Le livre-programme offensif du candidat de la démondialisation. 

La rentrée littéraire fut politique. Hormis Martine Aubry, l’ensemble des prétendants à l’investiture socialiste s’est fendu d’un plaidoyer pro domo, d’un manifeste ou d’un recueil d’entretiens pour mieux asseoir son entrée en campagne. Premier candidat déclaré à la primaire après Manuel Valls, Arnaud Montebourg a entamé sa campagne dès l’automne 2010 avec un essai aussi politique que personnel, Des idées et des rêves. L’entrée en lice des autres candidats et le retour attendu de DSK l’ont encouragé à poursuivre sa stratégie de "gauchisation", en s’appuyant sur le concept provocateur de démondialisation. Nous devons à la vérité d’écrire qu’Arnaud Montebourg a réussi à imposer cette notion- et parfois même les termes dans lesquels elle est abordée- dans le débat public   . Pour mieux saisir les enjeux de cette idée force de la campagne du député de Saône-et-Loire, il est utile de se reporter à son livre programme, Votez pour la démondialisation !, paru le 25 mai dernier. Dans le registre pugnace et tribunicien qui caractérise ses discours, Arnaud Montebourg y présente en 86 pages une critique sévère du processus de la mondialisation, son choix d’un protectionnisme européen et vert et sa volonté de redonner à la politique une place centrale dans la vie quotidienne des Français.

 

La politique aux mains de la finance

Le premier chapitre, composé de récits successifs de vies ordinaires brisées par la folie destructrice du capitalisme, pose le ton. Pour Arnaud Montebourg, il est indiscutable que la mondialisation de l’économie est la cause de tous nos maux. Elle aggrave le chômage des pays du Nord et renforce l’esclavagisme des travailleurs des pays du Sud. Loin d’enrichir les classes moyennes des pays émergents, elle sert les multinationales qui recueillent les fruits de trente ans de néo-libéralisme. "Alors, il y a l’argument massu(e) de la classe moyenne chinoise qui se serait développée. 80 millions de Chinois gagnent aujourd’hui plus de 20 000 dollars par an. Sur 1,4 milliard, c’est 5% de la population, ce n’est pas beaucoup !"   . Pendant ce temps, la mondialisation provoque des délocalisations et des destructions d’emplois massives en France. Montebourg s’appuie sur les travaux de l’économiste Jacques Sapir pour évaluer "les pertes directes et indirectes liées aux délocalisations" à "environ 4% de la population active", en passant sous silence le débat récurrent sur la légitimité de ces chiffres. Peu importe, pour Montebourg, ce qui est inacceptable, c’est le pouvoir qu’a pris le CAC40, cette nouvelle "noblesse antipatriotique (…) qui s’allie avec l’étranger contre la France, comme à l’époque de Coblence ou Valmy, celle qui investit et travaille pour des économies qui nous font concurrence…"   . La comparaison historique est osée, tant elle joue avec les mêmes symboles que le nouveau discours lepéniste. Néanmoins, le propos est clair : nous ne pouvons plus accepter que la démocratie et la justice sociale soient dévoyées au profit de l’avidité des marchés et de la machine libérale toute-puissante. Dès lors, comment renverser la domination idéologique des partisans du libre-échange, qui fournissent le gros des troupes de l’élite vieillissante qui nous gouverne ? C’est Emmanuel Todd   qui a soufflé la réponse à Arnaud Montebourg.

 

Le tabou du protectionnisme levé

En effet, une enquête de Todd qui aboutit à l’essai Après la démocratie (Gallimard) révélait en 2008 que 53% des Français étaient favorables au protectionnisme, en particulier les jeunes (67% contre 18% chez les 18-24 ans) et les ouvriers (63% contre 19%)   . Pourquoi alors ne pas prendre des mesures draconiennes pour instaurer un protectionnisme auquel l’opinion était déjà préparée avant le déclenchement de la crise ? Peut-être parce qu’une majorité d’opinions ne fait pas une majorité politique, pourrait-on répondre. Et parce qu’il faudrait commencer par définir ce que serait le protectionnisme européen, vert et social voulu par Arnaud Montebourg.

Dans ce débat, les mots comptent en effet autant que les idées qu’elles désignent. On ne saurait reprocher au président du conseil général de Saône-et-Loire de fonder son programme sur le protectionnisme et la démondialisation, deux mots qu’une grande partie de la classe politique ne s’émouvrait pas d’employer à l’abri des micros. Cependant, ils renvoient aussi à un champ sémantique du repli sur soi et de la peur inhabituel à gauche. D’autant plus que le candidat le plus à gauche sur l’échiquier de la primaire ne peut se permettre en ces temps de crise d’associer à son programme de démondialisation des promesses de lendemains qui chantent. En effet, pour Montebourg, la mondialisation n’est pas un fait économique et culturel installé par trente ans d’échanges commerciaux à l’échelle de la planète, mais un processus accepté et même voulu par le pouvoir politique. La démondialisation doit donc mettre un coup d’arrêt définitif à "ce système extrémiste et inhumain" et à l’idéologie qui le soutient. Mais on ne saura pas quel monde cette déconstruction ferait émerger.

