Il y a dix ans était créée autour du jeune député Arnaud Montebourg, encore peu connu, la Convention pour la VIe République (C6R), reprenant ainsi des idées présentes dans son livre-manifeste La Machine à trahir. Rapport sur le délabrement de nos institutions (Denoël, 2000), dans le but de faire un peu de bruit dans le landerneau politique et intellectuel de la gauche française.

Aujourd'hui, il faut reconnaître que cette structure est cliniquement plus ou moins morte et que les derniers signes de vitalité qu'elle a démontrés remontent à 2008, lors de la révision constitutionnelle, qui, de fait, avalisait une partie de ses thèses, en renforçant – bien plus en théorie qu'en pratique – un parlementarisme, qui n'avait pourtant jamais été autant rationnalisé que sous l'hyper-présidence sarkozyste. Quant à Arnaud Montebourg, il semble avoir pris ses distances avec cette structure, qu'il avait confiée à un proche – François Colcombet, qui défendit le oui au traité constitutionnel européen en 2005, en opposition à Montebourg – et beaucoup de membres de la C6R se sont apparemment éloignés du fougueux député de la Bresse depuis qu'il est devenu conseiller général puis président du Conseil général de Saône-et-Loire lors des élections cantonales de 2008, mettant ainsi à mal son célèbre cheval de bataille qu'était le non-cumul des mandats, également un des thèmes majeurs des partisans de la VIe République. Pour rappel, le néo-cumulard avait alors affirmé, en réponse à ceux qui l'accusaient d'avoir trahi ses idéaux de jeunesse, que l'on pouvait « être croyant mais non pratiquant » du non-cumul...

L'origine et les idées qui sous-tendent l'initiative citoyenne de la C6R sont relatées notamment par Paul Alliès – lequel préside la C6R depuis 2009 – dans son bel ouvrage Le grand renoncement. La gauche et les institutions de la Ve République (Textuel, 2007). Partant du constat que le « ralliement » de la gauche dite de gouvernement aux institutions crées par le Général de Gaulle n'avait pas permis à celle-ci de porter ses idées institutionnelles – François Mitterrand s'étant montré plus royaliste que le roi, par la pratique de la cohabitation notamment, et en présidentialisant le régime de manière quasi-monarchique –, une certaine frange du Parti socialiste, dans une démarche rappelant le volontarisme des « Jeunes Turcs » radicaux d'un autre temps, s'était fortement opposée à la ligne alors dictée par la majorité de Lionel Jospin, encore à la tête du gouvernement. Et il faut reconnaître que la suite des événements, après la création de la C6R en 2001, allait voir d'une certaine manière confirmer ce constat, l'inversion du calendrier électoral – la présidentielle avant les législatives –, décidée de manière quelque peu péremptoire par Lionel Jospin, et le choc de son élimination au premier tour du 21 avril 2002 renforçant l'idée que la victoire de la gauche est institutionnellement peu évidente, même dans un contexte où la droite est en difficulté.

La gauche peut-elle être soluble dans la Ve République ? Cette fatalité de la défaite, martelée en son temps par un Pierre Mendès France, en posture d'opposition au régime gaullien, redevenait plus que jamais d'actualité, même après les victoires présidentielles de François Mitterrand, dont l'opportunisme et le sens politique semblaient durablement manquer à la gauche de gouvernement.

 

Le volontarisme affiché d'Arnaud Montebourg et l'ambiguïté cultivée par François Hollande

Or, depuis les divisions nées du référendum européen de 2005 et depuis la révision constitutionnelle de 2008, qui porte aujourd'hui les idées de VIe République à l'heure de la campagne présidentielle ?

