Dans la dernière livraison de la European Foreign Affairs Review, Jolyon Howoth, professeur à l'université de Yale, évalue les performances de Catherine Ashton, Haute représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, et Herman van Rompuy, président du Conseil européen, dix-mois après leur entrée en fonction.

 

Entré en vigueur en décembre 2009, le Traité de Lisbonne créé deux nouveaux postes visant "à renforcer la visibilité de l'Union européenne sur la scène internationale": un Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité et un président du Conseil européen. L'un occupé depuis novembre 2009 par Herman Van Rompuy, ancien Premier ministre belge, l'autre par Catherine Ashton, également nommée en novembre 2009, qui occupait alors les fonctions de Commissaire au Commerce dans la Commission Barroso I.
 
Retraçant les conditions de la nomination de ces deux nouvelles figures de l'Europe, Jolyon Howorth les qualifie d'"EUbuesque". Le portugais José-Manuel Barroso ayant été confirmé pour un second mandat à la tête de la Commission, les Etats membres ont redéfini les critères pour les deux postes "exécutifs" restant: un politique de gauche, issu d'un grand Etat membre et si possible une femme. Le poste de Haut représentant aurait suscité davantage de convoitises en fusionnant deux postes importants : celui de Commissaire aux relations extérieures et de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.
 
Plusieurs grandes figures politiques sont pressenties. On évoque Carl Bildt, l'ancien Premier ministre suédois, alors ministre des Affaires étrangères, Chris Pattern, ex-gouverneur d'Hong-Kong et Commissaire européen chargé des relations extérieures, le Secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, mais aussi Dora Bakoyannis, ministre des Affaires étrangères de la Grèce, maire d'Athènes, Mary Robinson, ancienne présidente de l'Irlande, Vaira Vike-Freiberga, ancienne présidente de Lettonie…
 
Mais c'est Catherine Ashton, à la surprise générale, qui est choisie. Faut-il y voir une tentative de recul de la part des Etats membres ? Pour Jolyon Howorth, il s'agit surtout d'un concours de circonstances. L'ex-Premier ministre Gordon Brown pensait sécuriser la présidence du Conseil européen pour Tony Blair mais c'est Van Rompuy qui est élu. Pour ne pas perdre la face, Brown tente de sauvegarder le portefeuille du marché intérieur mais Nicolas Sarkozy a déjà œuvré pour placer Michel Barnier. Le Premier ministre britannique se rabat sur le dernier poste disponible: celui de Haut représentant. Il lui faut trouver un candidat. Plusieurs ne sont pas intéressés ou les candidatures sont rejetées par Paris (David Miliband, Geoffrey Hoon, John Hutton…). C'est au final José Manuel Barroso qui proposera Ashton (avec un avantage de taille, celui de s'assurer la nomination d'une personnalité qui était à l'époque sous sa férule). Commissaire au commerce, Catherine Ashton sera la première surprise de cette nomination. A l'extérieur, la désignation de lady Ashton, quasi-inconnue, suscitera également l'étonnement et sera interprétée comme le souhait des Etats membres de ne pas renforcer la politique étrangère européenne.
 
Jolyon Howorth dresse un bilan mitigé des premiers mois d'Ashton. Sa première erreur aura été de garder l'équipe avec laquelle elle travaillait à la Direction générale Commerce. Elle a privilégié la relation de confiance à l'expertise mais, en même temps, a envoyé un mauvais signal. Ashton a également essuyé les foudres de la presse au moment du tremblement de terre à Haïti. La Haute représentante n'a pas jugé bon de se déplacer, préférant passer le week-end à Londres. Elle se justifiera très maladroitement, estimant que n'étant ni docteur, ni pompier, sa présence aurait été peu utile. Un peu plus tard, elle privilégie une rencontre avec le président de l'Ukraine plutôt que d'assister à un Conseil de défense en Espagne. Ce choix sera très mal vécu. Il laisse entendre qu'Ashton porte peu d'intérêt aux questions de défense, qui représentaient une priorité pour l'ancien Haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), Javier Solana. Finalement, Ahston est critiquée pour la vision a minima de son mandat car, contrairement à Solana, Ashton dispose d'un droit d'initiative formel dont elle n'userait pas. Plusieurs déclarations semblent confirmer cette vision. Jolyon Howorth cite  plusieurs déclations  qui paraissent significatives. Son rôle "consiste à promouvoir l'Europe comme un soft power dans le monde". L'UE ne peut pas "déployer des armes et des bombes". Sa force "repose, paradoxalement, sur son incapacité à projeter de la puissance". On peut mieux comprendre la gestion du printemps arabe à l'aune de ces propos.
 
Quant à Herman Van Rompuy, finalement désigné, il aurait davantage tiré son épingle du jeu en raison des caractéristiques mêmes du poste: créer de la cohésion, être bon médiateur. Des qualités amplement démontrées comme Premier ministre belge. De plus, dans la mesure où, hormis les questions de politique étrangère, la présidence tournante de l'Union européenne n'a pas perdu son rôle concernant les autres formations du Conseil, une part de la mission de Van Rompuy relève davantage du secrétariat. Il est moins visible. Certains considèrent ainsi qu'il est un très bon secrétaire général mais pas un leader européen. Sa première année en fonction a été largement dominée par les questions financières, ce qui a également joué à son avantage. A son actif, il a présidé la Task force sur la gouvernance économique dont la plupart des idées ont été reprises par le Conseil européen du 29 octobre 2010. Son pouvoir d'initiative reste toutefois très limité ; les Etats membres gardant une grande marge de manœuvre. Ce sont la France et l'Allemagne qui, en février 2011, soumettent le Pacte de compétitivité. L'image dans les médias est un autre indicateur. Van Rompuy bénéficie d'une presse beaucoup plus clémente que Catherine Ashton. La Haute représentante est sans doute plus exposée. Son poste, et plus largement la création du Service européen d'action extérieure, aura aussi suscité des attentes, pour l'instant encore déçues 
 
Pour aller plus loin:
 
- European Foreign Affairs Review 16: 303-323, 2011
 
- Dernier ouvrage de Jolyon Howorth, Security and Defence Policy in the European Union, London & New York, Palgrave, 2007, 336 pages