de la proposition d’étiquetage environnemental "actée" toutefois par les parties prenantes réunies en Grenelle de l’environnement   , au moins, il ne manque pas de relayer leur étonnement de n’avoir pas été exaucées en la matière lors de la loi Grenelle2   .

Un poignard dans le dos d’une initiative célébrée par ailleurs comme exemplaire ! Et qui plus est, une entorse à la loi Grenelle1, votée le 3 août 2009, introduisant l'obligation, dès 2011, d'informer le consommateur sur les ''caractéristiques environnementales et sociales du couple produit/emballage, pour lui permettre de disposer d'une information complète et objective''. But originel : que l'impact environnemental et social d'un produit devienne un critère de choix pour le consommateur, au même titre que la qualité technique, ou gustative... Déjà, laissé à la libre appréciation des entreprises de le briguer ou pas, il y a trente ans, l’écolabel européen   poursuivait exactement ce but : attirer les consommateurs massivement pour qu’ipso facto, les producteurs se convertissent tout aussi massivement à l’éco-conception et aux process verts. En réalité, l’évolution aujourd’hui encore en est à "l’arbre qui cache la forêt". "Le débat ne fait que commencer, note la préfacière, et c’est dans le double contexte de défiance et de sensibilité croissantes que prend place la perspective d’une nouvelle information environnementale sur les produits et services", avant d’inviter chacun à se faire sa propre opinion.

Sophie Fabregat compile dans cet ouvrage intitulé sobrement L’Etiquette environnementale en débat des données factuelles (poids de la consommation, de la distribution ; prémices de l’étiquetage écologique en France, et ailleurs ; état des lieux réglementaire, des méthodologies et des problèmes de vérification…). Elle y interviewe trois experts : Eric Labouze, concepteur d’un étiquetage environnemental pour l’enseigne Casino ; Philippe Joguet, porte-parole mitigé, presque réticent, de la FCD (fédération des entreprises du commerce et de la distribution) ; Christine Cros, de l’Afnor qui conjecture, avec l’Ademe, sur un Graal standard.

Une Arlésienne

"La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution a souligné combien cet intérêt (…) est susceptible de connaître un renversement de tendance", tandis que "les consommateurs demandent en résumé : qui sera responsable de l’information délivrée, à qui peut-on faire confiance ?". La couleur est annoncée : ce livre fait la part belle aux questions plutôt qu’aux solutions prêtes à l’emploi. Chouette, car les "Y a qu’à" ne convainquent plus personne. Pour autant, à la manière des prestidigitateurs, les experts convoqués font d'une certaine manière illusion : ils ont l’air de répondre, de leur point de vue respectif, à un questionnaire univoque. Mais la juxtaposition de leurs témoignages dilue la question plutôt que d’apporter un éclairage net à chaque étape du processus engagé. Entre étiquetage CO2, étiquette/information multicritères, sur une base volontaire, normative ou réglementaire, le propos oscille. Leurs arguments respectifs sont déroulés parallèlement, sans (presque) jamais instaurer de dialectique entre eux. L’apparente impartialité de cette construction déroute.
Obligatoire et reflétant l’ensemble du cycle de vie de tout produit, l’objectif du Grenelle serait-il mission impossible ? Les trois témoins de ce livre entretiennent l’espoir d’y parvenir, tout en arguant la quadrature du cercle. Les termes du débat sont effectivement réunis dans ce livre. Une fois refermé, je ne sais s’il remémore ou déjà commémore les ambitions du Grenelle de l’Environnement en la matière. L’étiquette environnementale multicritères obligatoire est une première étape dont l’issue incertaine est la seule certitude aujourd’hui.

Ainsi, Philippe Joguet (FCD) invoque, pour réaliser ce but, l’indispensable "effort de tous"   mais dans la foulée insiste sur la voix prépondérante des entreprises : personne mieux qu’elles ne connaît les produits et leurs mode de commercialisation ; ne connaît le consommateur final, ne sait lui parler et être à l’écoute de ses besoins…   . Il loue la "prudence du législateur"   tout en affirmant d’ores et déjà que de toute façon une étiquette environnementale franco-française obligatoire serait "ingérable" dans la pratique   .

 

Reculer pour "mieux sauter" ?

Débattue lors du Grenelle de l’environnement   , comme ce livre le relate dans son état des lieux liminaire, l’obligation d’un étiquetage environnemental ambitieux aurait dû être généralisé aux produits de grande consommation   dès 2011. Initialement contenue dans le projet de loi, elle n’a finalement pas été entérinée par le Parlement français. Disposition abrogée donc, le 24 mars 2010, par un amendement de l’Assemblé nationale examinant la loi Grenelle2. Le législateur a préféré "botter en touche" et opter pour l’organisation d’un test dit "grandeur nature"   , d’une durée d’un an "minimum"   . Ensuite, sur la base du bilan confectionné par les entreprises participant à l’expérimentation, il avisera   . En 2013, nul ne sait si le Parlement consacrera, ou enterrera, la généralisation de l’étiquetage environnemental obligatoire, normalisé.   . Rien n’est acquis. Sur ce point, escamoté dans la plupart des échos de presse parus cet été sur le sujet, le livre de Sophie Fabregat a le mérite d’être clair, sans complaisance ni alarmisme excessif.

