Il ne fait plus aucun doute pour la blogosphère américaine que le Parti républicain et sa nouvelle branche Tea Party vont remporter les élections de Midterm mardi prochain. Cette unanimité concerne aussi, de manière assez bizarre et intéressante, les prédictions sur l’après-victoire. La majorité des blogueurs libéraux et conservateurs semblent s’accorder pour dire : la révolution conservatrice n’aura pas lieu.

Le programme irréaliste des Tea Party

Pour la blogosphère libérale, le mouvement des Tea Party va échouer, même si ces membres remportent beaucoup de sièges mardi, car son programme est complètement irréalisable. Si l’on prend les propositions des Tea Party à la lettre, on aboutit à une complète redéfinition du pacte social et politique américain. Sur le site Talking Points Memo, Brian Beutler montre à quel point la population américaine n’est pas prête à des bouleversements d’une telle ampleur : "It seems as if we've heard more about the Constitution this election than we did in 2008, when questions of due process and cruel and unusual punishment were bona fide election issues. … a key goal for the Tea Party this election is to "return" to the Constitution. Minus certain parts of it. And only if you read other parts in a very specific way. We know the Tea Party has a ... unique interpretation of the country's foundational text, but it's hard sometimes to keep track of all the things their favored candidates would like to see abolished or relegated as part of this "return". Their convenient reading of various amendments - particularly the 10th - would radically transform the country as we know it. Here are a few major programs that would change or disappear [On parle beaucoup plus de la Constitution cette année qu’en 2008, quand les questions de respect de la Constitution et de la torture étaient pourtant des questions clé de la campagne… L’une des promesses les plus importantes des Tea Party cette année est un ‘retour’ à la Constitution. Sauf pour certains de ses passages. Et seulement si on lit d’autres passages d’une manière très particulière. On sait déjà que le mouvement des Tea Party a une interprétation assez unique du texte fondamental de notre pays, mais parfois c’est dur de se souvenir de toutes les choses que ses candidats voudraient voir abolies ou mises de côté dans le cadre de ce ‘retour’. Leur lecture de plusieurs amendements – en particulier le 10e [qui limite les pouvoirs du gouvernement fédéral, NDLR] transformerait le pays de façon radicale. Voici une liste des programmes majeurs qui changeraient ou disparaîtraient] :

1. Social Security [Le système public de retraites] :

Social Security is far too popular for all but the most conservative politicians in America to outright oppose. So the "Tenth Amendment" remedy for what they view as an unconstitutional program is to make individual states responsible for resident's retirement security. No word on how this would impact people who want to retire to a different state than the one they spent their career paying taxes in. [Les retraites publiques sont bien trop populaires pour que quiconque s’y oppose ouvertement, à part les politiciens les plus conservateurs du pays. Dans ce cas, leur remède inspiré par le 10e amendement est de rendre les états individuels responsables de la retraite de leurs résidents. Aucun mot par contre sur l’impact que cela aurait sur les gens qui prennent leur retraite dans un état différent de celui où ils ont payés des impôts pendant toute leur carrière].

2. Medicare [Le système d’assurance santé publique pour les Seniors] :

Along the same lines, some tea partiers and tea party-backed candidates think that the federal government never had the constitutional authority to create Medicare. During a Fox News appearance this summer, Miller explained his solution to the Medicare and Social Security "problems" : "If we don't come up with solutions, you know, whether it be privatization, personalization or some other solution, which, frankly, you know, it's our preference that that be a transferred power to the states," Miller said [Dans le même ordre d’idées, certains Tea Partiers pensent que le gouvernement fédéral n’a jamais eu l’autorité constitutionnelle de créer le Medicare. Lors d’une interview sur Fox News l’été dernier, Miller [le candidat Tea Party en Alaska, NDLR] a donné sa solution pour résoudre les ‘problèmes’ du Medicare et de la Social Security : ‘Il faut des solutions, soit la privatisation, soit la personnalisation ou autre chose... mais notre préférence va au transfert de ces responsabilités vers les états’].