A tout le moins a-t-on une idée à la lecture de cet essai des moyens à mettre en œuvre pour faire respecter "l’impératif écologique." Arnaud Montebourg propose de s’appuyer sur des mesures déjà présentes dans des accords internationaux. La première, issue de l’accord instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), permet à n’importe lequel des membres de cet organisme de déroger à l’ouverture de ses frontières si "des circonstances exceptionnelles" menaçant les ressources naturelles épuisables l’exigent. "Tous les pays du monde peuvent donc, y compris la France, limiter les importations de produits qui dégagent plus de CO² que ceux que nous produisons en Europe." Montebourg évoque ici un levier d’action pour la France alors qu’il se réclamait d’un protectionnisme européen quelques pages plus tôt   pour se différencier du "protectionnisme haineux et revanchard de l’extrême droite" et de son "apoplexie nationaliste". On se perd parfois entre propositions politiques concrètes et stratégies politiques abstraites.

 

Un puzzle d’idées adressé au(x) peuple(s) de gauche

Ne nous y trompons pas néanmoins, ce plaidoyer pour la démondialisation s’adresse bien à l’électorat de gauche, et en particulier aux déçus du chevènementisme et de l’altermondialisme. Il s’approprie le cheval de bataille des premiers par une critique sévère de l’égoïsme allemand   . En effet, Montebourg considère le modèle de l’économie allemande comme profondément contreproductif puisqu’il consiste à adosser les profits des entreprises à l’aggravation des déficits des autres pays européens. L’Allemagne d’Angela Merkel n’exporte aussi bien qu’au prix d’une baisse des salaires et d’une précarisation de ses propres travailleurs. Notre ambition devrait donc être de construire "une Europe de l’anti-modèle allemand", fondée sur la discipline budgétaire, la hausse conjointe des salaires en France et en Allemagne et le maintien de l’euro   .

Par ailleurs, le recyclage d’idées keynésiennes préconisé par Montebourg vise à séduire ceux qui pensent possible de construire une social-démocratie à l’échelle mondiale, débarrassée de ses excès libéraux. Pour cela, le candidat socialiste appelle l’Union européenne à conditionner l’ouverture de son marché au respect des normes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) : l’interdiction du travail des enfants, le non recours au travail forcé, le droit reconnu aux salariés de s’organiser pour négocier collectivement leur contrat de travail, et la non-discrimination en matière d’emploi. Vaste programme ! Croit-on vraiment que l’ensemble des pays émergents serait prêt à y accéder ? Montebourg ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’il propose également que l’UE exige de ses partenaires le même engagement écologique qu’elle s’est imposée à elle-même : "réduire de 20% en 2020 ses émissions de gaz à effet de serre."   Sans oublier une taxe européenne sur les transports de marchandises dont le coût est dérisoire pour les exportateurs mais très élevé pour l’environnement.

Cet assemblage hétéroclite de solutions néo-keynésiennes et protectionnistes, mâtiné d’une attention particulière à "l’impératif écologique", esquisserait donc le socialisme de transformation qu’Arnaud Montebourg appelle de ses vœux. L’aggravation de la crise économique et le succès d’Eva Joly à la primaire d’Europe Ecologie Les Verts- sur une ligne sociale et non purement écologiste- l’ont sans doute convaincu de tenir un discours ferme sur les inégalités en s’adressant prioritairement aux classes populaires. Au détriment des priorités écologiques exposées avec insistance dans Votez pour la démondialisation !. Ce petit opuscule avait sans doute le mérite de confronter le logiciel socialiste à ses contradictions les plus caricaturales au moment où il traverse une crise politique sans précédent. Le jeu de la primaire tient cependant Arnaud Montebourg dans l’étau du sacro-saint devoir d’unité, au point que la cible principale de ses attaques se limite aujourd’hui aux marchés et à la finance. Votez pour la démondialisation ! ne déroge pas à ce répertoire belliqueux et hostile au règne des agences de notation. Néanmoins, ses 17 propositions clés pour dépasser la mondialisation reposent peut-être trop sur un mélange de mesures techniques et de concessions à un discours critique qui se contente de slogans : la démondialisation plutôt que la mondialisation, le retour du politique plutôt que la loi des marchés, la vérité du peuple plutôt que la trahison des élites, le socialisme de transformation contre le socialisme de gestion, le protectionnisme vert au lieu du libre-échange débridé.

Tous ceux qui reconnaîtront l’effort de rénovation intellectuelle ébauché par Arnaud Montebourg seront sensibles aux arguments cohérents de son livre. Il n’est pas certain toutefois que ceux dont l’indignation face aux injustices de la société française est intarissable se retrouvent dans ses accents technocratiques, sa veine écologique légèrement forcée et son wishful thinking   assumé

 

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