Le nom des gens de Michel Leclerc sorti récemment en salles renvoie à un vieux thème : comment parler politique au cinéma ? Un article de l’Express a ainsi recensé les films sur la gauche sortis ces dernières années et leur façon de traiter les évolutions de la tendance au cours de l’histoire. La fiction étudie de près le rapport des gens à la politique. Elle peut être une entrée dans le quotidien de jeunes militants ou un bilan sur les années d’un président. Que ce soit dans l’univers bobo parisien ou en pleine campagne comme dans le film de Rohmer, L’arbre, le maire et la médiathèque (1993), le cinéma permet-il de casser l’image lisse des politiques ? Est-il un moyen d’entrer dans l’intimité des débats quotidiens entre gens ordinaires et de refléter ainsi l’opinion ? Le cinéma serait-il alors une percée dans la réception du politique au sein du débat public ? Sondeur d’opinion, il illustre aussi les changements dans les pratiques du politique à travers sa féminisation ou sa peoplisation.

 

Le cinéma et le débat politique

La politique c'est un peu comme la religion au cinéma, on n’en parle pas vraiment, on voit peu de personnages autour d'une table discuter de Sarkozy ou de la réforme des retraites dans un film populaire par exemple. Que ce soit dans les séries ou sur grand écran, il est rare que les personnages soient politisés quand le film ne traite pas lui-même de politique. Pourtant, la politique est un thème essentiel des conversations de bistrot ou même de la vie quotidienne d'une personne lambda. Si les films peuvent être politisés, se plaisant à retracer le parcours de certains politiciens, il semble difficile d'introduire le "débat politique" au cinéma. Risque pour le réalisateur de trop marquer sa tendance ou de tourner à vide ? Pourtant le film de Rohmer le montre bien, parler de politique peut servir de scénario discursif et narratif à tout un film. Chaque personnage est défini par ses idéaux et non par sa couleur politique. Les idées ou les stratégies les animent et déterminent leur personnalité dans le film. Fabrice Lucchini est un instituteur idéaliste attaché à son village et à son arbre, symbole de sa lutte contre le maire de la ville arriviste et ambitieux qui veut redessiner la ville autour d'un vaste projet urbain. Entre thèmes connus, comme le contraste entre ville et campagne, Rohmer prête une attention au dialogue politique parmi diverses couches socioprofessionnelles. La jeune fille de l'instituteur aura d’ailleurs le fin mot de l'histoire.

 

Le cinéma et le féminisme

La place de la femme par exemple, est revalorisée. Comme le dit François Ozon dans un article du Courrier International, l’idée de Potiche provient de la misogynie qu’il avait perçue dans les milieux politiques lors de la candidature de Ségolène Royal aux présidentielles. Ici, les femmes usent et abusent de tous leurs atouts pour convaincre, militer, convertir et même s’imposer. Dans Le nom des gens de Michel Leclerc, la "vitalité hybride", dit Jacques Gamblin, est perçue comme le meilleur remède à tout débat sur l’identité nationale. "L’avenir de l’humanité, ce sont les bâtards !!" affirme Bahia Benmahmoud (interprétée par Sarah Forestier), persuadée que le mélange des origines rétablira la paix. Libre, Bahia se revendique "pute politique". Elle couche avec les "Fachos", comme elle dit, pour les rallier aux idées de gauche. L'énergumène maîtrise tous les codes de communication politique, allant jusqu’à publier un manuel sur ses méthodes peu communes. Elle réutilise finalement les thèmes qui ont fait la gloire de la "peoplisation du politique" : l’utilisation du corps comme moyen de séduction, le fait de savoir "se vendre" et même la "maternité"   puisqu’elle encourage la reproduction et le mariage. Le génie de Bahia est donc de se servir des codes de ceux qu’elle déteste pour mieux les détruire. Elle sait utiliser les stéréotypes féminins afin de manipuler ses adversaires.

 

La comédie pour renouer avec la politique

Aujourd'hui, le genre de la comédie semble être le meilleur moyen à utiliser pour traiter de la politique. Les deux dernières sorties récentes en témoignent, Potiche et Le nom des gens remettent au goût du jour l'engagement en politique mais à travers un regard distant et ironique. Potiche renvoie au cadre des années 70, aux luttes de la femme et du patronat tandis que Le nom des gens s’inscrit dans une dynamique plus récente, celle de la rupture opérée lors des présidentielles de 2002 avec la chute de Jospin au premier tour et ses conséquences pour la gauche. Outre l’humour (on se moque doucement des jospinistes et Sarkozy en prend encore pour son grade), les deux films témoignent aussi d’une nouvelle donne : la fin d’une certaine radicalité dans l’orientation. Si le militantisme est toujours d’actualité, les idées passent différemment. La classe sociale, le milieu culturel ne sont plus forcément déterminants dans le choix de l’orientation politique. Que ce soit à travers Catherine Deneuve, bourgeoise qui devient l’image de la patronne idéale et s’amourache d’un communiste, ou Bahia Benmahmoud qui se vante de "convertir" par le sexe, ces deux fictions montrent bien la mouvance du politique et de ses valeurs. Ils attestent ainsi d’ "une rage de convaincre" encore présente et essentielle en politique, qui serait le moteur de toute adhésion. Un bon message pour les futurs candidats aux présidentielles