Une thèse roborative qui s’attache à combler une carence en droit privé : l’étude paradoxale de la catégorie juridique des actes visant à l’extinction d’une situation juridique… 

 

L’acte extinctif constitue, d’une certaine façon, un objet quelque peu "étrange" en droit : les juristes n’ont pas pour habitude de s’intéresser à cette catégorie d’actes juridiques qui a pour but l’extinction d’autres situations juridiques... A l’origine de cette thèse réside donc un paradoxe : si les actes extinctifs sont omniprésents en droit, leur domaine d’investigation reste à ce jour quasi inexploré…  Car en effet, ils sont habituellement étudiés sans mettre en lumière leur caractère sui generis, autrement dit sans que la catégorie des actes extinctifs soit étudiée pour elle-même. Or la thèse de Madame Sévely-Fournié renverse cette perspective en considérant l’acte extinctif comme un acte juridique ; selon elle, l’acte extinctif se définit précisément par le fait de transformer du fait en droit en donnant naissance à une situation juridique… par la mise à mort d’une situation juridique ! Janus juridique, l'acte extinctif est donc à la fois mort et résurrection... 

 

A cette aune, on peut alors considérer que l’acte extinctif peut constituer un réel objet d’étude pour les juristes. Il est une catégorie à part entière qui contribue au renouvellement de la théorisation et de la taxinomie des actes juridiques. Tel est l’apport essentiel de cette étude à la fois docte et convaincante : l’acte extinctif ne fait pas partie du domaine du "non-droit ", mais il est bel et bien au cœur du système juridique. Mieux : le droit lui-même en a besoin, en ce que certains contrats sont affectés d’une inefficacité, voire d’une pathologie et qu’il est donc nécessaire de faire appel à des mécanismes leur permettant de sortir de la scène juridique. Or l’acte extinctif est précisément cet instrument de régulation d’entrée et de sortie du système juridique. On ne comprendrait pas en effet que des situations se maintiennent alors même qu’elles ne produisent in concreto plus d’effet et sont pour ainsi dire mortes juridiquement… Aussi, s’agit-il finalement de mettre en adéquation le droit et le fait. L’acte extinctif manifeste la réactivité du droit, du sujet de droit, en éteignant une situation anormale et qui ne correspond plus à la réalité juridique…

 

Fonctions de l’acte extinctif

 

Analysé comme exprimant des valeurs, une politique juridique, l’auteur montre que l’acte extinctif se voit, de prime abord, assigner des fonctions. Il a notamment pour but de manifester la puissance de la volonté des parties, qui, si elles sont engagées dans les liens du contrat, n’y sont pas pour autant enfermées. Acte libéral, l’acte extinctif permet donc de comprendre comment elles peuvent en sortir… Alors que le Droit a longtemps manifesté un désir de pérennité, de stabilité des situations juridiques, ce désir de sauvegarder les contrats à tout prix connaît un certain déclin aujourd’hui. Cette conception classique n’étant en effet plus en phase avec la jurisprudence plus réaliste d’aujourd’hui, qui prend désormais davantage en compte des considérations telle que l’efficience économique. On admet ainsi que le contrat qui n’est plus utile pour les parties et ne répond plus à leurs visées initiales puisse être anéanti par anticipation. Là intervient l’acte extinctif, en tant qu’instrument à la disposition des parties pour inscrire l’acte juridique dans un temps linéaire et fini.

 

Car la temporalité juridique constitue, en filigrane, l’une des questions majeures de cette étude. Question récurrente et essentielle   , elle est décryptée notamment de façon très éclairante d’un point de vue philosophique. Ainsi que le montre l’auteur, les parties se servent essentiellement de l’acte extinctif pour maîtriser le temps des situations juridiques, et l’acte extinctif leur confère la "puissance de destruction" de celles-ci…C’est par le truchement de l’acte extinctif que les parties peuvent être réellement maîtres de leur situation. En cela, l’acte étudié est aussi une manifestation vigoureuse de la liberté du sujet de droit.

 

Un acte pluriel et une catégorie juridique sui generis

 

Force est également de souligner le panel particulièrement large qu’embrassent ces actes. Ainsi, on en trouve dans tout le droit privé, domaine auquel Mme Sévely-Fournié circonscrit son étude : déchéance de la nationalité, retrait de l’autorité parentale, dissolution de la personne morale, résiliation, licenciement, rétractation… Autant d’actes qui sont encore loin de constituer une liste exhaustive des actes extinctifs. Mais la difficulté de cet objet d’étude est précisément que l’acte extinctif n’existe pas, car le droit positif ne connaît que des manifestations particulières de celui-ci.

 

L’auteur souhaite donc nous donner une "image" de l’acte extinctif, à travers une construction intellectuelle "qui n’a pas pour but de nier la diversité des actes extinctifs en droit positif, mais bien au contraire de rendre cette pluralité intelligible." L’ouvrage, décrivant la multiplicité des actes extinctifs, s’attache ensuite à ordonner cette complexité, en essayant de construire le régime de l’acte étudié. Et il faut y voir assurément la construction d’une catégorie juridique nouvelle.

