En un mois, la bactérie Eceh (E. Coli entéro-hémorragique) aura causé la mort de 39 personnes   . Aujourd’hui, en plus d’une crise sanitaire et d’un drame humain, la crise économique pourrait toucher  de nombreux secteurs.  Pour certains, la raison réside dans une communication des autorités approximative incriminant tour à tour concombres, salades ou tomates.

François-Bernard Huyghe, Docteur en Sciences Politiques et en Sciences de l'Information et Communication, nous donne des clés de compréhension de l’événement.

 

Nonfiction.fr- Quelle est votre appréciation de la gestion de la crise Eceh par les autorités ?


François-Bernard Huyghe- Après avoir découvert le concombre assassin (sans présomption d'innocence), la tomate sans retour, la bactérie de la mort,  le légume létal et le steak fatal, on ne sait ce qui est le pire, de la faillite des systèmes d'alerte sanitaires, des fausses pistes suivies trop vite, de la hâte à désigner des coupables, des exploitations politiciennes de certaines pistes ou de l'effet de suivisme qui fait qu'une hypothèse vaguement entrevue devient en quelques minutes source de panique. Et que tout le monde répète ce qu'il n'a pas encore compris. Comme souvent en communication de crise, les erreurs des premières heures (ici le besoin pathétique de prouver que l'on est "réactif" et que l'enquête avance) se paient très cher, en termes de propagation de la panique et de perte de crédibilité. Cela se paie quand on commence à dire des choses raisonnables. Trop d'alertes tuent l'alerte, trop de précipitation ralentit l'urgent.

 

Nonfiction.fr- Le principe de précaution peut-il être considéré comme responsable ?

François-Bernard Huyghe- Pris littéralement, il implique d'apporter la preuve d'un danger non avéré, donc d'un fait négatif (on sait que c'est impossible depuis Aristote) et de plus un fait futur dont la connaissance dépend souvent de découvertes à venir. Ce principe aurait d'ailleurs empêché d'inventer le feu s'il avait existé à l'époque. Pris avec bon sens, la précaution équivaut à l'honnête prudence d'un père de famille qui doit peser les risques mal connus au regard des avantages probables. Il a été interprété comme une sorte d'impératif moral d'en rajouter dans l'activisme de compassion et dans la désignation des coupables (selon le principe qu'il vaut mieux tirer le premier pour ne pas être suspecté de négligence ou d'indifférence). La précaution peut en effet amener à prendre des mesures contre-productives. Car les mesures de réaction, en vertu du même principe, peuvent elles-mêmes porter des dangers qui ne se révèlent qu'à retardement.

 

Nonfiction.fr- Les médias vous paraissent-ils jouer leur rôle dans cette crise ?

François-Bernard Huyghe- Il est indéniable qu'ils contribuent à hystériser la classe politique, coincée entre une expertise technique qui peut se tromper ou ne pas donner de réponses certaines à 100% et la pression d'une opinion publique surchauffée par les représentations médiatiques. Surtout quand elles jouent comme ici sur les vieux fantasmes de la nourriture empoisonnée. Mais il serait trop facile de tirer sur les journalistes "qui en recherchent que le sensationnel" ou " qui ne vérifient pas" : ils sont eux-mêmes victimes du raccourcissement du temps médiatique, de la multiplication des pseudo-événements (déclaration sur le commentaire de la réaction à la supposition), de l'effet d'entraînement, et, ici, de la technicité du dossier peu compatible avec les demandes de certitudes immédiates.

 

Nonfiction.fr- Les crises sanitaires ont été récurrentes ces dernières années. Pourquoi les autorités européennes ont-elles encore du mal à maîtriser leur communication de crise ?


François-Bernard Huyghe- C'est le fait d'être une autorité qui rend allergique à cet exercice, c'est-à-dire le fait d'être une instance, avec un tempo très particulier (rythmé par les plans et les élections par exemple), fonctionnant à la soumission des autres, et selon des codes standardisés. Cette instance sera amenée par nature à prendre des décisions en situation d'incertitude relative. Toute bureaucratie, parce que son appréciation de la réalité est largement déterminée par des facteurs internes, est mal adaptée à la surprise, à l'exception et à l'improvisation dans une situation par définition inédite

 

Propos receuillis par Julien Miro