* La nouvelle rédaction de L'Arche nous informe qu'un nouveau numéro de la revue doit paraître en novembre, et qu'un site Internet sera lancé en octobre. L'Arche renaît donc de ses cendres. 

 

Quelque chose du judaïsme français est mort au printemps dernier. Une revue, L'Arche, publiée par le Fonds social juif unifié depuis 1957, a cessé de paraître. Ses parrains institutionnels ne souhaitaient plus supporter le coût financier de cette publication, déficitaire depuis plusieurs années et dont le nombre de lecteurs, quelques milliers, baissait. La mort de L'Arche en rappelle une autre, dans un silence inquiétant pour le débat intellectuel français : celle de la Revue d'études palestiniennes, survenue en 2008. Ces deux publications ont été des mines d'or pour l'universitaire, le militant et le curieux. Faute de rentabilité, les voici disparues.

Le premier numéro de la Revue d'études palestiniennes paraît à l'automne 1981. Publié par l'Institut d'études palestiniennes (créé à Beyrouth en 1963), elle est alors diffusée chaque trimestre en France par les éditions de Minuit. L'éditorial fondateur, ''un peuple comme les autres'', proclame l'engagement à défendre le droit des Palestiniens à un État et ''l'attachement à une terre spoliée'', qui se traduit par la volonté d'écrire de manière exhaustive sur la Palestine et les Palestiniens, qu'ils vivent dans les territoires occupés de Gaza et de la Cisjordanie, en Israël, dans les camps de réfugiés des pays arabes alentours comme en diaspora à travers le monde.

Dès ses premières lignes, la revue insiste sur un point fondamental, le refus du dogmatisme : ''S'il est au centre de ces choses le peuple palestinien n'y est pas seul. La compréhension du conflit passe obligatoirement par la double connaissance des facteurs qui l'ont engendré et des situations complexes qui en ont résulté. Cela signifie qu'il faut instituer un territoire d'expression pour toutes les approches qui, des études arabes aux analyses de l'antisémitisme en passant par celle du sionisme, de la société israélienne, de la colonisation, des conflits stratégiques entre les Puissances, traversent ce carrefour''. Cette exigence se complète d'un appel au débat : ''Cela suppose également qu'on partagera l'espace de la parole avec tous ceux que ces questions concernent, d'où qu'ils viennent, du moment que le souci de la vérité guide leurs travaux, et que les anime le respect du droit des peuples à la dignité et à la liberté''.

D'abord dirigé par Roger Nab'aa puis par l'historien Elias Sanbar   , la revue compte parmi ses plumes régulières des voix arabes qui jouent un rôle considérable en France : les journalistes Samir Kassir et Farouk Mardam Bey   Leila Shahid   et l'historien Camille Manssour. Certains grands noms de la recherche sur le Moyen-Orient, comme Maxime Rodinson et Henry Laurens participent à cette aventure intellectuelle et politique.



L'Arche était la revue des judaïsmes français, touchant au politique, à la culture et à la religion. Bien que directement liée aux institutions juives, elle a su afficher une indépendance éditoriale originale et être une publication riche et stimulante.

En 1969, le premier chapitre de l'enquête dirigée par Edgar Morin, La rumeur d'Orléans, parait dans le ''mensuel du judaïsme français''. Albert Cohen et Albert Memmi y publient aussi des textes inédits. Quelques années plus tard, l'historienne Annie Kriegel, commence à y tenir une chronique et ce pendant deux décennies. Sévère contre les critiques d'Israël et exigeante avec ce pays, elle livrait ses analyses politiques sur Israël et le Moyen-Orient, le judaïsme en Diaspora, ainsi que les relations Est-Ouest et la vie politique française. En 1980, quand les premières réactions après l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic dénonçaient une attaque de l’extrême-droite, elle pencha vers une piste palestinienne et vit juste. Au fil de la relation entre le CRIF et les pouvoirs publics, sous la présidence de Théo Klein (1983-1989) elle mit en avant le risque d’une manipulation du premier par les seconds. Le journal a alors comme directeur de rédaction Roger Ascot, de 1981 à 1993.