Malgré toutes les critiques qui lui ont été adressées au moment de son renoncement personnel au non-cumul des mandats et malgré son attachement farouche – avec le succès que l'on sait, y compris d'un point de vue personnel – à l'idée des primaires citoyennes, renforçant pourtant la personnalisation du régime propre à la Ve République, Arnaud Montebourg semble être l'un des seuls à défendre aujourd'hui de manière fréquente et volontaire une VIe République, mêlant cette conviction au terme vague de la « rénovation » – c'est d'ailleurs sous cette bannière qu'il est devenu secrétaire national du Parti socialiste après le calamiteux congrès de Reims de novembre 2008. Avec le concours du constitutionnaliste et politologue Bastien François   , il a en effet publié en 2005 une Constitution de la VIe République (Odile Jacob, 2005) sous-titrée, de manière un peu spectaculaire, Réconcilier les Français avec la démocratie, dans laquelle il plaidait pour un régime primo-minstériel « à l'anglaise », réduisant le président de la République à des fonctions représentatives mais aussi à un rôle potentiellement décisif d'arbitre, ainsi qu'à un renforcement du pouvoir des parlementaires, ressuscitant au passage l'idée de « contrat de législature » chère à Mendès France et exposée dans son maître-livre de 1962 La République moderne (Gallimard).

Si Arnaud Montebourg n'a jamais vraiment abandonné ces idées, il s'en est tout de même quelque peu éloigné en défendant bec et ongles, et ce dès 2009 en prenant modèle sur la victoire d'Obama aux Etats-Unis, le principe des primaires citoyennes – qui ont bien entendu tendance à renforcer le poids de l'élection présidentielle au détriment des législatives – en le ramenant au thème de la  nécessaire rénovation de la gauche française.

Durant la campagne des primaires, la VIe République n'a pourtant pas été absente des débats et certaines, telles Ségolène Royal ou Martine Aubry, s'en étaient relativement rapprochées, reprenant en particulier le chantier du non-cumul des mandats. Avant le second tour opposant Martine Aubry à François Hollande, Arnaud Montebourg avait d'ailleurs osé l'expression sans doute trop audacieuse de «  VIe République en acte » lorsqu'il adressa aux deux « impétrants » une lettre ouverte exposant de manière transparente ses idées et ses réserves et, de façon cavalière, les appelant à lui répondre sur différents points, et en particulier sur la question des institutions.

François Hollande, de manière plus convaincante que Martine Aubry, répondit point par point à la lettre d'Arnaud Montebourg sur les questions institutionnelles, mais en cultivant une certaine ambiguïté : « Ton dernier point concerne la VIe République : j’ai la conviction que, sur ce point, nos positions sont aujourd’hui très proches. Tu sais que je ne suis pas attaché à numéroter la     République. Les adjectifs qui l’accompagnent me suffisent : selon notre constitution, elle est indivisible, démocratique, laïque, décentralisée. Cela me convient. […] Je ne suis pas, tu le sais, favorable à la suppression de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Celle-ci a ses inconvénients : un excès de personnalisation des campagnes électorales et la tentation qui s’ensuit de concentrer les pouvoirs entre les mains du seul vainqueur. Ces inconvénients sont à l’évidence décuplés lorsqu’ils sont conjugués à l’élection d’un président qui lui-même privilégie un exercice solitaire et autoritaire du pouvoir. Mais j’en vois aussi les forces. Quelle autre élection peut autant mobiliser les citoyens, intégrer les jeunes au jeu démocratique, permettre un débat de société aussi partagé ? ».

Pour autant, le candidat finalement désigné pour représenter les socialistes et les radicaux de gauche à la présidentielle de 2012 rejoignait clairement le chantre de la VIe République sur les thèmes de la morale politique – conflits d'intérêts en particulier –, le non-cumul des mandats, le renforcement du contrôle parlementaire et l'indépendance de la justice et des médias. Aujourd'hui, quelle est la place de la VIe République dans la campagne actuelle du candidat François Hollande ? Il faut reconnaître que, dans le contexte de la crise de l'euro et des finances publiques, le thème n'est pas très porteur et audible – bien que les questions institutionnelles ne soient pas absentes, tant s'en faut, des dysfonctionnements actuels. En réalité, il semble bel et bien que la VIe République ait été purement et simplement bannie dans le vocabulaire du candidat et les seules fois où l'on en entend parler, c'est de la bouche de l'ancien candidat à la candidature Arnaud Montebourg qui n'a pas de rôle officiel dans la campagne.

