Ce lundi 23 janvier, le Parlement français vient d’entériner la proposition de loi déposée par la députée (UMP) Valérie Boyer (rapporteur du texte), visant à réprimer la négation de tous les génocides reconnus par la France dont le génocide arménien de 1915. L’Assemblée nationale avait d’ors et déjà adopté la proposition le 22 décembre dernier. Après une onde de critiques de la part de personnages publics français et de menaces diplomatiques provenant de la Turquie, le Sénat ratifie la proposition par 127 voix pour et 86 voix contre.

Mais de quoi s’agit-il ? Cette proposition de loi qui a tant fait débat ces derniers temps ne constitue pas une nouveauté. Déjà en 2001, les parlementaires français ont intégré dans la législation, la reconnaissance du génocide arménien perpétré en 1915 par l’Empire Ottoman. Cette première étape fut secondée par le dépôt d’une proposition de loi à l’Assemblée nationale en 2006, visant la pénalisation de la négation de ce génocide. La ratification n’avait jamais vu le jour jusqu’à ce lundi 23 janvier 2012. Il convient de savoir quel est le contenu de cette proposition de loi qui a provoqué tant de remous à la fois sur les bancs des assemblées et au niveau des relations entre Etats (France-Turquie). Le point de discorde de cette proposition se situe dans l’insertion d’un nouvel article dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ce nouvel article permet de pénaliser la contestation de l’existence du génocide arménien, autrement dit une répression de la négation de ce génocide, quiconque s’y risquerait, sera soumis à une amende de 45 000 € et une peine d’emprisonnement d’un an.

La ratification de cette proposition ne s’est faite ni dans la douceur, ni à l’unanimité. La gauche sénatoriale s’est déchirée sur le positionnement à suivre lors du vote, le Ministre des affaires étrangères et européennes ne soutient pas la proposition. Autre reproche, la nouvelle législation intervient à seulement trois mois des élections présidentielles et législatives, ainsi les objectifs électoralistes – et peut-être le sabotage de la candidature de la Turquie à l’entrée dans l’Union Européenne - apparaissent comme des leitmotiv de l’urgence de la ratification. L’électorat arménien représenterait environ 500 000 personnes en France et la candidature de la Turquie patine. En période de campagne, l’interrogation ne parait pas si dénuée de sens.
Cependant le débat se situe également en dehors du champ politique, il a notamment des implications dans le champ intellectuel. Les "luttes" scientifiques autour des problématiques concernant les (re-)constructions du passé et les incidences des lois dites "mémorielles" (terme qui ne fait pas consensus) agitent toujours la communauté des spécialistes (historiens, politistes). Dans un article publié le 27 décembre 2011 dans le journal Le Monde : "Lois mémorielles : pour en finir avec ce sport législatif purement français", Pierre Nora, historien et président de l’association Liberté pour l’histoire, rappelait l’importance de s’ériger contre l’ingérence des pouvoirs législatif et judiciaire dans le domaine de la recherche scientifique, car ce qui est en jeu c’est l’indépendance même de la recherche. Toutefois, l’ensemble de la communauté des historiens ne s’inscrit pas dans cette trajectoire, Gérard Noiriel et le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire se distinguent des positions de Liberté pour l’histoire. Divergence sur le fond, G. Noiriel et le CVUH réfutent l’idée de "lois mémorielles ", divergence sur la forme, ils privilégient le combat civique à l’imposition d’une opinion sous-couvert de la compétence de l’"historien". Le CVUH et ses membres sont davantage animés par la dénonciation du "politiquement correct" de certains de leurs collègues.

Avec les différentes contestations que peuvent, ici où là, soulever la pénalisation de la négation du génocide arménien, une interrogation reste en suspens : quelle menace pèse sur l’autonomie de la recherche ? Ces lois mémorielles entraîneront-elles son musèlement ? Avec la ratification de cette proposition de loi, nous assistons à un échec cuisant des mobilisations pour l’indépendance de cette recherche, qui ne demande qu’à être épargnée de la prescription historique