A l’heure de la révision imminente de la loi de bioéthique, un outil efficace de réflexion sur la question de la levée de l’anonymat du donneur de sperme.

L’ouvrage collectif coordonné par Pierre Jouannet et Roger Mieusset s’inscrit dans le débat relatif à la révision de la loi de bioéthique et pose la question de l’anonymat du donneur de spermatozoïdes. On sait que ce débat est en voie d’achèvement, puisque le projet de loi relatif à la bioéthique a été déposé le 20 octobre dernier à l’Assemblée Nationale. Ce dépôt n’enlève en rien son intérêt à l’ouvrage, d’abord parce qu’il a vocation à nourrir les discussions parlementaires, ensuite parce qu’en matière bioéthique, même si la prochaine loi ne devrait pas prévoir sa propre révision comme c’était le cas des précédentes, aucun débat n’est jamais définitivement clos. En outre, le projet de loi adopte une position intermédiaire entre le maintien et la levée de l’anonymat, en organisant un accès systématique, par l’enfant majeur issu d’une procréation médicalement assistée avec tiers donneur, à des données non identifiantes sur le donneur. L’accès à l’identité est aussi rendu possible, mais avec le consentement exprès du donneur, seulement sollicité au moment où l’enfant en fera éventuellement la demande. Ainsi la levée de l’anonymat n’est-elle pas totale, et son maintien est d’ailleurs affirmé dans les relations entre donneur et couple receveur. Il reste donc de la place pour réfléchir à la question de savoir s’il est bon pour l’enfant, plus exactement pour la personne conçue grâce aux gamètes d’un tiers donneur, de connaître l’identité de ce donneur. L’ouvrage Donner et après... est un outil de premier choix pour nourrir cette réflexion.

Sa qualité première est sans doute sa véritable transdisciplinarité. Par ce recueil d’articles et de témoignages, les auteurs ont veillé à donner la parole à tous les acteurs du don de spermatozoïdes, qu’ils soient médecins, psychologues, psychanalystes ou psychiatres, sociologues, philosophes, juristes, mais aussi donneurs, parents receveurs ou enfants nés d’un tel don. Relevons que l’ouvrage ne s’intéresse qu’au don de gamètes masculins, et non au don de gamètes en général. Nous apprécions pour notre part ce choix de ne pas traiter du don de gamètes de façon monolithique, comme le fait pourtant la loi, et rejoignons d’ailleurs en cela l’un des auteurs   . L’une des différences les plus importantes entre don de spermatozoïdes et don d’ovocytes, qui justifie pleinement le choix d’exclure le second de ce recueil, est historique, et tient à ce que l’insémination artificielle avec donneur est pratiquée depuis plus longtemps que la fécondation in vitro avec don d’ovocytes. Le recul est donc plus important, et l’ouvrage évite l’extrapolation au don d’ovules de ce qui existe dans le don de sperme. Quant à ce que l’on observe, nous ne le décrirons évidemment pas ici, mais nous pouvons souligner que l’ouvrage offre un panorama complet de cette pratique.

Complet en ce qu’il embrasse les expériences étrangères, exacerbant la dimension culturelle de la règle. Si la technique est la même partout, la façon dont elle est vécue par ceux qui y recourent, et accueillie par la société, varie beaucoup d’un pays à l’autre. Vient alors le questionnement, à notre sens, principal, qui porte sur notre vision du don de spermatozoïdes. Cette vision est décryptée dans la dernière partie de l’ouvrage, consacrée au "regard des sciences humaines", mais apparaît en filigrane dans toutes les contributions, ce qui permet d’apercevoir son évolution. La distinction, souvent rappelée, entre secret et anonymat, est de ce point de vue particulièrement intéressante. Complet aussi en ce que, comme nous l’avons évoqué, toutes les disciplines, mais aussi toutes les personnes intéressées par ce don spécifique sont sollicitées. Selon que l’on est plus familier d’une discipline ou d’une autre, la lecture est plus ou moins facile, mais c’est assurément grâce à ce type d’ouvrage que les échanges interdisciplinaires peuvent être améliorés. Loin d’être hétéroclite, cet ouvrage rassemble un échantillon significatif des positions sur cette question de l’anonymat du donneur de gamètes. Les articles développent souvent une opinion tranchée, mais l’ensemble n’impose aucune solution, favorisant ainsi la réflexion.

A la rigueur scientifique des descriptions et des analyses s’ajoutent les prises de position plus personnelles fondées sur l’expérience, le tout réalisant un instantané sans doute assez fidèle à la réalité du don de spermatozoïdes dans notre société contemporaine. Aussi sera-t-il certainement tout-à-fait intéressant de relire ce recueil dans quelques dizaines d’années, alors que l’on pourra observer les effets de la probable dérogation au principe de l’anonymat que posera la prochaine loi.

L’autre qualité essentielle de cet ouvrage réside dans l’originalité avec laquelle sont traités les témoignages des premiers concernés : donneurs, parents et enfants. Les études sociologiques ou psychologiques s’appuient sur de tels témoignages, mais certains sont aussi livrés "bruts" au lecteur. A lui alors de les confronter entre eux, et là encore le lecteur trouve les outils permettant de développer sa propre réflexion. Relevons que la parole est largement laissée aux donneurs, ce qui n’est pas si fréquent. Ils expriment directement leurs conceptions, diverses, du don et de l’anonymat, sans être vus, comme c’est souvent le cas, par le prisme des parents, des enfants ou des praticiens.

Enfin, nous avons particulièrement apprécié de voir, au fil de cet ouvrage, fonctionner le don de spermatozoïdes, depuis la création des CECOS jusqu’à l’arrivée à l’âge adulte des premiers enfants nés de cette technique. C’est ce qui nous pousse à conseiller cette lecture à toute personne s’intéressant au don de gamètes, et spécialement à ceux qui cherchent à l’analyser sans y être directement impliqués. Ils trouveront dans ce livre, non seulement des analyses théoriques rigoureuses, mais aussi des éléments concrets indispensables à une véritable compréhension du sujet