Ainsi, lors d'un débat organisé par Le Monde (7 décembre 2011) à l'occasion de la publication récente de l'ouvrage Les Grandes crises politiques françaises, 1958-2011 (Gérard Courtois (dir.), Perrin, 2011), le député de Saône-et-Loire s'est retrouvé face au ministre de l'agriculture Bruno Le Maire, défendant ses positions bien connues : « Aujourd'hui, nous sommes dans une impasse démocratique. Le leadership et la puissance de l'exécutif ne me gênent pas, à condition que les chefs rendent des comptes. C'est la question-clé de la démocratie. Or nous sommes dans un système qui favorise la possibilité d'abuser de la puissance et qui organise l'irresponsabilité à tous les étages, au lieu de la reddition des comptes. Quels que soient les hommes, la trop libre disposition du pouvoir mène à l'excès et à l'abus. […] Soyons pragmatiques. Nous avons besoin de changer le système et de renforcer les contre-pouvoirs : le pouvoir judiciaire dont il faut faire une autorité indépendante, celui des collectivités locales qui sont des monarchies locales et doivent également être démocratisées, celui enfin du Parlement qui est une chambre croupion et que la réforme de 2008 a, plus encore que par le passé, transformé en chambre d'enregistrement. C'est l'esprit de la VIe République que je défends. »

Mais, dans la campagne présidentielle actuelle, l'idée de VIe République apparaît aussi marginale que son défenseur, devenu véritable électron libre au sein de son parti – pourtant fort de ses 17% du premier tour de la primaire –, et dont les dernières déclarations sur la politique allemande et la corruption au sein de la fédération du Pas-de-Calais vont sans doute isoler davantage.

 

Changer de République ou changer la République ?

Car, pour reprendre le titre d'un article de Laurent Fabius (« Changer la République sans changer de République », Revue du Droit Public et de la science politique en France et à l'étranger, janvier-avril 2002), beaucoup de socialistes considèrent en réalité que la question du régime politique n'est pas la plus importante, que la Ve République n'est certes pas la panacée mais que la gauche a déjà réussi à dompter par deux fois l'élection présidentielle à laquelle les Français semblent attachés, comme en témoigne la place qu'elle occupe dans l'espace médiatique, d'autant plus depuis la réforme du quinquennat.

C'est pourtant bien cette vision que Paul Alliès désignait comme étant un « grand renoncement » mais il faut admettre aujourd'hui que les egos, omniprésents au Parti socialiste, ont trouvé des institutions à leur mesure avec celles de la Ve République. Même des partis contestataires comme les Verts ou les partis d'extrême gauche n'imaginent pas ne pas être présents à cette grand-messe médiatique et politique qu'est devenue l'élection présidentielle, alors que la vie politique semble être caractérisée par un climat de campagne électorale permanente. En effet, comme le souligne Gérard Courtois, rappelant les faiblesses de la Ve République : « l'élection présidentielle est devenue une obsession structurante de notre vie politique, qui a refaçonné les stratégies et le profil même de ses acteurs et étouffé le rôle des partis politiques. »

La question de la VIe République serait-elle anodine à l'aune des autres enjeux de la campagne ? Il ne faut pourtant pas négliger les questions institutionnelles et le rôle du droit constitutionnel dans la consolidation de la démocratie, comme le montre à point nommé le magnifique ouvrage de Guillaume Sacriste, La République des constitutionnalistes. Les professeurs de droit et la légitimation de l'État en France (1870-1914), récemment publié aux Presses de Sciences Po, dans lequel il est démontré le rôle éminent de la science des constitutionnalistes au moment de la construction républicaine de la France