Dans les années 1980 et 1990, des historiens et sociologues, aux approches fort différentes, comme Pierre Birnbaum, Esther Benbassa, Shmuel Trigano et Annette Wieviorka (tous ayant bénéficié de la matrice intellectuelle et universitaire d'Annie Kriegel) ont fait de L'Arche un outil précieux pour les amoureux de l'histoire des Juifs et de leurs relations au vaste monde. Ce qui aurait pu se réduire à un journal communautaire a constitué un lieu de formation, un journal où s'aiguisaient des plumes qui connaissent par la suite une carrière nationale d'envergure. Jean-Luc Allouche, correspondant de Libération à Jérusalem pendant les ''jours terribles'' de la Seconde Intifada, fut rédacteur permanent de L'Arche des années 1980. Claude Askolovitch (fils de Roger Ascot), compta parmi les contributeurs réguliers, tout comme Antoine Spire. Dans les pages consacrées au cinéma au théâtre et surtout à la littérature, on pouvait lire alors les articles de Myriam, Georges-Marc Benamou et Serge Moati.

 

Surprendre son lectorat plutôt que détruire les adversaires

Riches par leurs contenus, les deux publications défuntes étaient engagées, et la Revue d'études palestiniennes, si elle avait une forme et un rythme universitaires, ne ménageait pas sa dénonciation des politiques d'Israël. Mais, l'une comme l'autre avaient su, bien avant la violence de la Seconde Intifada et des années 2000, surprendre.

L'Arche a parfois pris le temps de la distance critique, y compris en ce qui concerne le soutien à Israël. En replongeant dans les vieux numéros, on découvre une publication où le débat et la remise en question avaient toute leur place, sans rien enlever de l'attachement que beaucoup de Juifs, en France, portent à Israël. Prenons l'exemple d'une polémique qui n'a rien perdu de son actualité : les réactions de la communauté juive organisée à l'invitation faite par François Mitterrand à Yasser Arafat à Paris au printemps 1989. Roger Ascot avait eu cette phrase concernant les excès de certaines manifestations : ''Un jour l'on dira combien cette effervescence peut s'expliquer psychanalytiquement par l'absence des uns et des autres en Israël, où les choses se passent''   .


Concernant la Revue d’études palestiniennes, un épisode mérite d'être souligné tant il semble éloigné de la façon dont le débat se déroule aujourd'hui dans notre douce France où chacun aime confirmer ses certitudes. Dans un numéro daté de 1991, un échange de grande tenue est publié sous le titre ''Pour une relance du processus de paix''   . A Camille Mansour, Hammadi Essid (ambassadeur de la Ligue Arabe à Paris) et Elias Sanbar, se joignent André Azoulay, Théo Klein et Alain Finkielkraut. Pour une revue lue par un public très critique d'Israël, inviter les deux derniers n'allait pas de soi. Comme président du CRIF de 1983 à 1989, Théo Klein avait souvent défendu l'image d'Israël, pays dont il a volontairement pris la citoyenneté depuis 1968   . Quant à l'auteur de l'essai Le Juif imaginaire, il se présente à cette occasion comme un ''sioniste de réputation''. Ces vingt-cinq pages d'un débat sans concession ne semblent plus inspirer beaucoup de cercles militants de nos jours.

L'Arche de ces dernières années avait beaucoup perdu de son sens du débat et se focalisait à chaque numéro sur l'antisémitisme dans les télévisions arabes, turques et iraniennes du Moyen-Orient. Le lecteur, quelle que soit son opinion politique, ne pouvait qu'être lassé de lire cette haine qui, si elle doit être analysée et dénoncée, ne peut devenir un simple apport éditorial régulier. La Revue d'études Palestiniennes a connu le paradoxe d'une cause (celle de la Palestine) pour laquelle on compte plus de manifestants, de blogueurs et commentateurs sur Internet que de lecteur d'une publication exigeante.

Sur les étals des librairies, ces dernières années, la fureur des excès ne connaît pas la crise. Ce n'est pas tant le conflit israélo-palestinien en lui-même qui passionne, plutôt ses multiples échos français. Il est frappant de constater que le style consacré de nombreux essais est celui de la démolition. Rien ne sert de citer des sources variées, de douter, de développer des analyses à travers une dialectique, d'essayer de comprendre. Il convient de détruire l'adversaire, d'établir des listes de personnalités à disqualifier. Cela fait vendre, ce que ne faisaient plus ni L'Arche ni la Revue d'études palestiniennes, mais ensuite ?

 

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