Les Rencontre nationales d'Inventer à Gauche et du bureau parisien de la Fondation Friedrich-Ebert  s'intitulant "La France, l’Allemagne et la crise européenne" ont pu fournir des échanges contrastant de beaucoup avec bien des discours au Parti Socialiste. Autant du point de vue des problématiques que des solutions. Pour autant, la question reste entière de l'influence de ce type de rencontre sur les partis politiques respectifs ?

 

 

L’univers médiatique est parfois trompeur. Les propos de Manuel Valls sur les 35h étaient certes polémiques, mais à l’échelle des divergences au sein du Parti socialiste, la réunion d’Inventer à Gauche, ce samedi 22 Janvier 2011, a débouché sur des conclusions encore plus éloignées de l’avis général des socialistes à l’heure actuelle.

Tel qu’annoncé dans nos colonnes par Michel Destot, le cercle de Réflexion Inventer à Gauche avec le bureau parisien de la Fondation Friedrich-Ebert a donc tenu son colloque à Strasbourg : "Sociaux-démocrates allemands et socialistes français face à la crise européenne : que penser ? que faire ?" L’affluence était au rendez-vous, quatre cent participants selon les organisateurs, à la fois des dignitaires de la Rocardie à la tribune et une assistance plutôt jeune.

Le sujet avait de quoi intéresser. Comme le rappelait Alain Bergounioux, le "couple franco-allemand" n’a en réalité pas beaucoup travaillé en commun d’un point de vue socialiste. Soit parce que les deux parties étaient avant les années 1980 à la recherche de leur unité – théorique pour les français, nationale pour les allemands – soit parce que ce sont des "couples" d’opposition qui ont fait l'Histoire. A savoir Mitterrand et Kohl dont les échanges étaient faits de communiqués sans véritable travail de fond. Dans les années 1990 et 2000, pour la première fois au pouvoir ensemble, les deux partis sociaux-démocrates ont malheureusement aiguisé leurs tensions- notamment avec une tentation de dépasser leurs modèles historiques, après le New Labour.

Pour autant, des signes de convergence sont apparus pendant cette période troublante ; la conversion du PS au terme "d’Etat prévoyant" est à cet égard, un bon marqueur d’un rapprochement indicible entre les deux partis et même, un signe d’un possible renouveau de la social-démocratie européenne. Alain Bergounioux étant presque le seul – hélas, mille fois hélas – à citer le PSE lors de ce colloque, hormis une courageuse intervention de Michel Ottaway, venant briser ce qui resta un des non-dits de ce colloque   .

Comme il fallait s’y attendre, les invocations ont plu lors de ce colloque ; le responsable du SPD Günter Gloser, député, ancien ministre délégué chargé des Affaires européennes, a bien appelé à dépasser un certain climat de défiance pour faire advenir des rapports de pleine confiance. Et comme toujours, la "douche vedrinienne" a marqué les esprits, mêmes les plus conciliants. Certes, nous a dit l’ancien ministre des Affaires étrangères, nous sommes rentrés dans un monde désormais "multipolaire", moment unique dans l’histoire, puisque nos mondes sont désormais connectés et hyperpolitisés ; l’Europe ayant le choix entre une Europe puissance et le modèle de la "grande Suisse" – cette dernière option étant le plus souvent choisie par défaut. Il est même allé jusqu’à dire l’absurdité d’une Europe "version Merkel", voulant et imposant une zone euro "comme un camp disciplinaire"… On laissera à son auteur la responsabilité de ce dernier propos, sans doute une formule plus conciliante pour dire que l’Europe doit respecter la souveraineté des gouvernements élus nationalement. Enfin bon.

Et Elie Cohen a cru bon de souligner l’aspect difficilement acceptable de certains propos védriniens, surtout ceux concernant la possibilité dérogatoire des engagements européens. Les engagements français- et socialistes- ont été pour le moins discutés dans l’enceinte de Strasbourg. A parler de travail, de rassemblement, et de partage d’engagements, force est de constater que nous ne pouvons que nous joindre à la critique du responsable du SPD, Axel Schäfer, député, vice-président du groupe parlementaire du SPD, chargé des questions européennes, exprimant sa difficulté de s’entendre avec son homologue d’outre-Rhin, tant l’instabilité programmatique, pour ne pas dire son foisonnement parfois même contradictoire, lui est coutumier. Mais sans doute sommes-nous là encore dans une histoire de "culture", ou d’histoire politique. Une belle manière d’éviter les débats, dira un autre intervenant.