3. Minimum wage [le salaire minimum] :

Probably because old people vote, and poor people are, well, poor, conservatives are a bit more outspoken about the minimum wage than they are about entitlements for the elderly. But few come right out say that it's unconstitutional. One of the few who does is West Virginia Senate nominee John Raese. [Sans doute parce que les vieux votent, tandis que les pauvres sont… et bien, ils sont pauvres, les conservateurs sont plus explicites sur la question du salaire minimum. Peu disent ouvertement que c’est une loi anti-constitutionnelle, mais certains le font, comme John Raese en Virginie Occidentale].

4. United Nations [l’ONU] :

You know what else wasn't specifically provided for in the Constitution? The establishment of, and the United States' participation in, the United Nations. The Republican candidate who most embodies the Tea Party view that American involvement with the U.N. violates the Constitution is Nevada nominee Sharron Angle. [Vous savez qu’il y a un autre truc qui est pas mentionné explicitement dans la Constitution ? La création de l’ONU et la participation des Etats-Unis dans l’ONU. C’est Sharron Angle [candidate au Sénat dans le Nevada, NDLR] qui incarne le mieux cette idée que la participation des USA à l’ONU est une violation de la Constitution].

5. Unemployment benefits [l’assurance chômage] :

Though many Republicans have voted to extend unemployment benefits since the economy tanked, others think the whole concept transgresses the Constitution. Joe Miller again, this time during an appearance on "Top Line" : "The unemployment compensation benefits have gotten -- first of all, it's not constitutionally authorized. I think that's the first thing that's gotta be looked at, so I do not favor their extension." [Bien que beaucoup de Républicains aient voté pour allonger la durée de versement des allocations chômage depuis le début de la crise, d’autres pensent que ce concept-même est une transgression de la Constitution. On peut là aussi prendre l’exemple de Joe Miller lors d’une interview pour Top Line : "les allocations chômage, en premier lieu, ne sont pas autorisées par la Constitution. Donc je ne suis pas favorable à leur allongement’].

6. Civil Rights Act [La loi sur les droits civiques qui a mis fin à la Ségrégation en 1964] :

When he first won the Republican nomination for Senate in Kentucky, Tea Party favorite Rand Paul figured it would be fine to go on television and discuss why perhaps a key part of the civil rights act, providing for the integration of private businesses, might not be Constitutional. Segregated lunch counters ! [Quand il a gagné la primaire dans le Kentucky, Rand Paul a pensé que c’était une bonne idée d’aller à la télé et de dire que l’une des clauses les plus importantes de la loi sur les droits civiques – celle qui interdit la ségrégation dans les entreprises privées – n’était sans doute pas constitutionnelle. Vous vous rendez compte…. La ségrégation raciale dans les restos !]”.

 

Il n’y aura pas de révolution conservatrice

D’une manière plus cynique, de nombreux blogueurs mettent en doute le sérieux des propositions des Tea Partiers. Vu le contexte très particulier des midterms qui vont marquer le début des primaires pour la présidentielle de 2012, en particulier dans le camp républicain, on peut en effet s’interroger sur le poids des préoccupations électoralistes dans la rhétorique conservatrice actuelle.

