Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur il y a un peu plus de deux ans, le 1er décembre 2009. Il a modifié le fonctionnement de l'UE et les équilibres entre ses différentes institutions. Nonfiction a réalisé un bilan d'étape avec Charles-Etienne Lagasse, auteur de l'ouvrage Les institutions européennes après le Traité de Lisbonne, aux éditions Erasme (2010). Charles-Etienne Lagasse est docteur en droit. Il enseigne à l'ICHEC, l'IHECS et l'ISFSC à Bruxelles.

 

Nonfiction.fr- Dans quelle mesure le Traité de Lisbonne a-t-il modifié l'équilibre institutionnel dans l'UE ?

Charles-Etienne Lagasse- Le traité de Lisbonne a permis une avancée réelle, mais limitée. On a abandonné les symboles mais on a gardé l'essentiel. La codécision, par exemple, a été étendue ainsi que la majorité qualifiée. Les compétences ont, de même, été clarifiées. Cependant, on constate que l'intergouvernemental a pris le pas sur la méthode communautaire, ce qui n'est pas souhaitable. Si le Traité de Lisbonne a renforcé le Parlement européen, la Commission européenne a perdu du terrain. Elle pourrait pourtant s'appuyer sur le Parlement européen mais elle n'a pas saisi, pour l'instant en tout cas, cette opportunité de bâtir des coalitions. Parallèlement, on constate une dynamique intergouvernementale très forte. Il faudrait compenser la montée en puissance du Conseil européen par un tandem Commission-Parlement surtout que même le Conseil des ministres est en perte de vitesse. On le voit bien avec les présidences tournantes. La présidence polonaise qui a achevé ses travaux fin décembre a fait un bon travail mais d'un point de vue médiatique, seul le Conseil européen émerge.

Nonfiction.fr- Le Conseil européen est-il devenu "le gouvernement économique de la zone euro" comme le souhaitait Nicolas Sarkozy ?

Charles-Etienne Lagasse- Ce ne serait pas souhaitable en tout cas. On ne peut pas demander aux chefs d'Etat de jouer le rôle de gouvernement économique. Ce sont les institutions communautaires, la Commission, qui doivent remplir ce rôle. L'accord du 9 décembre dernier est un bon exemple. Pourquoi a-t-on choisi un traité plutôt qu'une coopération renforcée ? Juridiquement, rien n'empêchait d'opter pour une coopération renforcée ; celle-ci nécessite l'accord de 9 Etats membres. L'argument de l'urgence ne tient pas non plus. Mettre en œuvre une telle coopération prend du temps mais un traité aussi.

Nonfiction.fr- Faut-il interpréter ce choix en termes politiques ?

Charles-Etienne Lagasse- Oui, bien sûr. On transfère officiellement au niveau des chefs d'Etat le gouvernement économique.

Nonfiction.fr- Quelle appréciation faites-vous de la présidence de l'ancien premier ministre belge, Herman Von Rompuy ?

Charles-Etienne Lagasse- On attendait qu'il ait une conception modeste de sa fonction. Et il a effectivement été très modeste vis-à-vis de Nicolas Sarkozy et d'Angela Merkel dont il dépend, notamment, pour sa ré-election. Il doit donc naviguer. Il aurait pu défendre sa propre vision des institutions européennes. Herman Von Rompuy partage une vraie philosophie supranationale et communautaire. Le paradoxe est, peut-être, de l'avoir nommé à ce poste.

Nonfiction.fr- Michel Barnier a proposé la fusion des postes de président du Conseil européen et président de la Commission européenne. Y êtes-vous favorable ?

Charles-Etienne Lagasse- Non. Il faut que la Commission joue le rôle de gouvernement de l'Union européenne. Elle ne doit pas se diluer dans une organisation de chefs d'Etat. Les logiques de fonctionnement du Conseil européen et de la Commission européenne sont différentes. Si on veut construire un Etat européen et respecter la séparation des pouvoirs, il ne faut pas créer de confusion. Il faut un Parlement qui pourrait comprendre un Sénat (le Conseil des ministres) et une assemblée nationale (le Parlement européen), avec un gouvernement (la Commission européenne) et un exécutif (le Conseil européen).

Nonfiction.fr- L'UE a désormais un responsable des Affaires étrangères à plein temps. La création de ce poste a-t-elle apporté des améliorations en ce qui concerne la diplomatie européenne ?

Charles-Etienne Lagasse- Le rôle de Catherine Ashton qui cumule plusieurs casquettes n'est pas facile. Mais c'est important d'avoir une sorte de ministre des Affaires étrangères européen. L'existence d'un seul représentant de la diplomatie européenne est un pas dans la bonne direction. Le fait qu'il existe désormais des délégations de l'Union européenne à l'étranger est un réel progrès sur la voie de la simplification de la représentation extérieure. En revanche, le fait que Mme Ashton préside désormais la Conseil des Affaires étrangères ne me semble pas opportun. Elle pourrait simplement faire rapport à ce Conseil dont sont membres les ministres des Affaires étrangères des Etats membres. Par ailleurs, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) que dirige Mme Ashton permet également de coordonner les positions entre les 27 mais je regrette que la vision de la politique étrangère qu'il défend reste pour l'instant un peu trop cloisonnée aux questions de défense et de sécurité. La politique étrangère doit être multisectorielle du militaire à la culture et à l'éducation

* Propos recueillis par Estelle Poidevin.