Sortir de l’euro, dévaluer la monnaie et instaurer des taxes sur les importations, pour renouer ensuite avec une croissance forte…

* Une autre critique de La démondialisation a été publiée sur nonfiction.fr ici

 

La crise financière a porté un sérieux coup à l’idée d’une mondialisation heureuse et a accéléré le processus de réévaluation des mérites de la mondialisation libérale, qui était resté jusque-là assez confidentiel (malgré les travaux, par exemple, de Dani Rodrick).

En tirer des recommandations, correctement étayées, en matière de politique commerciale, de politique industrielle ou encore de politique monétaire, qui intègrent les questions de faisabilité et d’agenda, paraît extrêmement compliqué, et rares sont, pour l’instant, les économistes qui s’avancent beaucoup sur ce terrain.

Jacques Sapir en fait partie. Il condamne tout d’abord le libre-échange, qu’il tient pour responsable de la stagnation des salaires de la grande majorité des travailleurs ainsi que du maintien d’un haut niveau de chômage dans les pays développés (sans bénéfice pour les autres pays, explique-t-il, sauf pour ceux qui ne jouent clairement pas le jeu de cette libéralisation). Mais sa critique de la globalisation financière n’en est pas moins féroce, tout en étant centrée sur les problèmes que posent le système monétaire international et l’euro en particulier.

La démonstration laisse chez lui peu de place au doute. Les arguments sont assénés avec autorité, y compris lorsqu’ils contredisent les évaluations le plus couramment admises (comme sur le décrochage des salaires et de la productivité ou sur le niveau des pertes d’emplois liées aux délocalisations). Les préconisations s’en déduisent sans hésitation, jusqu’au plan de bataille qui devrait être mis en œuvre sous le couvert de l’article 16 de la constitution (Cf. également le document de travail qu’il a publié en avril "S’il faut sortir de l’Euro…".

Une critique sans concession du libre-échange

L’auteur conteste tout d’abord le fait que le commerce international ait eu un effet entraînant sur la croissance mondiale, car les mesures sont biaisées, explique-t-il. L’augmentation du commerce international, à partir de la fin des années 80, résulte pour partie de l’ouverture du monde communiste (avec la transformation de ce qui était auparavant un commerce intérieur en commerce international, l’accroissement des flux d’exportations et d’importations liés aux changements systémiques induits par cette ouverture et le passage des prix planifiés aux prix du marché). Plus généralement, le basculement des activités de la sphère non marchande à la sphère marchande gonfle artificiellement le PIB. La production et le commerce ont ainsi augmenté moins vite qu’on ne le dit.

Il poursuit en contestant l’évaluation des gains qu’était censé apporter le libre-échange : ceux-ci ont été très surévalués, et, contrairement à la croyance la plus répandue, les pays en voie de développement, la Chine exceptée, n’en ont guère bénéficié, explique-t-il. Et les coûts induits, notamment ceux attachés à l’instabilité des prix de marché, ont été sous-estimés, jusqu’à ce qu’un certain nombre de pays en fassent la douloureuse expérience. On doit toutefois se demander (en particulier au regard des exemples les plus caricaturaux que présente l’auteur à l’appui de sa démonstration) si ses critiques ne sont pas datées et si les meilleurs défenseurs du libre-échange ne seraient pas aujourd’hui disposés à les accepter, tout au moins en partie.

J. Sapir s’emploie également à démontrer que les pays qui tirent le plus grand bénéfice de la libéralisation du commerce sont ceux qui n’adhèrent pas à ses principes, comme la Russie (dont l’auteur est par ailleurs un spécialiste), qui s’est bien gardée d’adhérer à l’OMC, ou encore la Chine, qui tire parti de l’absence de toute réglementation de celle-ci en matière de taux de change.

Une estimation maximaliste des pertes d’emplois associées aux délocalisations

La critique monte d’un ton lorsque l’auteur fait de la globalisation marchande (de la libéralisation des échanges, couplée à la sous-évaluation des monnaies de certains pays) la principale explication de la faible croissance des salaires réels dans les pays développés à partir du début des années 80.

Il se tourne pour cela vers l’analyse du partage de la valeur ajoutée, mais passe alors sous silence le fait que la France ait retrouvé, à peu de choses près, à partir de la fin des années 80 la part des salaires dans la valeur ajoutée qui prévalait avant 1973 (Cf. Philippe Askénazy et alii, Le partage de la valeur ajoutée, La Découverte, Paris, 2011, pp 67 et 68). Pour insister au contraire sur la dégradation de celle-ci à partir de 1983 (après que le taux de marge brute avait touché le fond), avant de mettre en doute, pour finir, la stabilisation qui a suivi, au motif que la dégradation réelle aurait en fait été masquée par l’augmentation des plus hauts salaires incluant un transfert des revenus du capital (mais sans en donner aucun chiffrage).

Probablement peu satisfait de ces données, assurément assez peu probantes pour justifier sa thèse, il choisit alors de se fixer sur le soi-disant décrochage des salaires réels d’avec la productivité du travail. Si ce n’est qu’il fait alors tout simplement abstraction de l’augmentation des cotisations sociales (en se focalisant sur le salaire net au lieu du salaire superbrut), sans quoi le décrochage en question n’est plus du tout avéré (Cf. le graphique 2.1 tiré du rapport Cotis).