Beaucoup de blogueurs libéraux se rassurent en soulignant les parallèles entre les midterms de 2010 et ceux de 1994, où une vague républicaine ultra-conservatrice était venue clôturer les deux premières années de la présidence Clinton. La majorité républicaine de 1994 s’était montrée si radicale qu’elle avait vite perdu le soutien de la population et ainsi permis la réélection de Clinton en 1996. Pour Tim Fernholz, sur The American Prospect, les Républicains vont se montrer aussi intransigeants en 2010 qu’en 1994 et rien ne se fera à Washington entre les midterms et les présidentielles de 2012 : "There’s been talk of the dubious virtues of divided government. It's undeniable that at least some people will support the GOP because they feel it's better to have two parties splitting control of Congress than just one in charge. Unfortunately, if their goal is to temper the Democrats' agenda with bipartisan feel-goodery, it won't work. It'll just ensure that nothing gets done… I wonder if those voters who support divided government also support doing nothing ? If they do, that's fine, but I have the sinking feeling that they expect a two-party Congress to produce bipartisan legislation. Republicans, who will come into office after two years of steady obstruction, will have no reason to change their tune and start working with the Democrats. [On parle beaucoup des vertus de la cohabitation – ce dont je doute C’est sûr qu’il y a pas mal de gens qui soutiennent le GOP parce qu’ils pensent que c’est mieux quand les deux partis se partagent le pouvoir. Malheureusement, si le but de ces gens est de modérer le programme démocrate en instillant un peu d’esprit bipartisan, ça ne marchera pas. Tout ça va juste aboutir à une situation où tout sera bloqué… Je me demande si ces électeurs qui soutiennent la cohabitation soutiennent aussi l’idée de ne rien faire ? Si oui, OK, mais j’ai le sentiment hélas qu’ils espèrent qu’un Congrès bipartisan produira des lois bipartisanes. Mais les Républicains qui vont arriver au pouvoir après deux ans d’obstructionnisme n’auront aucune raison de changer leur attitude et de se mettre à travailler avec les Démocrates].”

Sur The New Republic, Jonathan Chait essaye lui aussi de tirer les leçons du passé. Il prédit l’échec cuisant de la prochaine majorité républicaine en insistant sur le trou béant entre la rhétorique de campagne traditionnelle des Républicains et la réalité de leur pratique du pouvoir, comme après 1994 ou même pendant les années Bush : "Republican domestic policymaking is an endless loop of trying to get around the fact that Americans do not want to cut actual government spending programs. They may disapprove of spending in the abstract, but this disapproval is based entirely on a lack of understanding of what the government spends money on. This is true even of Republican voters. This is why Republicans confine all their cuts to the small corner of the budget known. .. You almost never see conservatives acknowledge that this reality is the basis of their political predicament. Thus are stuck in the endless loop of failure and recrimination. The loop begins with Republicans gaining power on the basis of promising to cut unspecified programs, or perhaps programs accounting for a tiny proportion of the federal budget. That is the stage of the cycle we are currently in. Then Republicans obtain power and have to confront the fact that most spending programs are popular, and so they must choose between destroying their own popularity by taking on programs like Medicare, or failing to materially cut spending. So they settle on tax cuts instead of spending cuts. Then eventually their supporters conclude that they have been betrayed by their leaders, and cast about for new leaders with the willpower to really cut spending this time. As I've been saying over and over, there is a way around this. Republicans can make a bipartisan deal and obtain Democratic cover for cuts in popular spending programs. But the price of this deal is to impose shared sacrifice on the rich and violate the fundamental republican taboo against ever allowing revenue increases. Since the party cannot violate that taboo, it's back to the cycle of failure, recrimination, and self-delusion. Right now, conservatives are in the hopeful self-delusion phase. Look, these new leaders have learned their lesson ! They sound serious ! [Le programme des Républicains est une boucle sans fin dans laquelle ils essaient de se dépatouiller du fait que les Américains n’aiment pas en réalité couper dans le budget du gouvernement fédéral. Sur un plan abstrait, les Américains condamnent les dépenses, mais ce sentiment dérive entièrement d’un manque de connaissance sur la façon dont le gouvernement dépense son argent. Cela concerne même les électeurs républicains. C’est pourquoi les Républicains limitent toutes leurs promesses de baisse des dépenses aux coins du budget… Mais on ne voit jamais les conservateurs reconnaître que ces propositions minimales sont basées sur leur difficile situation politique. Ils sont coincés dans une boucle sans fin d’échec et de récriminations. La boucle commence quand les Républicains arrivent au pouvoir après avoir promis des baisses non-spécifiques ou minimales dans le budget fédéral. C’est l’étape du cycle dans laquelle nous nous trouvons en ce moment. Ensuite, les Républicains au pouvoir doivent affronter le fait que les gens aiment la plupart des grands programmes fédéraux. Ils doivent alors choisir entre d’un côté détruire leur propre popularité en s’attaquant à des programmes comme le Medicare et de l’autre renoncer à baisser les dépenses de manière significative. Alors, ils se rabattent sur des baisses d’impôts plutôt que sur des baisses de dépenses. Au bout d’un moment, leur base conclut que les leaders sont des traîtres et donc elle se met à chercher des nouveaux leaders qui auront le courage de couper dans les dépenses cette foi. Et comme je ne cesse de le répéter, on peut éviter cela. Les Républicains peuvent proposer un deal bipartisan et obtenir l’accord des Démocrates pour baisser le budget de certains programmes populaires. Mais le prix à payer pour de tels accords serait d’imposer des sacrifices aux plus riches et ainsi violer le tabou républicain fondamental contre l’augmentation des ressources gouvernementales. Puisque le parti ne peut pas briser ce tabou, il retombe dans la boucle échec-récrimination-aveuglement. En ce moment, les conservateurs sont en plein dans cette phase où ils se mentent à eux-mêmes : "Regardez, ces nouveaux leaders ont appris leurs leçons cette fois ! Ils sont sérieux !" ]."

