A l’automne 2010 paraissait le premier numéro des "Temps Nouveaux". Dans un entretien à Nonfiction.fr, Claude Debons, militant syndicaliste et politique et directeur de la publication, présente le projet à l’origine de la création de cette nouvelle revue devant porter la voix du mouvement social dans l’arène de la lutte des idées politiques.

Nonfiction.fr - Les institutions ou les mouvements dont sont issus les fondateurs et les contributeurs des Temps Nouveaux sont pour la plupart plutôt anciens : pourquoi alors fonder une revue en 2010, alors même que les lieux de réflexion sociale et politique au sens large sont déjà nombreux?

Claude Debons - Les fondateurs et fondatrices sont issus du mouvement syndical (CGT, FSU, Solidaires…), associatif (Attac, LDH, féministes, chômeurs et précaires…) et d’intellectuels et chercheurs travaillant avec les précédents. Certaines organisations sont anciennes, d’autres plus récentes. La fondation de la revue intervient à un moment particulier. Trente ans de politiques libérales ont débouché sur une crise globale du système capitaliste ; après le discours sur "la seule politique possible", le débat sur les alternatives se rouvre. Par ailleurs, en Europe notamment, les modèles historiques de relation parti/syndicat ou mouvement social (travailliste, social-démocrate/léniniste) ont cédé la place il y a 30 ans à un modèle d’indépendance/coupure qui se trouve en panne face à la contre-révolution libérale globale. Nous voulons explorer les voies et moyens d’une alternative sociale et de nouveaux rapports entre mouvement social et lutte politique en croisant les regards et approches entre militants et chercheurs issus du monde syndical, du monde associatif et du monde politique. Nous voulons réfléchir à un nouveau modèle de développement social et écologique, ainsi qu’à de nouvelles orientations pour la construction européenne et les rapports Nord-Sud entre autres. Ces ambitions et caractéristiques font notre originalité dans le paysage des revues existantes.

Nonfiction.fr - Parmi l’équipe des contributeurs figurent donc des personnes issues du monde universitaire, mais aussi et surtout des représentants du monde du travail, du milieu associatif et du milieu militant : est-ce une façon de redonner la parole aux acteurs de terrain, de rétablir un équilibre, de créer un dialogue ?

Claude Debons - Nous croyons à la nécessité d’articuler théorie et pratique et à la fécondité de la diversité des approches, d’où le recours à des intellectuels et chercheurs ainsi qu’à des animateurs d’organisations syndicales, associatives, politiques, ou à des acteurs de luttes. Nous voulons interroger les mouvements de la société (et la parole de leurs acteurs) pour ouvrir des pistes de réflexion et de propositions sur les alternatives programmatiques mais aussi sur de nouvelles coopérations entre les différents acteurs politiques et sociaux, dans l’indépendance de leurs fonctions respectives.


Nonfiction.fr - Un grand nombre des initiateurs de la revue ont des liens étroits avec la gauche radicale : Jacques Rigaudiat a suivi Jean-Luc Mélenchon au Parti de Gauche, Janette Habel a fait partie du bureau politique de la LCR… Avez-vous une relation privilégiée avec le PG, le NPA ou un autre parti de gauche ?

Claude Debons - Quelques fondateurs sont membres de partis politiques de gauche et extrême gauche ; la majorité n’a pas d’appartenance politique mais surtout des engagements associatifs et syndicaux. La revue n’est liée à aucune organisation particulière (syndicale, associative ou politique). Elle entretient un dialogue avec toutes dans l’esprit indiqué précédemment : contribuer au débat sur les alternatives au néo-libéralisme, et à de nouvelles articulations entre mouvement social et lutte politique, ce qui suppose une ouverture à toutes ces dimensions.

Nonfiction.fr - Quel est le public visé ? Ne craignez-vous pas que le choix d’une revue papier ne restreigne votre lectorat ?

Claude Debons - Le public visé est un public de militants et de citoyens engagés. Nous savons la difficulté de viabilité des revues "papier" mais c’est une matérialisation concrète qui nous a paru indispensable. Ce sont les abonnements qui permettent la stabilisation financière du projet, mais nous avons aussi une diffusion militante ainsi qu’une diffusion en librairie organisée par notre éditeur. Ceci dit, nous avons un site Internet et nous préparons une lettre électronique qui nous permettra de toucher un public plus large. Nous avons choisi de démarrer progressivement pour asseoir notre projet avant de nous doter d’outils complémentaires pour élargir la diffusion de nos réflexions.

Nonfiction.fr - La revue doit donc devenir le maillon central de tout un système articulant entre autres choses un site Web, mais aussi une association : accepteriez-vous la qualification de "think tank" de gauche ?

Claude Debons - En l’état actuel de notre développement, ce serait prétentieux (encore que quand on voit certaines productions de fondations à la mode !). Plus modestement nous nous considérons comme un carrefour de réflexion entre acteurs de différents horizons, mais nous avons évidemment l’ambition d’influer sur les débats politiques et sociaux à gauche.

Nonfiction.fr - Pour conclure, pourquoi avoir choisi de donner ce nom à votre revue ?

Claude Debons - A différents moments de l’Histoire on a l’impression de se trouver devant des temps nouveaux à venir. Une période semble à bout de souffle, celle du néo-libéralisme triomphant, mais l’avenir est incertain. Le vieux se meurt, mais le neuf à du mal à naître. Nous voulons être un acteur de ce moment "charnière" pour contribuer à penser un chemin vers les temps nouveaux… D’un point de vue historique, nous pourrions trouver un référent — prestigieux — avec Die Neue Zeit ("Les temps nouveaux", en allemand), la revue de la social-démocratie allemande, publiée à partir de 1883, considérée comme le porte-parole de l’aile marxiste de la IIe Internationale, à laquelle contribuèrent entre autres Marx, Engels, Rosa Luxembourg, Liebknecht, Bernstein, Kautsky, Plekhanov, Mehring, etc

 

* Propos recueillis par Pierre-Henri Ortiz.