Elie Cohen avait également rétorqué de manière sibylline à l’énumération des travaux actuels du PS et du SPD, dictés par un Jean-Christophe Cambadélis décidé à défendre l’idée d’une nouvelle "maison commune" entre les deux partis – notamment dans la déclaration commune de Sigmar Gabriel et Martine Aubry. (Tout comme Catherine Trautmann a bien défendu le sien de la DSF au Parlement Européen). Il a même esquissé un léger rire, pour faire bien faire comprendre à son auditoire que "l’hyperréalisme n’est finalement pas très réaliste". En effet, nous sommes encore à l’heure des propositions. Et pour faire des propositions, un cadre de travail est nécessaire. Michel Rocard en a tiré quatre problématiques majeures : établir les mesures pour lutter contre le "compte à rebours écologique" de notre mode de production actuel, relever la tête d’une défaite annoncée contre l’impossible réforme du système financier international, en crise chronique tous les cinq ans, l’impossibilité à instaurer une société de plein emploi dans les pays développés, la lutte contre la forme la plus cruelle de la pauvreté dans nos pays, celle des travailleurs pauvres.

Les propositions furent également finement aiguisées. Pour Elie Cohen, d’un point de vue macroéconomique, on s’aperçoit enfin du temps perdu (et des milliards !) à accepter finalement de restructurer – quel qu’en soit le terme – la dette des pays européens, les eurobonds arrivent enfin à trouver des formes d’acceptabilité par le plus grand nombre. Il s’agira ensuite de profiter de la manne sous-exploitée des fonds régionaux européens ; l’idée d’une taxe financière, qui sitôt passée la démagogie de tous les partis européens (à vouloir s’en servir pour tout et n’importe quoi), arrivera à un niveau qui est le sien, européen. Enfin, les deux dernières propositions ont porté sur l’idée d’une nouvelle gouvernance qui se doit d'être davantage appliquée à la zone euro sur les thématiques européennes et davantage responsable pour qu’une solidarité entre les pays puisse exister.

Et des propositions, ce furent également les représentants syndicaux qui en ont données. Comme toujours, ils sont restés respectueux des dogmes sociaux-démocrates de liberté de critique des instances de la démocratie sociale. Pour le DGB   , représenté par Dieter Schulte, ancien Président du DGB et Président adjoint de la Fondation Friedrich Ebert, il faut revenir à l’idée d’un pacte social sans quoi les efforts d’aujourd’hui ne seront que les désespoirs de demain. Pour Marcel Grignard, chargé de la politique internationale et de l’Europe à la CFDT, il est urgent d’élever le dialogue social au niveau où le sont les groupes et les conseils d’administration. Il ne se fait guère d’illusion sur une influence certaine de la montée des syndicats dans le conseil d’administration des entreprises, contrairement à ses partenaires allemands. Non, la voie pour peser dans le débat est justement d’élever premièrement un dialogue à l’échelle de l’Europe, et de discuter des vrais sujets : les enjeux sociaux et environnementaux des entreprises. Dans les questions, Roger Godino a justement fait remarquer que le développement des conseils de surveillance serait là un contrepouvoir pertinent non seulement pour notre époque, mais également pour la conjoncture économique dans laquelle nous sommes. Marc Deluzet, quant à lui, a bien fait remarquer qu’une sortie "par le haut" de nos problèmes contemporains relevait d’une voie commune, celle d’un agenda social commun entre les deux pays. La question était donc de faire rentrer dans un cadre commun des français pour le moins apeurés par la mondialisation grandissante, et des allemands probablement plus enthousiastes, mais usant sans doute de stratégies de court terme face à des enjeux qui relèvent de la civilisation. Au final, un discours fleuve de Michel Destot fut, à le lire entre les lignes, assez corrosif. Qui au Parti socialiste peut dire sans sourciller qu’il faudrait une fusion dans la recherche, dans les grands pôles industriels, dans l’énergie, même les réseaux ferrés ? Il nous prépare ainsi à un communiqué d’Inventer à Gauche engageant la Fondation Friedrich Ebert qui, s’il était lu par la plupart des responsables du Parti socialiste, ferait grincer de nombreuses dents. Sur l’effort industriel, dire que : "A cet égard, l’Allemagne montre la voie" relève d’une certaine hétérodoxie de l’économisme socialiste français ; on peut bien sûr le dire d’une façon polie : "Il appartient donc à d’autres pays, dont la France, de prendre leur part pour permettre de dégager les ressources suffisantes, par la maîtrise de leurs finances publiques. L’effort de rigueur indispensable au continent européen doit être un effort juste et équilibré, car il n’est ni possible socialement, ni efficace économiquement, de le faire porter sur les seuls salariés", mais l’essentiel est dit. Et de même sur le dialogue franco-allemand : "Nous devons donc nous engager résolument pour une intégration politique et économique entre les deux pays et cela passe aujourd’hui par des échanges réels, dégagés de tout esprit de rituel marqué par la paresse et la routine". Cela va donc mieux en le disant