Ces dernières années ont vu un regain de ‘fascination’ du monde occidental pour la Russie, alors que celle-ci tend à redevenir un acteur majeur du jeu géopolitique mondial et à sortir de l’ombre chinoise. Devenue puissance énergétique, terme que beaucoup de Russes perçoivent comme péjoratif,  la Russie cherche de plus en plus à peser aussi bien au niveau régional que mondial. Parallèlement, de nouveaux défis se font également jour au sein du monde occidental, défis auxquels la Russie est désormais volontairement ou involontairement associée – élargissement de l’U.E. vers l’est avec l’adhésion imminente de la Bulgarie et la Roumanie, mais également lutte contre le terrorisme international et relations houleuses avec l’Iran. La collision de nouveaux intérêts, de nouvelles perceptions ou plus simplement des mentalités différentes tendent aujourd’hui à façonner le monde de demain. Entre partenaire et menace, la place d’une Russie où la dérive autoritaire s’intensifie ne semble à l’heure actuelle pas encore clairement déterminée.  

La publication de cette compilation d’articles dans le cadre du hors série de Politique Etrangère épouse naturellement cette perspective. Quatre thèmes centraux articulent un ensemble cohérent qui tente sous différents angles, aussi bien russes qu’occidentaux, de définir les enjeux communs qu’auront à relever les deux partis dans un futur proche. Clairement il s’agit plus d’ouvrir des thèmes de discussion (notamment dans le cadre du CAPES et de l'agrégation de géographie cette année), que de "distribuer" des réponses faciles d’accès. Approche qui a le mérite de l’honnêteté dans un contexte où toute projection à long terme semble prématurée.

Plusieurs articles nous semblent particulièrement dignes d’intérêt, comme par exemple l’analyse que fait B. Lo des relations sino-russes et de la place qu’elles occupent dans l’agenda international des deux Etats. Entre deux pays qui se perçoivent comme une menace mutuelle depuis près de deux siècles, le poids de l’Histoire tend à limiter les possibilités d’interactions même si sur beaucoup de sujets - comme l’opposition au séparatisme, la volonté affichée d’être un acteur mondial de premier ordre ou encore de suivre une voie de développement propre - leurs intérêts semblent converger. Pourtant ces dernières années ont montré un rapprochement évident notamment à travers la normalisation des divergences frontalières (octobre 2004) ou le triplement du commerce bilatéral sous la présidence de V. Poutine. Aujourd’hui les deux côtés semblent malgré tout privilégier leurs relations avec l’Occident, mais la porte à une collaboration plus étroite entre deux puissances qui s’opposent idéologiquement à l’hégémonie américaine reste ouverte.

D’autres articles sont également là pour nuancer et enrichir la conception occidentale de la Russie notamment dans le cadre de la relation Russie-U.E. L’analyse que font F. Hill et O. Taspinar de la relation entre Turquie et Russie est de ce point de vue très intéressante, alors que ces dernières ont entamé un processus de rapprochement qui découle plus d’une frustration partagée à l’égard de l’U.E. que de l’existence de réelles valeurs communes. La question de la politique actuelle et future à l’égard de sa périphérie immédiate ou prochaine se pose ici en filigrane pour l’U.E., entre partenariat économique limité ou réel effort de rapprochement. C’est également le sujet de plusieurs autres articles comme ceux T. Bordatchev ou V. Milov. 

La qualité générale de l’ouvrage est donc indéniable même si nous pouvons regretter le fait que, certains articles datant déjà de 2004, leur pertinence s’en trouve quelque peu amoindrie.


* GOMART, Thomas, KASTOUEVA-JEAN, Tatiana, (dir.), "La Russie, Enjeux internationaux et intérieurs", Politique Etrangère, Hors série, Paris, Ifri, 2007.


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Credit photo : peuplier / Flickr