Il ne faut pas que cette question des rapports arts et sciences – qu’il s’agisse des sciences "dures" ou des sciences "humaines" ; mais aussi de l’art classique ou de l’art contemporain - soit entièrement colonisée par ces propositions soit bavardes soit momifiantes. Mieux vaut tenter de faire droit à des réflexions et des pratiques irrespectueuses sur et de ces rapports que de laisser les uns et les autres (organisateurs, artistes, scientifiques, institutions) surfer sur des modes ou amplifier des projets d’esthétisation de l’espace public à coup d’ornements pseudo-scientifiques ou artistiques. C’est en tout cas ce que montre le dernier numéro paru de la revue Raison Présente, titré "Arts et Sciences : réalisations et projets d’interférences".

A l’encontre des associations uniquement ludiques entre arts et sciences, que pouvons-nous espérer de ces rapprochements si, par exemple, ils arrivent à prendre le chemin d’une véritable interférence ? Sûrement une nouvelle fécondité pour les recherches des uns et des autres, accompagnée d’un assouplissement des rapports entre les personnes, dans une société qui pratique plus la juxtaposition que l’interrogation réciproque et l’astreinte à dégager des objets communs.

Au terme de la prospection entreprise par ce numéro de la revue Raison présente, par Dominique Lecourt (philosophe), Jean-Pierre Luminet (physicien), Camille Prunet (spécialiste d’art contemporain), Jacques Mandelbrojt (mathématicien) et d’autres auteurs, des pistes diverses sont livrées aux lecteurs, montrant que de nombreux travaux portent actuellement sur les rapports entre représentation (sciences) et présentation (arts), sur les rapports ou les non-rapports possibles entre arts et sciences, sur le dépassement de leur opposition dans une conception nouvelle de la culture, sont en cours et ouvrent des pistes pour la construction d’un entre-deux entre Arts et Sciences, appelant les uns et les autres à se mettre au travail en écoutant l’autre.

La revue en question cherche à engager des interférences entre arts et sciences, à faire travailler ensemble des activités hétérogènes. Dans ce dessein, il faut plutôt être attentif à ne pas se plier à n’importe quelle composition. L’interférence se propose bien moins de résoudre des problèmes que d’en énoncer. Après avoir examiné diverses propositions, ce numéro nous fait comprendre que le rapport que les arts - et les arts contemporains en particulier - pourraient entretenir avec le monde scientifique s’avérerait très vite problématique. Entre autres choses, il faut éviter de reproduire le vieux schéma : à la science, le savoir, aux artistes, le soin de transposer les connaissances que produisent les sciences. L’une se verserait dans l’autre qui n’aurait alors pour tâche que d’illustrer la pensée résumée dans la première. Aussi, dans ce qu’on appelle "arts-sciences", de nos jours, il manque habituellement l’un des deux : soit les arts, soit les sciences.

Il en va de même dans la plupart des débats tournant autour de Arts et Techniques, alors que, d’une part, Art et Techniques se déploient dans une société (donc il ne convient pas de faire croire à une extériorité entre Art, Technique et société) ; d’autre part, l’époque moderne démultiplie les rapports entre Art et Technique, soit que l’un apporte quelque chose à l’autre (l’artiste a besoin de techniques qui peuvent s’améliorer), soit que s’instaurent entre eux des sources d’inspiration, soit qu’il s’agisse d’une confrontation critique.

En un mot : "les fameux conflits de l’Art et de la Société, de l’Art et de la Technique, de l’Art et de la Science masquent le vrai problème qui est celui de l’insertion dans la vie des sociétés d’une fonction d’un type particulier en dépit de l’infinie mobilité des œuvres", écrivait déjà Pierre Francastel   ; "l’opposition de l’Art et de la Technique se résout dès qu’on constate que l’art est lui-même, dans une certaine mesure, une technique (opérations et instruments)"  

Olivier Bickart