Depuis plusieurs semaines, le débat entre les partisans d'une légalisation ou d'une dépénalisation du cannabis et les opposants à toute révision de la stratégie de lutte contre les drogues, s'enlise. Chacun campe sur ses positions et assène ses arguments contre le camp adverse quitte à manipuler les chiffres, à multiplier les contre-vérités, et bien sûr, à caricaturer ses adversaires taxés d'un côté d'irresponsables libertaires et de l'autre d'incorrigibles réactionnaires. Dans cette véritable guerre de tranchées, on en oublierait presque l'essentiel : comment lutter concrètement, localement, quotidiennement, contre la drogue ?

C'est à cette question qu'a voulu répondre le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU) dans le cadre du projet Democracy, Cities and Drugs II (Démocratie, villes et Drogues II), co-financé par l'Union européenne. Pendant trois ans, les villes de Marseille, Créteil, Lille, Aubervilliers, Lormont, Montpellier, Courcouronnes et Valenciennes ont mis en commun leurs diagnostics et leurs expériences, pour essayer d'apporter la réponse la plus appropriée et la plus efficace aux problèmes posés localement par la drogue. Celle-ci a en effet un impact économique, avec le développement d'une économie parallèle, mais aussi des conséquences en termes de santé publique, d'occupation de l'espace public et, bien sûr, de développement d'un sentiment d'insécurité dans la population (p. 61).

Cette étude montre tout d'abord que les problèmes ne se posent pas de manière uniforme. La réponse à apporter ne sera pas la même à Aubervilliers où vivent plusieurs "vieux toxicomanes "qui se trouvent" en situation de dépendance et de grande précarité, physiquement très atteints et qui présentent parfois des troubles du comportement" (p. 15), qu'à Lille, où, selon un rapport de l'observatoire français des drogues et des toxicomanies, "des milliers de jeunes résidant en France sont attirés par les méga-dancings belges du Tournaisis, pour leur style et la disponibilité des produits psycho-actifs : l'alcool, mais aussi et plus spécifiquement des psychostimulants comme la MDMA (Ndlr : Ecstasy) ou les amphétamines" (p. 21). L'échelle locale doit donc être privilégiée pour apporter les réponses les plus pragmatiques.

Ces réponses sont de plusieurs types. Il s'agit d'abord d'expliquer : former les acteurs de première ligne, informer et sensibiliser les citoyens sur la question des drogues. Il est nécessaire ensuite de développer la prévention des risques, d' "agir pour que la consommation soit la moins dangereuse possible pour l'usager". La mise en place de partenariats entre les élus, les services de l'État, les services de la ville, ceux du Conseil général et du Conseil régional, ou encore les centres de soins s'avère tout aussi indispensable, car pour répondre au problème de la drogue, la mobilisation doit être générale. Enfin, la question de l'insertion et de l'accompagnement social des toxicomanes est primordiale (pp. 38-41).

Le petit livre du Forum français pour la sécurité urbaine fait le point aussi sur les dernières grandes prises de positions au niveau international. Ainsi, la dix-huitième Conférence internationale sur le Sida qui s'est réunie à Vienne en juillet 2010, a conclu que "la criminalisation des utilisateurs de drogues a des retombées négatives sur la santé et la société à l'échelle mondiale". Le dernier rapport mondial de l'ONU sur les drogues invite quant à lui les dirigeants du monde à "agir pour freiner l'impact du trafic de drogue sur les pays en voie de développement" (p. 42). La conférence "Politiques urbaines contre la drogue dans un monde globalisé", qui s'est déroulée à Prague du 30 septembre au 2 octobre 2010 s'est achevée notamment sur l'idée que "la santé et la sécurité publique ne sont pas contradictoires", puisque les deux cherchent à "minimiser les conséquences néfastes du trafic et de la consommation de drogues" (p. 47).

La conférence de clôture du projet européen Democracy, Cities and Drugs II qui a eu lieu à Vienne du 23 au 25 février 2011, s'est achevée sur huit recommandations. Parmi elles, celle d'encourager" un débat global sur la décriminalisation maîtrisée de ces questions de santé que sont les consommations de drogues "ou celle d'orienter" l'appareil répressif vers le contrôle des marchés notamment internationaux et ainsi reconnaître les trafics de drogues et l'économie souterraine qui y est liée comme un des principaux éléments destructeurs de la cohésion sociale et du vivre ensemble dans nos villes", ou encore celle qui consiste à "envisager le suivi thérapeutique comme une alternative crédible à l'incarcération. Tout en veillant "également à ce que les personnes incarcérées bénéficient d'une offre de soins adaptée" (p. 48). Une manière de dire que pour lutter efficacement contre la drogue, il faudrait soigner les toxicomanes et orienter les moyens de la répression contre les trafiquants. Et si, au lieu de se perdre dans des jeux de postures, on cherchait vraiment à régler le problème de la drogue ?

 

Pour aller plus loin :

La future politique française des drogues, publié par le Forum français pour la sécurité urbaine, avril 2011, 68 pages.