Le livre retrace l'historique des étiquettes existantes (énergie-eau dans l’électroménager ; énergie-climat dans le bâtiment ou l’automobile…), en montre les limites et décrit les enjeux de l'étiquetage écologique en ébullition. Ô surprise, les "parties prenantes" du Grenelle n'ont pas trouvé dans les lois Grenelle promulguées à ce jour la concrétisation de ce qu'ils croyaient acquis : la généralisation de l'étiquette environnementale.

Affichage “santé-environnement” obligatoire en France pour les produits de construction depuis le 1er janvier de cette année, mais point d’affichage obligatoire, multicritères, sur l’ensemble du cycle de vie de tous les produits de grande consommation : l'étiquette environnementale est expérimentale en ce moment   . Qui l’a remarquée ? Chez Casino, Auchan, Picard, Monoprix… le jeu de piste a été solennellement lancé le 1er juillet 2011. Au même moment, le livre est apparu en librairie.

Une occasion manquée

Plus réceptifs aux sirènes les alertant de l’inextricable complexité de l’exercice, plutôt qu’aux sondages révélant des consommateurs avides d’en savoir plus sur les conditions environnementales et sociales des modes de production et de transport des biens et denrées manufacturés, nos élus ont préféré surseoir à la généralisation d’un étiquetage environnemental global.

Ils sont repentants   et sourds aux témoignages tels que celui-ci, ce qui n’a pas échappé à l’auteur : étiqueter coûte mais l’approche analytique et les mesures qu’elle implique sont l’occasion d’identifier et de réaliser des économies, ces dernières "épongeant" le surcoût de l’étiquetage… L’argument du coût ne tient qu’aux œillères des récalcitrants. Reste la difficulté d’une information exhaustive, appréhendable grâce au(x) miracle(s) de la communication. Voire des TIC   .

Le livre appelle les lecteurs à alimenter le débat, comme on entretient la flamme, par leurs achats et leur participation aux forums, durant ce laps de temps probatoire. L'expérimentation en cours, un peu comateuse les mois passant, implique des entités (entreprises ou regroupement d’entreprises, syndicats, fédérations professionnelles…) de toutes tailles et de tous secteurs qui mettent au service de cette expérience un panier de produits. Un échantillon de leurs gammes respectives est seulement concerné.   .

 

Foire d'empoigne

Résultat de l’opération, pour l’heure, une variété d'étiquettes novatrices on ne peut plus éclectiques ! Or, cette nouvelle information doit en principe accompagner la "croissance verte". Excusez du peu. Mais qu’espérer prouver par ce test : des étiquettes posées sur un échantillon de produits sélectionnés, sur lesquels le client tombe au "petit bonheur la chance" ? Dans ces conditions, qui les remarque ? Qu'y comprendre ? Leur présence est à la fois trop aléatoire pour jouer comme critère d’achat d’ampleur significative et leur look trop foisonnant pour permettre toute sérieuse comparaison. Une diversité de nature à noyer... le chaland. Foire d'empoigne, la "guerre des étiquettes" va à l’encontre de la lisibilité prônée et par conséquent, du choix "éclairé" offert au consommateur. "Un guide de bonne pratique et un document normatif sont en préparation"   , rappellent leurs pilotes respectifs, interviewés dans ce livre. Les défis de l’exercice, distillés au fil de ces pages, l'érigent en entreprise des plus ardues.

 

Beaucoup de bruit pour rien ?

Comme assis entre deux chaises, les experts témoignant dans ce livre laissent planer l’espoir d’une issue heureuse. Parfois du bout des lèvres. Oui, la croissance verte a besoin de consom’acteurs dûment renseignés. Tous le concèdent. Faute de cette incentive que constituerait leur comportement, guidé par cette étiquette, les producteurs ne changeront pas significativement leur façon de concevoir et de fabriquer produits et services. Mais la crainte de mettre l’arme de l’étiquette environnementale à la portée du consommateur perle aussi dans le témoignage des porte-paroles, intervenant dans ce débat. Les experts restent, au fond, dubitatifs sur l’usage qui pourrait être fait des efforts en cours… Tétanisés par le spectre d'une taxation écologique sur cette base, peut-être ?   . Voilà qui augure mal d’un débat en train de se muer en serpent de mer. D’où l’interpellation adressée aux lecteurs pour qu’ils ne laissent pas les "décideurs" seuls maîtres à bord. Là réside la principale stimulation dont ce livre fort documenté est porteur