"- Où sommes-nous ?"

"- Palazzo Magnani. Cet édifice date de la fin du XVIe siècle, et appartient aujourd’hui à Unicredit." On me souffla à l’oreille que la Libye détiendrait des parts d’Unicredit, premier groupe bancaire italien…Le décor était planté. 

 

C’est dans ce cadre impressionnant que l’illustre revue de culture et politique bolognaise, Il Mulino, avait décidé de fêter son soixantième anniversaire. Petit poucet de la programmation, nonfiction.fr était invité au titre de jeune site de débats d’idées à présenter son expérience de la coexistence entre revues imprimées et revues en ligne dans l’écosphère intellectuelle française. Sur fond de référendum en Italie   , cette journée et demi de discussions avait un parfum de déclin : comment le débat démocratique en Italie peut-il garder sa vivacité après tant d’années d’emprise du berlusconisme sur les médias, semblaient se demander les sociologues ou autres politologues invités à clore les débats ? Outre le rôle éminent que semble avoir joué le Web dans les récents échecs électoraux essuyés par le Cavaliere   , la plupart d’entre eux occultait l’explosion de la fréquentation d’Internet depuis dix ans, laissant poindre un sentiment d’hostilité envers un outil qui les destitue de leur pouvoir traditionnel de transmission des savoirs. Dans son introduction, un des fondateurs historiques d’Il Mulino, Luigi Pedrazzi, avait dénoncé le cortège de barbares que charriait avec lui l’avènement du Web. Le ton était donné. 

 

C’est néanmoins la confrontation d’expériences européennes très diverses qui a permis d’instaurer un dialogue entre deux univers de plus en plus éloignés l’un de l’autre. Il y eut d’une part plusieurs exposés attachés à décrire des projets éditoriaux innovants en ligne : Doppiozero, site culturel destiné à créer une communauté intellectuelle indépendante d’intérêts économiques ; Reset Doc   , Giancarlo Bosetti, tentative multilingue- italien, anglais et arabe- de faire dialoguer des intellectuels de cultures différentes sur le sens des valeurs qui façonnent le monde, ou encore Perlentaucher, site allemand animé par Thierry Chervel, qui rend compte de la vie culturelle à travers des revues de presse quotidiennes ou de magazines culturels dont les contenus sont accessibles en ligne. D’autre part, plusieurs intervenants voulurent démontrer que l’environnement du Web ne s’accompagne pas nécessairement d’une perte en qualité. Il y a certainement une tension accrue entre un modèle d’autorité dans la transmission de l’information et un modèle participatif adapté à la logique du réseau en ligne. La naissance de nombreux sites intermédiaires d’agrégation d’information sur la vie des idées, comme The Browser ou Arts and Letters Daily témoignent de cette évolution. Cette tension est néanmoins parfois résorbée dans des projets qui, comme Eurozine, cherchent à valoriser la production de revues généralistes traditionnelles sur Internet. Animé par Carl Henrik Fredriksson, ce site basé à Vienne est une plateforme d’échanges et de traductions d’articles entre 75 revues intellectuelles européennes. Des articles de ses membres français comme Esprit ou Multitudes peuvent ainsi se retrouver traduits en turc, macédonien ou norvégien. De quoi donner du grain à moudre à tous ceux qui déplorent l’absence d’une culture européenne concrète. Et des maux de tête à tous ceux qui voient encore par le petit bout de la lorgnette les tentacules du monstrueux World Wide Web les étreindre jusqu’à l’agonie