Huit jours après la mort de François Mitterrand, son médecin Claude Gubler révélait au grand public la longue maladie dont il était atteint depuis 1981 dans Le Grand Secret (Plon). On relit dans le recueil d’articles que Pierre Nora vient de faire paraître, Historien public, une défense de la publication du livre que le docteur Gubler dut retirer de la vente face aux poursuites de Danielle Mitterrand. " Non seulement il doit à ce verdict l’auréole du martyr bouc émissaire et la sympathie de principe qu’inspirent les victimes de l’Inquisition, mais voilà Le Grand Secret providentiellement arraché à la poubelle journalistique où il était bien parti pour échouer et promis à devenir ce qu’il est : un grand document d’histoire".   . La censure en littérature n’a pas fini de desservir ceux qui l’exercent. C’est le mérite principal de l’exposition "Editeurs, les lois du métier" qu’inaugure aujourd’hui la Bibliothèque publique d’information (Bpi) du Centre Pompidou que de rappeler cette règle élémentaire.

Elle remet en effet utilement en perspective historique les relations conflictuelles qu’entretiennent les éditeurs et la loi depuis la Seconde Guerre mondiale en France. On y revisite avec intérêt les véritables combats politiques que menèrent des éditeurs engagés comme François Maspero et Jérôme Lindon- chez Minuit- pendant la guerre d’Algérie. Les nombreuses correspondances entre éditeurs montrent ce qu’il fallut de solidarité dans la corporation des gens de lettres pour que des œuvres aussi importantes que L’Algérie hors la loi (Seuil, 1955) de Colette et Francis Jeanson, La Question (Minuit, 1958) d’Henri Alleg ou Tombeau pour 500 000 soldats (Gallimard, 1967) de Pierre Guyotat contournent la censure du pouvoir. Les monographies de Maurice Girodias et Jean-Jacques Pauvert traduisent la ténacité qu’il leur fallut pour surmonter sa pudibonderie à l’occasion de la publication des fameux Sexus de Miller, Lolita de Nabokov et des Œuvres de Sade. On renoue aussi avec des figures aujourd’hui méconnues de l’édition de la seconde moitié du XXe siècle, comme Régine Desforges, Eric Losfeld, Georges Biélec ou Claude Tchou. Enfin, on saisit une part de l’évolution des mœurs du monde de l’édition, où la censure pour raisons politiques a laissé place à des affaires judiciaires plus étroitement liés à des enjeux déontologiques- les plagiats répétés de l’historien François-Georges Dreyfus en sont un exemple- ou à la remise en cause du statut de la fiction- songeons au roman d’Eric Bénier-Burckel, Pogrom (Flammarion, 2006), accusé d’incitation à la haine raciale parce qu’il dépeignait un personnage violemment antisémite.

Ainsi, cette exposition coproduite par la Bpi, la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges (Bfm) et l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec), relayée par un site Web bienvenu, donnera-t-elle aux étudiants qui se pressent au deuxième étage du Centre Pompidou l’occasion de connaître l’histoire des livres qu’ils consultent autant que les livres qui ont fait l’histoire

 

* "Editeurs, les lois du métier. Mœurs, économie, politique", du 9 novembre 2011 au 9 janvier 2012, Bpi, Centre Pompidou, niveau 2.

Colloque :

Vendredi 25 novembre à l’Imec, Abbaye d’Ardenne, St-Germain-la-Blanche-Herbe
Lundi 28 novembre à la Bpi, Centre Pompidou, niveau -1.

 

A lire :

- Gisèle Sapiro, La responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale (XVIIIe-XXIe siècle), Seuil, 2011.

- Agnès Tricoire, Petit traité de la liberté de création, La Découverte, 2011.

- Emmanuel Pierrat (dir), Le livre noir de la censure, Seuil, 2008.

- Bernard Joubert, Dictionnaire des livres et journaux interdits, Cercle de la Librairie, 2007.