* Nonfiction.fr publie chaque mois un article du Japon à l'envers, blog consacré à la société japonaise, à la vie politique et aux mouvements sociaux.

 

 

Si on s'inquiète de la montée des extrêmes droites en Europe, on ferait bien de garder un oeil sur ce qu'il se passe au Japon. Les ultranationalistes y ont les coudées franches et les livres niant le "viol de Nankin" (massacre de 300 000 civils Chinois) ou dénonçant les "criminels-étrangers" sont des best-sellers.

La situation politique a pris un tournant particulier depuis le séisme du 11 mars. Quelques semaines après le séisme, une rumeur s'est répandue selon laquelle des Coréens et des Chinois - les deux principales communautés étrangères au Japon - avaient pillé les villages abandonnés. Après le tremblement de terre de Tôkyô de 1923, des pogroms contre les Coréens avaient fait 3000 morts. Une rumeur laissait entendre aussi à l'époque que les Coréens avaient provoqué les incendies qui ont ravagé la capitale.

              

                                "City of Life and Death" (2009) sur le massacre de Nankin

 

S'ajoute à cela l'expression aujourd'hui d'un nationalisme soft. C'est le pendant négatif de la solidarité des Japonais que l'on a tant vanté. Une tendance au repli sur soi qui s'est exprimé notamment par des railleries sur les étrangers-qui-fuient, certains changeant le mot gaijin (étranger) pour furaijin (ceux qui s'envolent en avion). Par ailleurs, une expression qui revient beaucoup en ce moment est "ganbare nihon" (Courage Japon). Signalons qu'en tapant cette expression sur Google en japonais, on tombe dès la première occurrence sur une organisation d'extrême droite du même nom, Ganbare Nippon.

Ganbare Nippon, l'extrême-droite révisionniste 

Cette organisation de "citoyens" a tout juste un an d'existence mais s'est fait connaître par son activisme et sa présence régulière dans la rue. Soutenue par l'ancien premier ministre ABE Shinzô (2006-2007) et toute la fange révisionniste du Parti libéral démocrate (PLD) qui gravite autour de lui, cette organisation a combattu fermement le droit de vote pour les étrangers qui entraînerait selon eux une "démolition du Japon". Suite à la collision entre un bateau de pêche chinois et les gardes côtes japonais aux large des îles contestées Daioyu/Senkaku en septembre 2010, elle a organisé des manifestations virulentes contre la Chine mais aussi contre le premier ministre KAN Naoto. Durant le mois de décembre, deux manifestations pour le "renversement du gouvernement" ont rassemblé plusieurs milliers de personnes.

                  Manifestants arborant des drapeaux de l'armée impériale japonaise, 21 mai 2011

Manifestants de "Ganbare Nippon" arborant des drapeaux de l'armée impériale, 21 mai 2011

L'extrême droite au Japon n'a pas de grand parti car les groupes ultranationalistes ont été dès la fin de la guerre intégré au Parti libéral-démocrate. Ceux sont d'ailleurs des anciens criminels de guerre qui sont devenus les cadres de ce parti, avec l'aide opportune des Américains. C'est donc dans la rue que s'exprime l'extrême-droite, avec ses camions noirs munis de mégaphones géants, hurlant leur haine des étrangers - à commencer par les Chinois et Coréens. Des défilés rassemblant des milliers de personnes sont de plus en plus fréquents et les manifestants n'hésitent pas à passer à tabac les rares militants antifascistes qui parfois s'interposent. Un des multiples groupes d'extrême-droite, la Team Kansai a ainsi pour activité favorite de terroriser la population.

Outre les Chinois, les Coréens sont particulièrement visés par ces manifestations racistes. Prenant prétexte de l'existence d'un groupe communautaire lié à la Corée du nord, la Chôsen sôren, un mouvement contre les écoles coréennes au Japon a eu lieu. Sur une vidéo, on peut entendre les insultes racistes lancées aux contre-manifestants Coréens qui tentent de s'interposer : "Les Coréens vous êtes des cafards, vous puez le kimchi, vous êtes des porcs, rentrez-chez vous"

Les yakuzas aux avant-postes

Sur une autre vidéo, on peut voir une action d'un de ces groupes contre une école primaire coréenne à Kyôto. La manière de parler de l'orateur laisse à penser qu'il pourrait s'agir de yakuzas. Les yakuzas et l'extrême-droite sont tellement liés au Japon qu'il est difficile de distinguer les groupes parfois. Kodama Yoshio, un ultra-nationaliste qui fit fortune dans le pillage des ressources minières de la Chine, tenta par exemple de rassembler dans les années 1950 les groupes yakuzas pour former une organisation paramilitaire et combattre les manifestations pacifistes. Depuis le séisme, la présence des yakuzas dans la société s'est renforcée. Les yakuzas ont en effet joué un rôle singulier dans cette catastrophe, en organisant les secours dans plusieurs zones sinistrées. Ce qui semble pouvoir leur attirer une certaine sympathie dans la population. Mais les syndicats du crime, au Japon comme ailleurs n'agissent jamais sans arrière-pensée. Outre un meilleur contrôle de certains territoires, ce volontarisme leur permettra aussi d'obtenir de nombreux contrats dans la reconstruction du Japon.

Mathieu Gaulène