A l'occasion du conseil du PSE se tenant à Varsovie, les 2 et 3 Décembre, Nonfiction.fr s'entretient avec le président du cercle de réflexion Inventer à gaucheMichel Destot est député-maire de Grenoble, président de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) et président du conseil national du Parti socialiste. Il évoque les principaux enjeux du cercle et formule des propositions, notamment concernant le mode de désignation du leader du PSE en 2014, qui sera candidat à la présidence de la Commission Européenne. Michel Destot évoque un processus "à la carte" et des "modalités innovantes" pour le Parti socialiste. L'important est désormais de penser  européen dans la manière d'aborder les sujets politiques.

 

Nonfiction.fr- Le sous-titre d’Inventer à Gauche, votre groupe de réflexion, est "cercle européen et réformiste". Quel regard portez-vous sur l’idée européenne ?

Michel Destot : Merci de me donner l’occasion de parler des travaux d’Inventer à gauche. En 2009, nous avons justement traité cette question sous la forme d’un groupe de travail et d’une réunion publique. Il nous apparaît tout d’abord une réalité : le besoin de gouvernance à l’échelle internationale. L’Union Européenne est bel et bien l’espace le plus proche et le plus adapté pour réaliser cette synthèse : un fort besoin de solutions locales, dans une économie devenue internationale.

Mais au-delà de toutes les politiques possibles et imaginables à l’échelle de l’Europe, que ce soit les plans de relances, les politiques d’innovations, et de développement des territoires, j’ai une certaine conviction personnelle qui va au-delà de tous ces instruments possibles et de ces chantiers importants à développer : l’Europe doit avant tout continuer de susciter l’espoir, autant chez les citoyens que chez les décideurs.

Nonfiction.fr- Comment expliquez-vous la défaite des sociaux-démocrates aux dernières élections européennes ? Que doivent-ils faire pour gagner en 2014 ?

Michel Destot : Les résultats du scrutin de juin 2009 ne sont pas flatteurs pour les représentants politiques que nous sommes, les sociaux-démocrates européens. D’un point de vue comptable, nous avons objectivement régressé : par rapport à 2004, le PSE a perdu 38 députés au Parlement européen ; en France, nous avons cédé 17 sièges ; et surtout l’abstention s’est accrue y compris dans notre pays avec moins de 50 % de votants.

De tout cela, le plus inquiétant fut justement une certaine fêlure dans cet espoir, dont je persiste à croire qu’il est crucial pour le dessein européen. Et en comprenant la sociologie de ce scrutin européen, l’un des éléments majeurs de la défaite des partis socialistes et sociaux-démocrates aux élections européennes de 2009 a été le désintérêt des citoyens pour ce scrutin, et en premier lieu des électeurs traditionnels de la gauche. Ce sont les jeunes et les populations avec le moins de diplômes qui ne sont pas allés aux urnes, de ce fait, une grande partie de notre électorat ne s’est pas déplacée.

Nonfiction- Est-ce la stratégie du Parti Socialiste Européen qui est à remettre en cause ?

Michel Destot : Je ne le crois pas. Le Parti Socialiste Européen fait vivre une certaine unité social-démocrate, et nous nous inscrivons dans son action. La rédaction du Manifesto avait été une démarche à la fois sérieuse et constructive pour une Europe politique telle qu’on la souhaite. Français et réformistes, nous ratifions à quelques mots près avec satisfaction ce travail commun, faut-il le rappeler, ratifié par les partis membres du PSE sans aucun opt out.

Nonfiction.frCette erreur ne risque t-elle pas de se reproduire ?

Michel Destot : Le Parti Socialiste Européen a réagi avec une bonne stratégie, lors de son Congrès de Prague en décembre 2009. Dans le cadre du traité de Lisbonne, les données des prochaines élections ont complètement changé, et nous devons, nous autres, responsables politiques, en prendre pleinement conscience. Désormais, le parti politique qui disposera de la majorité des sièges au Parlement Européen détiendra politiquement le choix de nomination du président de la Commission Européenne en 2014.

C’est pourquoi le PSE ne devait pas réitérer certains écueils de 2009, notamment le choix d’un leader commun européen. De ce fait, à Prague les partis membres réunis en congrès ont acté le principe d’un candidat unique pour le scrutin, de manière à pouvoir postuler de facto pour la Présidence de la Commission européenne en 2014 ; de plus, le Parti Socialiste Européen veut devenir un véritable parti politique en donnant un plein statut pour les militants du PSE.

Il reste désormais à savoir comment le PSE s’organise en interne pour mettre en œuvre ce mode de désignation acté par ses statuts. Et sur ce point précis, je ne veux pas préempter le travail très important mené par Alain Richard, vice président du PSE et par ailleurs membre fondateur d’Inventer à gauche, qui est membre d’une commission d’étude sur le sujet. Le Conseil du PSE qui va se tenir à Varsovie en fin d’année a notamment pour tâche de donner un cadre aux modalités de désignation de ce candidat.

Nonfiction.fr- Quelle est votre position sur ce sujet ?

Michel Destot : Je souhaite que la question de l’espoir du projet européen puisse être portée par des personnalités politiques et par des organisations œuvrant collectivement. Je n’ai pas un avis tranché sur la question. Nous allons voir les résultats des travaux de la commission d’Alain Richard sur la question.

Par ailleurs, je sais que des militants PSE font actuellement campagne en faveur de l’organisation de primaires    . Leur campagne a atteint un certain écho institutionnel, mais aussi dans les médias européens : ils plaident pour l’ouverture de débats sur le mode de désignation, de manière à porter le PSE vers un scrutin plus européen, de manière à renforcer la légitimité politique du candidat choisi.