 

Ainsi, dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur a à cœur de mettre à jour l’originalité de l’acte extinctif, par rapport aux autres catégories d’acte juridique, mais aussi par rapport aux faits juridiques. Car en effet, il est des faits qui donnent lieu à l’extinction de situations juridiques : ainsi de l’écoulement du temps dans la prescription extinctive, par exemple. Dans le premier chapitre, l’auteur s’attache donc à mettre en relief la distinction entre les faits extinctifs et l’acte extinctif  en démontrant que "les éléments susceptibles d’emporter l’extinction d’une situation juridique peuvent être des faits ou des actes juridiques." Finalement, alors que s’agissant du fait juridique extinctif, l’extinction procède de la nécessité, d’une logique inéluctable, qui explique que l’extinction ait lieu automatiquement, l’acte extinctif quant à lui est une véritable technique d’anticipation : "la fin n’y est pas normale et nécessaire, elle ne procède pas mécaniquement de l’ordre juridique ancien mais volontairement d’un acte nouveau." L’acte extinctif est ainsi domination de la volonté sur les faits ; il exprime la liberté du sujet de droit qui s’affranchit des contraintes qui pesaient sur lui, à savoir la situation préexistante et son environnement juridique. Aussi, entre l’extinction due à un acte extinctif et l’extinction procédant d’un fait extinctif, deux régimes distincts correspondent, répondant à la différence de nature entre fait et acte extinctif.

 

Mais l’acte extinctif est encore mis en relief dans toute son originalité, en ce qu’il se distingue des autres actes juridiques. Il s’individualise "en ce qu’il évoque précisément la fin, la recherche d’une inefficacité définitive." L’effet extinctif y est autrement dit recherché pour lui-même, à la différence des actes déclaratifs (exemple du partage), qui peuvent certes revêtir les atours de l’acte extinctif, mais qui ne peuvent en fait comporter que des actes extinctifs accessoires.

 

Effet libératoire et sécurité juridique

 

En somme, alors que les actes modificatifs, déclaratifs et suspensifs renvoient à la volonté du sujet de droit de s’inscrire dans une situation juridique stable, l’acte extinctif quant à lui révèle le désir d’échapper à la situation juridique préexistante. En cela, une des caractéristiques spécifiques de l’acte extinctif est l’effet dit libératoire.

 

L’animus exstinguendi marquerait l’unité de la notion d’acte extinctif. Cette notion se caractérise par son objet même qui est l’extinction d’une situation juridique ; ce n’est pas un simple effet. La volonté tient donc le premier rôle s’agissant de la venue au monde juridique de l’acte extinctif. Or l’acte extinctif peut provenir du juge ou d’une personne privée : les volontés exprimées seront alors objectives ou subjectives.

 

Mais il faut également insister sur la dimension normative de l’acte extinctif : il est en effet créateur de normes, en ce qu’il éteint une situation juridique préexistante, laissant la place à une nouvelle situation juridique.

 

Par ailleurs, l’acte extinctif n’est pas sans représenter des enjeux de taille : ainsi, il est une technique de maîtrise du temps et des situations juridiques. En cela, l’unilatéralisme aujourd’hui culminant en droit des contrats peut tout à fait être compris comme une traduction du désir de plus en plus prégnant de liberté d’extinction. De même, parce qu’il empêche les "sorties sauvages" des situations juridiques, c’est également un véritable outil de paix sociale qui contribue à la sécurité  juridique. Cependant, il ne faut pas s’y tromper : sa fonction première est bien la fonction libératoire. Et cette fonction est essentielle car il est difficile, au risque du truisme, d’imaginer un contrat dont on ne puisse sortir ! Rejoignant la prohibition des engagements perpétuels, la fonction libératoire de l’acte extinctif permet de concilier la sujétion inhérente à l’engagement au contrat avec le respect de la liberté individuelle. Ce serait en effet sa personne que l’on donnerait en s’engageant perpétuellement… En cela, l’acte extinctif est volonté de liberté, mais il est aussi une nécessité dans un système juridique.

 

Il convient de relativiser cependant cette libération, en ce qu’elle doit plutôt être définie comme une nouvelle situation : le sujet de droit se "resitue sur la scène juridique". C’est qu’en effet, la situation juridique anéantie laisse place à une nouvelle situation juridique, le droit étant bien réticent à laisser les individus dans les limbes du "non-droit ".

 

Une typologie des actes extinctifs est mise à jour selon que l’extinction procède d’une liberté ou d’un pouvoir, avec cette nuance que l’auteur ajoute à cette distinction une catégorie hybride, celle des droits potestatifs. Dans le premier cas, l’extinction est l’œuvre d’une liberté, tandis que dans le second, elle est l’œuvre d’un droit. La différence notable entre les deux catégories est que s’agissant des pouvoirs et des droits potestatifs, ceux-ci empiètent nécessairement sur la sphère juridique d’autrui ; ils impliquent la sujétion (exemple du retrait de l’autorité parentale, du divorce, de la résolution judiciaire…). A rebours de cette logique, les actes extinctifs relevant de libertés n’impliquent que des effets sur la sphère juridique de leur auteur et n’imposent rien à autrui (exemple du déguerpissement, de l’abandon de nationalité…). Ces derniers ne peuvent être l’œuvre d’un juge, contrairement aux actes extinctifs relevant de pouvoirs, où le juge peut imposer sa décision au nom d’un intérêt supérieur et collectif.

 

Ainsi défini, l’acte extinctif peut apparaître comme l’une des manifestations les plus éclatantes de la maîtrise des sujets de droit sur les situations juridiques. L’ouvrage révèle et démontre de façon minutieuse que l’acte étudié appartient bel et bien à la catégorie des actes juridiques, en ce qu’il a son effet extinctif pour objet et non pour conséquence. Son unité réside avant tout dans l’animus exstinguendi de son auteur. Enfin, pour un plaidoyer en faveur de l’utilité et de l’intérêt certain de l’acte extinctif, on peut encore pointer la profonde insécurité juridique qui s’attacherait inévitablement aux ruptures de fait. A contrario, l'acte extinctif en permettant la rupture de droit est marqué du sceau de la sécurité juridique