Rien d’apparemment comparable ne ressort, tant sur le fond que sur la forme, entre les essais de Benoît Hamon et Manuel Valls. Les divergences d’appréciations ne doivent pas cacher les points communs à ces hommes, tous les deux à l’orée d’une carrière politique d’envergure.

La quête d'une génération

Benoît Hamon et Manuel Valls publient chacun un livre de réflexions et de propositions pour l’avenir. L’énergie du changement, paru au Cherche-Midi pour Manuel Valls et Tourner la page paru chez Flammarion pour Benoît Hamon. Derrière ces deux expressions évoquant la rupture, rien d’apparemment comparable ne ressort, tant sur le fond que sur la forme. Le propos de Manuel Valls, synthétique et ramassé, tient dans un petit format, celui de Benoît Hamon dans une édition plus classique et approfondie. Les deux essais sont à l’image des postures prises par ces hommes dans l’échiquier politique du Parti socialiste. L’un fait le choix du "nous" si naturel dans la bouche du porte-parole du parti, l’autre n’hésite pas à écrire "je" à l’aune des primaires auxquelles il est candidat. Rien de plus normal puisque le catalan plaide sa propre cause et le breton celle du parti… mais aussi de Martine Aubry, seule candidate à ne pas avoir pris part à la rentrée politique littéraire. Ces divergences d’appréciations ne doivent pas cacher les points communs entre ces hommes à l’orée d’une carrière politique.

La souche rocardienne commune

Quelques années les séparent et ils sont venus en politique par des chemins proches. Tous les deux ont arpenté les bancs de la fac d’histoire et ont fait l’expérience du poste d’assistant parlementaire (Pierre Brana, député de Gironde, pour Hamon et Robert Chapuis, député de l’Ardèche, pour Valls ). Surtout, ils sont d’une génération née dans le sillon rocardien. Benoît Hamon fut président et fondateur du Mouvement des jeunes socialistes, mouvement auquel Michel Rocard a donné son indépendance et qui a aussi été un vivier du rocardisme. Quant à Manuel Valls, il a été le conseiller aux affaires étudiantes de Michel Rocard. La synthèse gouvernementale de Lionel Jospin les réunira dans les cabinets ministériels, celui de Martine Aubry pour Benoît Hamon et celui de Lionel Jospin pour Manuel Valls. Le premier poursuivra sa carrière au sein du parti alors que Manuel Valls va connaître l’expérience d’un exécutif local à la mairie d’Evry.

Tous les deux ont donc été formés dans ce courant interne du Parti socialiste : le rocardisme. Ici ou là pointe dans les deux récits une critique du mitterrandisme, la nécessité d’une politique économique "réaliste", ce qu’on a pu appeler le "réalisme rocardien" (c’est presque un euphémisme) et une indispensable culture de gouvernement. C’est plus particulièrement vrai chez Manuel Valls, qui rappelle par exemple le souvenir de Pierre Mendes-France, mais aussi "l’exigence éthique" et "l’obligation de vérité", chères à Michel Rocard. Impossible par contre d’aller plus loin et d’évoquer cette fameuse "deuxième gauche" rassemblant les "cathos de gauche", les modernes, les modérés ou de tenter une comparaison entre le Nouveau Parti Socialiste dont Benoit Hamon fut le cofondateur avec Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, et le Parti Socialiste Unifié.
Pourtant, indéniablement, le "fait du rocardisme" irrigue leur parcours politique. Ils ont la volonté d’embrasser la réalité et de porter une parole de vérité, critiquant les compromis historiques du socialisme dont ils rejettent les conséquences. Comme Rocard l’a été, Valls est classé à droite de la gauche. Comme pour le "rocardisme", Hamon veut démontrer l'effort d'une génération de militants, "ma génération" écrit-il, pour penser le socialisme sans et après Mitterrand et Jospin.

L’écart

Ils acceptent cette réalité économique telle qu’elle est, c’est-à-dire libérale, mais la connivence de leurs pensées s’arrête là. L’idée d’une taxe sur les flux financiers les rassemble, mais le désaccord émerge lorsqu’il s’agit de l’utilisation de cette ressource. Benoît Hamon porte trois thèmes qui doivent servir le combat socialiste : retrouver le sens du progrès social, l’affirmation de la démocratie et la lutte contre l’ultralibéralisme. Il constate les dérives historiques du capital et pose de bonnes questions alors que Manuel Valls propose un regard et des solutions à court terme pour inscrire la victoire de la gauche en 2012. Lecture historique de l’Europe et du monde d’un côté, un abécédaire de propositions de l’autre, chacun tente de constituer la trame d’un discours socialiste à l’image de ce XXIème siècle, le siècle de l’incertitude et de l’ultra-communication. Valls se réclame de "l’optimisme de la volonté face au pessimisme de la raison" et revient sur les thèmes qui lui sont chers : l’autorité, le travail, la sécurité. Hamon pose clairement le choix aux socialistes entre "s’accommoder du système en place ou tourner la page du néolibéralisme".

Le sens ou l’action

La politique d’une gauche réformiste prônée par Manuel Valls est une réaction permanente à l’actualité et aux nécessités de la crise. Elle est faite de fermeté sur la laïcité ou l’immigration Elle est le maillage du désendettement indispensable, de la protection sociale et de la compétitivité des entreprises françaises à travers une sorte de protectionnisme éclairé capable de respecter des règles du capitalisme tout en empêchant les délocalisations et en protégeant le consommateur. C’est un appel à une rigueur politique qu’il ne considère pas comme de l’austérité. C’est un regard sans crispation sur la mondialisation, considérée comme une chance, plutôt qu’une menace. C’est plus généralement, à travers cet abécédaire optimiste et non exhaustif des propositions d’actions pour redonner du sens à la politique.

Benoît Hamon, quant à lui veut avant tout redonner du sens à l’action politique et à l’action des socialistes. Sans fuir la réalité de la dette des pays occidentaux, il explique au contraire les raisons et les mécanismes qui ont conduit à cette situation. Le constat appelle à un profond changement de notre modèle de développement fondé sur le libéralisme, modèle dans lequel la social-démocratie des années 90 a, selon lui, sa part de responsabilité. Il met particulièrement en avant (sans doute aussi afin de se défaire une bonne fois pour toutes de son image d’anti-européen) la nécessité d’une relance du processus de construction de l’union politique européenne. Cette réflexion à la fois historique et actuelle est un regard sans concession sur la mondialisation et les conséquences de la déconnexion des marchés financiers de l’économie réelle. Dans la situation économique réelle, vécue au quotidien, l’austérité n’est pas acceptable. C’est la bataille pour l’égalité qui doit permettre au socialisme d’offrir à la fois une vision et des perspectives d’avenir

Comme un écho l’un à l’autre, cette nouvelle génération, qui peine à émerger faute d’alternance politique, s’adresse autant aux électeurs qu’aux militants et à leurs dirigeants. De l’aile gauche à l’aile droite du parti, ces rocardiens de souche démontrent une nouvelle fois que le socialisme est construit sur des courants dont beaucoup constituent des critiques de la vieille maison socialiste.

Ces courants, dont les antinomies se sont exprimées à toutes les époques, ont maintes fois fait vaciller le Parti socialiste jusqu’à des crises majeures. Ces deux essais s’appuient pourtant sur la même problématique : sur quelles valeurs construire l’union des socialistes, celles du peuple de gauche ou celles de la social-démocratie ?

Si l’un se plaît à la lumière et l’autre tente de l’apprivoiser, leurs démarches affirment une même volonté, celle de rentrer dans un processus historique d’accession du socialisme au pouvoir, ce qui reste la vocation et le sens même de ce mot