nonfiction.fr : Kaboul Disco est une forme très particulière de BD, entre le carnet de voyage, le roman, l’autobiographie…

Nicolas Wild (dessinateur de Kaboul Disco) : J’aime beaucoup voyager, et le carnet de voyage, les livres de voyages, les BD de Delisle par exemple (voir la critique sur nonfiction.fr) me fascinent. J’ai vécu notamment aux Etats-Unis, où j’ai illustré les poèmes qu’avait écrit un milliardaire suisse. Ensuite j’ai essayé de travailler dans l’animation, mais ça n’a pas marché. Finalement j’ai commencé à faire un carnet de voyage en Inde, où j’ai vécu six mois. Je le publiais exclusivement sur un blog. Kaboul Disco est mon premier album de voyage conçu pour être publié, il est très différent du blog sur l’Inde, beaucoup plus romancé, scénarisé. J’avais publié avant des albums de fiction, et là je n’avais pas d’idée. Je voulais faire un album, mais je ne savais pas sur quoi écrire. Et puis on m’a envoyé cette offre de travail pour être dessinateur dans une agence de communication à Kaboul et je me suis dit "ça a l’air sympa". Sur place j’ai tout de suite eu l’idée de faire un album, mais je ne savais pas trop quelle forme ça allait prendre.


nonfiction.fr : On ne voit pas beaucoup d’Afghans dans Kaboul Disco, ça paraît un peu bizarre dans un carnet de voyage…

Nicolas Wild : En fait il y a une double raison à ça. D’abord parce que les Afghans sont des gens très pudiques, et qu’il aurait été difficile de faire une BD qui soit fidèle et ne travestisse pas la réalité. En arrivant, j’avais même pensé faire un recueil de témoignages de guerre dessinés, et je me suis rapidement rendu compte que ce ne serait pas possible. J’ai alors décidé de faire une BD sur ce que je pouvais observer en toute liberté, et que je connaissais le mieux : les expats. Du coup, même si j’ai eu beaucoup plus de contact avec des Afghans que je ne montre dans la BD, je me suis concentré sur la vie en vase clos et les activités de l’agence de communication dans laquelle je travaillais. Les expatriés sont déjà un sujet très intéressant en eux-mêmes. Par exemple, on croise beaucoup de "professionnels" des ONG, qui font tous les pays "à la mode" dans le monde des humanitaires. C’est bizarre parce qu’il y a des pays où personne ne va, et des pays où tous les humanitaires se ruent en même temps, parce que tout le monde y est.


nonfiction.fr : La vision de votre travail et de la vie en général en Afghanistan est présentée de façon très décalée, avec beaucoup d’humour. Pourtant ça ne doit pas être une partie de plaisir de travailler à Kaboul ?

Nicolas Wild : En fait Kaboul est un monde un peu à part. Les talibans sont surtout intéressés par le narcotrafic, alors on était relativement tranquilles. L’hiver est une saison très calme, puis avec le printemps, les attentats reprennent. La seule chose qu’on peut vraiment redouter en tant qu’occidental, ce sont les enlèvements. Mais le monde des expatriés n’est pas homogène. Il y a une grosse différence entre les grosses ONG et l’ONU qui vivent dans d’énormes guesthouses et les conditions dans lesquelles nous vivions. On a beau se retrouver au restaurant français ou à l’ambassade pour voir Bernadette Chirac, on ne vit pas la même chose. C’est vrai que le climat était parfois tendu, mais dans l’ensemble, la BD est très fidèle à ce que je ressens, et à ce que j’ai vécu sur place.   


nonfiction.fr : Dans la BD, vous travaillez avec une américaine qui a quasiment permis la victoire de Georges W. Bush contre Al Gore, alors que la télévision l’annonçait déjà perdant. C’est une histoire vraie ?

Nicolas Wild : (rires) Oui bien sûr. Tous les événements de Kaboul Disco sont réels. J’ai changé les noms, souvent j’ai accentué les traits des personnages pour les rendre plus caricaturaux et amusants, mais les faits et les situations, le travail que l’on faisait sur place, etc, tout cela est vrai. Ce qui est drôle c’est que je pensais que certains membres de Sayara (l’entreprise de communication pour laquelle N.Wild travaillait ndlr) n’allaient pas du tout apprécier l’image que je donnais d’eux, notamment Valentin Spidault, l’un des patrons de Sayyara. Mais en fait quand je lui ai envoyé les planches storyboardées, il a adoré, il a trouvé son personnage très drôle. Alors plus il aimait, plus j’en rajoutais dans le côté mégalomaniaque, et plus il trouvait ça drôle.


nonfiction.fr : Vous avez également réalisé une BD éducative pour les enfants Afghans, Yassin et Kâkarouf.

Nicolas Wild : La BD de Yassin et Kâkarouf faisait partie d’un projet de réforme de la justice assez vaste, et qui s’appuyait beaucoup sur la jeune génération. Les Afghans ont perdu toute confiance dans les institutions et la justice en particulier, alors cette BD devait expliquer aux enfants, qui n’étaient pas encore complètement désabusés, le fonctionnement du Parlement, la Constitution, les droits de l’homme, etc.


nonfiction.fr : Quel était le rapport des Afghans à l’image, après les très sévères lois talibanes, et notamment comment a été accueillie la BD de Yassin et Kakârouf ?

Nicolas Wild : Jusqu’à 2001 l’image est quasiment absente du quotidien des Afghans. Du coup, la libération a donné lieu à une recherche boulimique et constante d’images, de contenu, de culture étrangère. En plus le retour d’une partie de la diaspora a créé un dialogue et une communication autour de l’image, de l’éducation, etc. La diaspora est une chance pour ce pays. Il y a même une école d’art maintenant à Kaboul, et quelques peintres réussissent à vivre de leur travail.

Quant à la BD de Yassin et Kâkarouf, elle a été très bien accueillie apparemment. Malheureusement on n’a pas pu aller dans des écoles pour le voir directement, mais les échos qu’on a eus sont très positifs. D’ailleurs je vais refaire de nouvelles aventures de Yassin et Kakârouf cette année.


Propos recueillis par Laure Jouteau