Hakim El Karoui, d’origine tunisienne par sa mère, banquier chez Rothschild et ancienne plume de Raffarin est un modèle de réussite : normalien, agrégé de géographie, président d’un forum de jeunes élites Young Mediterranean Leaders, fondateur du  très sélect Club du XXIème Siècle et essayiste   . Décrit comme un "homme de réseaux, homme d’action, homme de pouvoir, homme d’idéaux" dans un portrait intitulé"Les nouveaux chemins de la réussite" du Journal du dimanche en 2009, il semble en effet manier à la perfection toutes ses casquettes. Celle plus récente de conseiller de son "Excellence Monsieur le Président Ben Ali"  comme le titre une de ses lettres à l’ex-président tunisien est pourtant très embarrassante. Mediapart publie ce matin les notes que Hakim El Karoui a adressées à Ben Ali, de son propre aveu, "pour éviter le bain de sang et le chaos tout en posant des jalons de réforme très profondes pour l’avenir. Dans le grand vent de l’histoire." 

 

Le "grand vent" a tourné pour le jeune fils prodigue. Bien que celui-ci s’en défende-  "Je ne laisserai personne insinuer que j’étais le conseiller de Ben Ali"- il semble que les mots parlent d’eux-mêmes pour cet expert en communication politique, qui rappelons-le, était chargé des discours de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin puis de ses relations avec les médias. La première note datant du 12 janvier 2011 (téléchargeable sur le site de Mediapart) propose un "scénario volontariste" pour sortir de la "crise actuelle" c’est-à-dire le début de la révolte tunisienne. Parmi les "non-conseils" de Monsieur El Karoui au président, une phrase résume bien le ton général : "Même s’il y a de la manipulation, même s’il y a des terroristes infiltrés, vous êtes le Père de la Nation (en gras dans le texte) et le Père de la nation doit être aux côtés de ses fils quand ils souffrent".

 

Suite aux évènements, une autre note datée du 14 janvier (le jour du départ du président Ben Ali) établit une autre "feuille de route".  Celle-ci commence d'ailleurs par un ordre du jour laissant songeur "Internet, c'est fait". Aux phrases impérieuses et très suggestives "Donner un signal fort", "Envoyer des messages de compassion aux victimes", succèdent des impératifs dont l’objet est de "mettre en œuvre". Les "non-conseils" deviennent alors des " non-propositions" qui suggèrent des "Eléments de langage pour la communication : "C’est la victoire en Tunisie. Maintenant il faut construire. Ce n’est qu’un début : nous serons jugés sur les actes. "Autre directive communicationnelle : "Inonder les médias étrangers d’interviews. "Et puis pour finir, quelques "tuyaux" politiques : "Nommer un responsable de la lejna (qui ne soit pas le Premier ministre, une personnalité reconnue, indépendante. Pourquoi pas un avocat reconnu qui ne soit évidemment pas un proche ?" La journée devant se finir avec une conférence de presse. Toutefois pressentant peut-être l’inefficacité de ses "conseils" ?- Monsieur El Karoui prend le soin d’inciter le président Ben Ali à "trouver un point de chute à l’étranger" pour son porte-parole, Ben Dhia".

 

Si la suite des évènements ne dit pas si Ben Ali a lu ou non ces notes, les envoyés spéciaux de Mediapart avaient déjà révélé dans un article datant du  2 février 2011 que sitôt Ben Ali parti de Tunisie, Hakim El Karoui s’était envolé pour Tunis afin de prodiguer ses conseils au nouveau Premier ministre Mohamed Ghannouchi et participer "de loin" au nouveau gouvernement.

 

Mediapart , "L'ex-plume de Raffarin a conseillé Ben Ali jusqu'au bout" le 8 février 2011 par Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix