Toute l’œuvre de Gainsbourg recensée et commentée dans un seul ouvrage dense, précis et remarquablement construit. 

Serge Gainsbourg nous a quitté le 2 mars 1991. Quel plus bel hommage que celui-ci ? Loïc Picaud, auteur de nombreux ouvrages musicaux (dont une biographie de Paul McCartney et une Odyssée du rock français) et rédacteur en chef de music-story.com s’est allié à Gilles Verlant, biographe attitré et incontournable de Serge Gainsbourg pour répertorier, chanson après chanson, l’immense et magnifique catalogue de l’homme à tête de chou. Il s’agit bien d’une intégrale, puisqu’y figurent toutes les œuvres identifiées et créditées de l’artiste, qui nous a quitté il y a maintenant 20 ans, à l’orée de ses soixante ans. Inutile de préciser le caractère passionnant de cet ouvrage dense, objectif et subjectif à la fois, qui souligne le génie comme les faiblesses de Gainsbourg. Et le travail titanesque auquel ont du se livrer ses deux auteurs. Nonfiction revient avec Loïc Picaud sur la genèse et l’écriture de cette intégrale Gaisnbourg qui fera date.

 
 Nonfiction.fr- Quel est votre rapport personnel à Serge Gainsbourg ?

Loïc Picaud: J'ai fait mon éducation musicale en écoutant tous les styles de musique en écoutant FIP. Les Beatles ou James Brown sont rapidement devenus des références personnelles, puis toute l'histoire du rock que j'ai gobée à grands coups de vinyles et d'encyclopédies. Je notais tout ! les dates, la composition des groupes, les discographies... Gainsbourg a longtemps été pour moi le seul Français capable de rivaliser avec les géants anglais ou américains. L'évolution de son personnage est fascinante, de l'auteur-compositeur timide qui n'osait pas frapper à la loge de Juliette Gréco, le Pygmalion tailleur de succès pour dames et yéyés, le dandy décadent surgi du XIXème siècle ou admirateur des dadaïstes, l'écorché vif de l'amour, celui de "l'amour physique est sans issue" , jusqu'à la création de son double Gainsbarre, le mauvais génie qui fait le boulot à sa place.

 

Nonfiction.fr-Avez-vous retenu certains albums, certains morceaux ?

Loïc Picaud: Il est difficile de ne retenir qu'un disque dans une œuvre aussi vaste que la sienne, mais Histoire de Melody Nelson et L'Homme à tête de chou me paraissent être des sommets autour desquels gravitent quantité de grands classiques comme "La Javanaise", "Initials B.B.", le "Requiem pour un con", "L'Anamour" ou de perles méconnues comme "Les Papillons noirs", "Hélicoptère", "La Noyée", "Cannabis", "La Cible qui bouge", "Dépression au-dessus du jardin"... des instrumentaux fabuleux comme "Erotico-tico", "La Horse", "Sex-shop"... et la bande originale d'Anna que je place très haut, comme l'hymne personnel "Ecce homo". Elle est trop souvent oubliée.

 Nonfiction.fr- Comment est née l'idée de cette Intégrale Gainsbourg ?

Loïc Picaud: Je connais Gilles Verlant depuis une douzaine d'années, du temps où nous avons monté un projet de site internet s'adressant aux collectionneurs de musique et de cinéma. J'admirais déjà beaucoup Serge Gainsbourg, et le fait de baigner dans la quête permanente d'informations que mène Gilles a fait éclore ce projet de dresser une intégrale de ses oeuvres. Cela s'est précisé il y a trois ans, comme un défi que nous pouvions réaliser en recensant toutes les musiques, les textes épars, les anecdotes et les reprises grâce au collectionneur Daniel Vandel. Il restait à établir un accord pour la retranscription partielle des paroles, ce qui fut fait in extremis ; nous avons eu alors un timing serré pour l'écrire.

 Nonfiction.fr- Comment aborder une telle histoire, celle des chansons de Gainsbourg - et donc de sa poésie ?

Loïc Picaud:Tout part de la biographie de Gilles qui a servi de base au recensement méticuleux de chaque œuvre, petite ou grande, des chansons aux musiques de films, passages télé, publicités et textes littéraires. Nous avions une idée précise de la façon de traiter le sujet en partant de chaque morceau pour le lier à la chronologie. C'était refaire le travail biographique dans l'autre sens, celui de l'œuvre, et se rendre compte que les deux sont fortement et même intimement liés. Par exemple, il est impossible de traiter le travail de Gainsbourg avec ses différents arrangeurs sans faire état de leurs sources et relations, ou d'aborder l'album Baby Alone in Babylone sans évoquer la rupture entre Jane et Serge. Mais il fallait le faire de manière concise, sans quoi l'ouvrage aurait nécessité le double en pagination !

 Nonfiction.fr- La particularité de cette intégrale, c'est qu'elle est précise, informative, factuelle, tout en étant (très subtilement) interprétative. Comment avez-vous trouvé le bon "dosage" ?

Loïc Picaud:Merci pour le compliment. C'est de cette manière que je conçois le travail d'auteur musical : précision et concision, à la manière anglaise, tout en s'accordant un espace pour émettre un jugement, pas toujours flatteur. Quand un morceau comme La Noyée est à rapprocher des chefs-d'oeuvre archi-connus, il faut le dire, de même qu'on se doit de pointer des scories, des repiquages, ou les facilités dont Gainsbourg a parfois eu recours. Il écrivait souvent dans l'urgence.

 Nonfiction.fr- Cela fait vingt ans que Gainsbourg est mort. Te souviens-tu du jour de son décès ?

Loïc Picaud: Parfaitement, comme si c'était hier. C'est d'ailleurs étrange que je me souvienne aussi des chansons qui passaient en radio dans les années 70 quand j'étais môme, de "Charlie Brown" à "Sea, Sex and Sun" ! L'œuvre de Gainsbourg s'est lentement infusée en moi avant que je ne devienne fan avec "Aux Armes Et Caetera". Je me souviens écouter et apprendre par cœur "Love On The Beat", conserver les coupures de presse avant d'attraper la collectionnite aiguë ! J'ai appris sa mort en écoutant la radio un samedi soir vers 22 heures. Le lendemain et les jours qui ont suivi, j'ai fait le pèlerinage avec les fans, de la maison de la rue de Verneuil au Mont Valérien - où le cercueil était exposé - puis au cimetière du Montparnasse. Beaucoup de larmes ont coulé pour ce poète..