S’appuyant sur de nombreux documents et témoignages ainsi que sur les souvenirs de l’auteur, cette biographie s’inscrit au plus proche de la vie de Michel Petrucciani mais péche parfois par manque de cohésion.

Pianiste de jazz hors pair, Michel Petrucciani a influencé une génération considérable de musiciens et marqué nombre d’esprits par sa simplicité et son humanisme. Atteint d’une ostéogénèse imparfaite dès la naissance, il a su dépasser son handicap pour offrir au monde une œuvre considérable, dont certaines pièces magistrales telles September 2nd , Miles Davis’licks, Looking up ou Brazilian suite. Retracée récemment sur les écrans par le réalisateur Michael Radford, la vie de Michel Petrucciani fait également l’objet d’un livre écrit par Benjamin Hallay, l’un de ses amis. Cette intimité a le mérite de lui offrir un nombre colossal d’informations, de souvenirs et de lettres, permettant d’être ainsi au plus proche de la vie de Michel Petrucciani.

À travers anecdotes et témoignages, l’auteur revient tout d’abord sur l’enfance de Michel Petrucciani, dans le sud de la France, entre Orange et Montélimar. En révélant le cadre familial et musical qui le vit grandir, l’auteur explore avec rigueur les sources dans lesquelles s’est construit le talent du pianiste. Il s’attarde évidemment sur ce père passionné de musique, particulièrement exigeant, rigoureux et possessif, mais pour qui Michel gardera une grande admiration. Il décrit également l’éveil musical du jeune musicien, de son apprentissage classique à ses premières émancipations jazzistiques alors qu’il a à peine une dizaine d’années. C’est à cette époque qu’il fait des apparitions, jouant avec son père et ses frères, dans différents bals et restaurants de la région, et suscitant l’admiration de certains auditeurs. Comme en témoigne d’ailleurs un jazzman dans le film de Michael Radford, il est déjà à 13 ans  "ce pianiste qui sonne comme un Noir désabusé de 38 ans, enlisé à Mexico dans un piano bar". Pourtant, même s’il force l’admiration des musiciens qui le voient jouer, même s’il possède déjà à 15 ans un style personnel et une virtuosité incroyable, cela ne suffit pas à expliquer son avènement dans le monde du jazz. Ce sont notamment les rencontres décisives avec divers artistes, habilement retracées par l’auteur, qui expliquent la trajectoire fulgurante du musicien. Grâce à la proximité des festivals de Crest ou d’Antibes, de nombreux jazzmen américains passaient régulièrement dans la région, certains s’arrêtant parfois quelque temps en Ardèche. Ainsi, certaines rencontres déterminantes sont mentionnées par l’auteur, à l’instar de celles avec Kenny Clarke, Tox Drohar ou Mike Zwerin et Aldo Romano avec qui il enregistra en 1980 son premier album, Flash.

Son voyage en Californie, où il part rejoindre Tox Drohar, et sa rencontre avec Charles Lloyd, constituent alors les clés lui ouvrant les portes d’une carrière mondiale. Surpris par ce jeune prodige, le saxophoniste retrouva l’envie de reprendre son instrument, abandonné depuis quelques années. Les différentes versions sur cette rencontre divergent toujours selon qui la raconte mais Petrucciani s’en souvient comme suit : "Lloyd me propose de jouer sur son piano et il disparaît brusquement. Je croyais l’avoir vexé puis, soudain, j’ai entendu le son énorme de son saxophone, comme un râle. On a joué jusqu’à 7heures du matin sans s’arrêter"   . Dès lors, tout s’enchaîne très rapidement pour Michel Petrucciani, intégrant dans un premier temps le quartet de Lloyd pour plusieurs albums avant de prendre son envol avec la création de son propre trio   et de rencontrer l’ensemble des artistes phares de la scène américaine du jazz. Ne voulant perdre une seconde de sa vie qui s’annonçait courte, beaucoup de témoignages illustrent la folle allure à laquelle vivait Michel Petrucciani. Ainsi, il se produit au "Village Vanguard" alors qu’il a à peine 21 ans en 1984, signe très rapidement sur le prestigieux label Blue Note, puis joue avec un nombre considérable d’illustres "pointures" du jazz; Charlie Haden, Roy Haynes, Lee Konitz, Wayne Shorter, Freddie Hubbard, Joe Henderson, Dave Holland, Sarah Vaughan, entre autres.

L’auteur retranscrit alors de manière précise la montée en puissance de Michel Petrucciani, de sa reconnaissance par l’ensemble de ses pairs à l’accumulation des honneurs en passant par ses tournées mondiales incessantes, et rend compte de cette vie de "rock star" qu’il menait. L’exhaustivité de l’écriture, en décrivant tous les concerts de certaines tournées, la multitude des partenariats et des productions, illustre l’intensité du quotidien du pianiste. Si cette exhaustivité nuit parfois au caractère littéraire de l’ouvrage, celle-ci aura par contre le mérite de satisfaire le lecteur passionné ou l’universitaire travaillant sur Petrucciani qui y trouvera pléthore d’informations précises et datées. La mise en perspective des témoignages, des lettres et des différentes anecdotes recueillies permet alors de saisir l’énorme volonté de travail qui animait Michel Petrucciani mais aussi les doutes qui parfois l’assaillaient. À travers cette transcription croisée de son matériau biographique, l’auteur parvient également à illustrer les divers excès auxquels se livrait le pianiste et les signes précurseurs de la fatigue qui aboutiront à sa mort à Manhattan, un jour de janvier 1999, à l’âge de 36 ans.

Construit en parties distinctes et indépendantes, le livre manque d’une cohésion qui aurait donné une force supplémentaire à cette biographie. Par ailleurs, la dimension affective de l’écriture irritera certains lecteurs, notamment lors des passages où l’exercice biographique devient pure idolâtrie. Cependant, l’information que nous livre l’auteur s’avère passionnante, elle livre un portrait émouvant de l’artiste tout en révélant les lignes expliquant l’ascension fulgurante de cet "homme de verre" dans le monde du jazz. Mais au delà des aspects musicologiques de l’œuvre, cet ouvrage rappelle la magnifique leçon d’humanité et de courage que constitue la vie de Michel Petrucciani