Les mutations du capitalisme survenues ces trente dernières années ont radicalement changé la donne des rapports entre l’entreprise et ses salariés. Tel est le constat de départ de Jean-Louis Bianco, Charles Fiterman, Philippe-Michel Thibault, Michel Yahiel et Julie de Clerck dans une note collective publiée récemment par la Fondation Jean-Jaurès, Entreprise et démocratie sociale : pour une nouvelle approche.

A l’origine des "nouvelles structurations des lieux et des modes de production", le développement spectaculaire des technologies de l’information n’a pas seulement intensifié la concurrence internationale. Il a aussi accru le poids des grands actionnaires et des groupements d’actionnaires dans la chaîne décisionnelle, au point de leur assurer un pouvoir exclusif et orienté vers la seule rentabilité financière "au détriment des activités productrices", tandis qu’ "un retour sur fonds propres" de "15% est devenu la norme." 

Parallèlement, "l’échec de l’économie étatisée" a ouvert la voie à une libéralisation poussée de l’organisation du travail favorisant parmi d’autres autres choses redéploiements mondiaux de la division du travail, externalisation de la production et essor d’une sous-traitance étroitement soumise aux donneurs d’ordre. Ces changements ont été accompagnés de l’élaboration d’un discours managérial de "responsabilisation" visant à accroître la pression exercée sur les salariés (sans qu’ils puissent pour autant espérer de réelles retombées de la réalisation de leurs "objectifs") et à rompre la solidarité entre des individus ainsi mis en concurrence   .

Ces mutations n’ont pas eu pour seuls effets un délitement du lien au sein des entreprises, une dégradation des conditions de travail et une perte de sens du travail salarié, trois phénomènes particulièrement marqués dans les grandes entreprises. L’individualisation du salariat a aussi eu pour conséquence d’amoindrir considérablement ses capacités de négociation, sa faculté à s’organiser pour faire jouer en sa faveur le rapport de force. Comme l’ont d’ailleurs observé un certain nombre d’écrivains et d’artistes assumant de porter une voix passablement ignorée des grands partis   , le mal-être des salariés a donc crû au fil d’un progressif désarmement du "travail" face au "capital".

L’affaiblissement des syndicats et de l’ensemble des rouages de la démocratie sociale, perçu de longue date, a pourtant été un objet de législation dès 1982 et les lois Auroux devant favoriser la négociation d’entreprise. Or, force est de constater l’échec de leurs dispositions, de fait réduites à l’impuissance par les nouveaux cadres de l’organisation du travail   .

Les auteurs de la note proposent donc un certain nombre d’actions devant renouveler la démocratie sociale et lui permettre de satisfaire aussi bien les aspirations légitimes des travailleurs que "le besoin de stabilité et de vision à long terme" des entreprises. Au-delà de ses seize propositions concrètes principalement orientées vers une recréation du lien au sein des entreprises au moyen d’un renforcement de la présence syndicale, ce texte sonne donc comme une exhortation des partis à se tourner à nouveau vers les angoisses et le mal-être de la majorité silencieuse


* Jean-Louis Bianco, Charles Fiterman, Philippe-Michel Thibault, Michel Yahiel, Entreprise et démocratie sociale : pour une nouvelle approche, Fondation Jean-Jaurès, 10 février 2010.