Lors des commémorations à "Ground Zero" du dixième anniversaire des attentats du 11 septembre, l’actuel président des Etats-Unis, Barack Obama, et son prédécesseur, George W. Bush, se sont tenus côte à côte dans un moment de recueillement et de prière. Ce tableau d’un rare moment d’unité mettait aussi en scène deux visions diamétralement opposées de l’héritage laissé par les attaques terroristes. D’un coté il y avait le républicain George W. Bush. L’homme dont les deux mandats à la tête des Etats-Unis ont été marqués par la "guerre contre la terreur" sur les fronts afghan et irakien. Mais aussi sur le territoire américain, avec des mesures sécuritaires comme le Patriot Act qui ont empiété sur les libertés individuelles des citoyens. De l’autre il y avait le démocrate Barack Obama, dont l’une des premières annonces fut la fermeture du camp de détention de Guantanamo mais dont tout le monde se souviendra paradoxalement pour la mort d’Oussama Ben Laden.

Dans son discours, Obama a parlé du "désir de passer d’une décennie de guerre à un avenir de paix"   . Bush, lui, a choisi de lire une lettre écrite par Abraham Lincoln à une veuve dont les deux fils sont morts pendant la guerre de Sécession : "Je ne peux m’empêcher d’essayer de vous consoler en vous montrant la gratitude de la République pour laquelle ils sont morts". Les différences entre Bush, resté coincé au stade de la guerre contre le terrorisme et Obama, tourné vers des perspectives de stabilité et de paix, révèlent les débats qui se poursuivent aux Etats-Unis sur l’héritage des attaques du 11 septembre, notamment entre les deux grands partis politiques du pays.

Les divisions entre les camps républicain et démocrate se font sentir dans de nombreux domaines. Cet été, le débat interminable sur le relèvement du plafond de la dette a montré l’étendue de la polarisation du débat public américain et la crise de gouvernance qui s’en suit. L’establishment du Parti républicain préserve la même attitude vis-à-vis de "9/11" que George Bush. La Chambre des représentants, avec à sa tête le républicain John Boehner, a d’ailleurs fait passer une résolution renouvelant son vœu de ne "jamais oublier ce qui s’est passé le 11 septembre 2001". Dans sa déclaration à la presse, J.Boehner a mis l’accent sur le travail accompli par l’armée et les renseignements américains dans leur lutte contre le terrorisme. Avant d’enjoindre ses concitoyens à "ne pas se reposer jusqu’à ce que la menace terroriste ne soit vaincue".
A l’inverse, Obama essaie de laisser derrière lui ce lourd héritage et préfère rester discret sur le sujet. Comme l’explique le journaliste du New York Times Scott Malcomson, "Obama fait très peu de références à 9/11 en public". Mais le passé vient souvent le hanter : il a retrouvé son meilleur pourcentage d’avis favorables depuis longtemps avec l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden. En effet, en deux jours sa cote de popularité est passée de 47% à 56%. Même après les deux mandats de George W. Bush, la mémoire et le deuil du 11 septembre restent des instruments politiques importants.

Des opinions critiques de l’utilisation de l’héritage du 11 septembre abondent, à la fois chez les progressistes et dans le camp républicain. David Corn, journaliste politique américain pour la revue Mother Jones, tient un regard très critique sur l’évolution qu’a connue son pays depuis 10 ans. En pointant du doigt les dérives sécuritaires et la manipulation du débat national qui a suivi les évènements du 11 septembre, il se lamente : "Le choc de 9/11 n’a pas rendu les Américains plus perspicaces". Il s’appuie notamment sur une enquête de 2011 de l’université du Maryland : 31% des américains croient toujours qu’il y a un lien entre le 11 septembre et l’Irak et 47% d’entre eux croient qu’il y avait vraiment des armes de destruction massive chez Saddam Hussein. L’éditorialiste de l’hebdomadaire The Nation Eric Foner s’en prend aussi à l’emprise des conservateurs sur le débat national depuis 2001 : "les conservateurs ont réussi à faire croire qu’une analyse des causes du 11 septembre équivalait à sa justification". C’est l’appauvrissement du débat national qui est le plus critiqué par la sphère libérale. En effet, la "guerre contre la terreur" semble cannibaliser les autres chantiers américains, tels que l’économie ou les questions sociales. L’emblématique journaliste et présentateur de NBC, Tom Brokaw pose ainsi la question : "Quelles guerres sommes-nous en train d’oublier ?".

Dans le cadre de la primaire républicaine pour les élections présidentielles de 2012, une autre vision de l’héritage du 11 septembre se fait entendre, notamment sous l’impulsion du Tea Party. L’interventionnisme de l’Amérique, vu dans l’invasion de l’Irak par l’administration Bush en 2003 ou dans l’augmentation d’attaques aériennes de l’armée de l’air au Pakistan sous Obama, a fait resurgir un courant de pensée isolationniste chez les conservateurs. Dans une logique de réduction drastique du rôle de l’Etat fédéral, la mouvance Tea Party cautionne un retrait des Etats-Unis dans les affaires internationales. Cette position a été critiquée par Bush lors de son discours à la cérémonie de commémoration des victimes du vol United 93 le 10 septembre dernier : "La tentation de l’isolement est une erreur fatale". Cela dit, malgré ces divergences de points de vue, les candidats républicains à la primaire n’ont pas fait campagne pendant la journée du 11 septembre. En effet, l’instant d’un week-end, la nation américaine s’est montrée unie. C’était ce qu’elle s’était promise le lendemain des attentats de 2001