Cette campagne est séduisante, ambitieuse, elle mérite d’être soutenue. Mais nous aurons des difficultés au niveau européen à avoir un fort consensus sur la question. Je pense qu’il faut se rapprocher d’une hypothèse réaliste sur cette question.

Nonfiction.fr- Comment dépasser ces difficultés?

Michel Destot : Je crois que le mot de "primaire" ferait polémique ; il s’agit avant tout de préférer celui de "désignation du candidat" des socialistes européens au travers de mécanismes larges et souples. C'est-à-dire en premier lieu de dépasser la situation actuelle de statu quo, où le choix se ferait lors d’un sommet des leaders ou alors par une liste ratifiée par le conseil du PSE.

D’un côté, il y a l’hypothèse peu réaliste d’une procédure ouverte à l’ensemble des citoyens de l’Union européenne se réclamant des idées socialistes et social-démocrates. Ce serait sans aucun doute la méthode la plus efficace pour créer un élan démocratique. Mais il faudrait des bureaux de vote dans toute l’Europe, un tel évènement serait vraiment difficile à organiser ; tous les partis membres du PSE n’adhèreront que difficilement aujourd’hui à une démarche aussi ambitieuse.

D’un autre côté, on peut concevoir pourtant de faire avancer collectivement les partis qui le veulent avec un processus de désignation plus large que le corps actuel, une sorte de dispositif à la carte.

Ainsi, chacun des partis organiserait des scrutins internes avec des choix de candidats préalablement sélectionnés ; ils auraient donc la maîtrise de le faire voter soit par leurs militants, soit par des représentants correspondants à leur tradition politique (par exemple, au SPD, cette question est beaucoup plus fidèle à la structuration de son parti), soit par des dirigeants si cela leur parait nécessaire.

Ainsi désignés, les délégués seraient, comme dans la procédure américaine, des ‘grands électeurs’ qui voteraient in fine en congrès du PSE, le tout en respectant scrupuleusement les pondérations nationales actuelles du Parti socialiste européen au niveau du nombre de délégués.

Dans cette seconde option, le mode de présélection des candidats est important. Il doit disposer d’une légitimité réelle dans plusieurs pays. Le critère choisi pourrait être un nombre minimum de signatures de délégués, de parlementaires européens et/ou de responsables de partis politiques nationaux.

 

Nonfiction.fr-Et pour le Parti socialiste, cela signifierait quoi ?

Michel Destot : Vous savez qu’au Parti socialiste, la question européenne est toujours une question importante. Nous avons su faire une campagne unitaire en 2009. Nous venons de ratifier une convention pour une nouvelle donne internationale et européenne. Je crois que nous avançons collectivement au sein de notre formation politique sur la thématique européenne.

Et si chacun des partis en Europe avait la liberté d’organiser un mode de scrutin de son choix, c’est à la direction du Parti de savoir trouver la formule pour redonner à tous de l’espoir dans notre devenir européen. Nous devrons trouver des modalités innovantes pour associer à la fois les militants PSE et ceux de nos sections.

Et pourquoi pas dans une forme de convention pour la désignation ? Ce pourrait être une bonne manière de développer et de former chacun des militants socialistes à l’Europe ; ce serait une réelle opportunité pour penser désormais européen dans notre manière de concevoir notre dessein politique.

 

Nonfiction.fr- Avec "Inventer à Gauche", vous allez organiser un colloque sur le thème de "La France, l’Allemagne et l’Europe" en janvier prochain ?

Michel Destot : Tout-à-fait, et par nécessité j’ai envie de dire. Il ne faut plus parler de distorsion entre le local et l’international, entre l’Europe et la France, mais il faut savoir comment inscrire notre action en tant qu’acteurs de la politique et celle de la destinée de nos concitoyens, avec les leviers d’actions désormais réalistes pour être efficace.

A partir de ce constat, nous ne pouvons plus ne pas parler d’Europe, et à l’intérieur de celle-ci du couple franco-allemand. Je ne vous prendrais qu’un seul exemple. Si l’on parle des grandes échéances à venir, notamment dans le cadre de 2012 et de 2013 (date des élections en Allemagne pour faire basculer la majorité), nous nous apercevrons que nous ne pourrons rien faire sans un dialogue franco-allemand ; il faut que les deux partis travaillent en amont, avec une stratégie commune et une entente entre les deux rives du Rhin. C’est dans cet esprit qu’Inventer à Gauche organise samedi 22 Janvier 2011 (à Strasbourg) un colloque sur les perspectives communes du Parti socialiste et du SPD avec Jacques Delors, Michel Rocard, ainsi que de nombreuses autres personnalités allemandes et françaises autour du thème de "La France, l’Allemagne et l’Europe". Nous sommes accueillis pas le sénateur-maire de Strasbourg Roland Ries et en partenariat avec le bureau parisien de la Fondation Friedrich Ebert Stiftung, nous voulons explorer les sujets cruciaux pour nos deux partis dans les années à venir, innover et proposer. Inventer à gauche (IAG) est une boîte à idées, un cercle de réflexion qui se veut à la fois "européen et réformiste"

Propos recueillis par David Chopin, coordinateur du pôle Social-démocratie en Europe de Nonfiction.fr.

 

Pour aller plus loin :

Inventer à Gauche, par David Chopin.

- Le site d'Inventer à Gauche.

- Renseignements sur le colloque "La France, l'Allemagne et l'Europe".