Ce qui ne l’empêche pas de relier ce phénomène aux pertes d’emplois qu’il attribue aux délocalisations, dont il donne alors une estimation très supérieure à celles que l’on retient habituellement, puisqu’il évalue (sans expliquer véritablement comment) entre 1,5% à 2,1% de la population active les pertes nettes d’emplois industriels liées aux délocalisations et entre 3% et 3,5% les pertes nettes d’emplois en prenant en compte les emplois indirects, auxquels il ajoute encore 1% à 1,5% au titre de l’effet dépressif sur le marché intérieur de la baisse des bas salaires. Sans exclure complètement que les évaluations habituellement retenues minorent ces pertes d’emplois, il paraît peu probable qu’elles puissent atteindre un tel niveau (Pour mesurer les difficultés d’une telle évaluation, cf. par exemple, de Lilas Demmou “Le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007. Ampleur et principaux déterminants : un état des lieux”, Economie et statistiques, N°438-440, juin 2011). Dans tous les cas, il faudrait également se demander quelle part de ces suppressions d’emplois serait aujourd’hui réversible, ce que son analyse passe également complètement sous silence.



La faillite du système monétaire international et de l’euro en particulier


La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux effets de la globalisation financière, essentiellement sous l’angle des questions monétaires (l’auteur retrace les étapes de la décomposition du système de Breton Woods), pour montrer à la fois la faillite du système monétaire international et celle de la monnaie unique. On se centrera ici sur les points où l’auteur développe une critique originale.

Le principal défaut de l’euro, explique J. Sapir, tient à l’impossibilité de dévaluer où se trouvent les pays qui ont pourtant des taux d’inflation structurels (qui correspondent à leurs structures productives, financières et sociales) plus élevés et qui sont alors forcés de compenser des baisses de compétitivité par des déficits budgétaires plus importants, en accroissant leur endettement, jusqu’à ce que leur situation devienne intenable (tout au moins en l’absence de transferts budgétaires suffisants de la part des autres pays de la zone, mais qui ne trouveront guère de justification si l’on est convaincu que ces écarts d’inflation sont relativement pérennes). Là encore, l’explication est sans doute trop simple, même si elle met le doigt sur un point important. Elle écarte d’un revers de main la question de la coordination des politiques budgétaires, commerciales et industrielles, et plaide pour une sortie de l’euro (concertée ou non), suivie d’une dévaluation de leur monnaie, de l’ensemble des pays concernés.

La fin de la coordination-coopération au sein de l’Union européenne, remplacée par une simple concertation sur les politiques nationales

Ces constats dictent alors un ensemble de solutions pour pouvoir espérer renouer avec une croissance forte dans les prochaines années, qui pourraient théoriquement être mises en œuvre au niveau de l’Union européenne, explique l’auteur : premièrement, l’instauration de taxes importantes sur les importations aux frontières de l’Union (doublées de montants compensatoires en interne) ; deuxièmement, l’abandon de la monnaie unique au sein de la zone euro afin de respecter les différences entre les inflations structurelles, l’instauration d’un contrôle des capitaux, et, dans la période intermédiaire où la monnaie unique continuerait d’exister, la mise en place d’un mécanisme de financement des déficits publics par des avances au Trésor des différents pays ; troisièmement, une réécriture des directives européennes concernant la concurrence et les services publics pour faciliter la mise en place d’une politique industrielle et d’infrastructure (énergie, transport, communication), couplée à la création d’un pôle public du crédit pour assurer le financement des PME et PMI.
Mais comme il est clair qu’aucun accord ne pourrait être trouvé sur ces mesures dans l’immédiat entre tous les pays de l’Union, cela ne laisserait alors à la France que la solution d’une mise en œuvre unilatérale, qui n’exclurait toutefois pas la possibilité d’une concertation a posteriori et/ou avec un nombre plus réduit de pays, explique l’auteur.


Ce n’était pas l’objet de cet ouvrage d’indiquer comment procéder. L’auteur précise simplement pour finir que pour éviter que le poids de la dette publique détenue par les non résidents ne gonfle de manière exorbitante, il conviendrait, préalablement à toute dévaluation, et en usant pour cela de l’article 16 de la constitution pour s’extraire rapidement du cadre juridique en vigueur, que le gouvernement requière de la Banque de France qu’elle opère des avances de trésorerie libellées en euro pour racheter une partie de celle-ci, en attendant de prendre les mesures qui s’imposeraient pour réorienter l’épargne nationale vers le financement de la dette publique. Depuis, l’auteur a toutefois détaillé son plan de bataille dans un document de travail où il examine également les réactions et les risques (liés notamment à la spéculation internationale et au dérapage de l’inflation) qu’une telle politique pourrait susciter ou faire courir. Ce qui permettra au lecteur intéressé de se faire une idée du nombre considérable de problèmes qu’il faudrait adresser et surmonter en cas de sortie de l’euro et de juger alors, par lui-même, du crédit qu’il convient de faire à l’optimisme affiché par l’auteur sur ce point