 

Les doutes à droite aussi

Il ne faut pas voir dans ses prédictions à la fois sérieuses et moqueuses de simples attaques partisanes de la part de la blogosphère libérale. De nombreux blogueurs conservateurs – en particulier ceux issus de l’équipe ayant travaillé autour de Bush entre 2000 et 2008 – se montrent eux aussi très sceptiques quant à la crédibilité idéologique et politique de leur propre camp.

Sur The Fiscal Times, le conservateur Bruce Bartlett (un ancien conseiller de George W. Bush) est convaincu que la situation du pays est insoluble, et ce à cause même des politiques suivies par les républicains pendant les années Bush : "Another important difference between 1994 and today is that presidents George H.W. Bush and Bill Clinton and Democrats in Congress had already done the heavy lifting of getting the federal budget onto a sustainable path. In the 1990 and 1993 budget deals — both enacted against the strenuous opposition of congressional Republicans — taxes were raised and strong deficit controls put in place that led naturally to surpluses. It should be remembered also that Republicans had the very good fortune to take power right on the brink of the 1990s technology boom, which raised the real gross domestic product which sent  tax revenues cascading into the Treasury. But today the situation is quite different. The economy is in the tank and the budget is clearly on an unsustainable path, in large part due to actions taken by Republicans when they were in power. They completely dismantled the deficit controls put in place by the elder Bush and Clinton so that they could cut taxes willy-nilly. [Une différence de taille entre 1994 et aujourd’hui c’est que les présidents Bush père et Bill Clinton, avec l’aide des Démocrates du Congrès, avaient déjà mis en place toute la législation très compliquée pour mettre le budget fédéral sur la bonne voie. Dans le cadre des deals budgétaires de 1990 et 1993 – votés malgré l’opposition farouche des Républicains – on a augmenté les impôts et mis en place des mécanismes de contrôle contre les déficits. Cela a naturellement amené à des surplus. En plus, on était alors à la veille du boom technologique des années 90, qui a augmenté le PNB et a fait exploser les recettes fiscales. Mais la situation aujourd’hui est complètement différente. L’économie est en crise et le budget va à la faillite, en grande partie à cause des mesures prises par les Républicains quand ils étaient au pouvoir. Ils ont complètement démantelé les mécanismes anti-déficit de Bush 1 et de Clinton afin d’avoir les mains libres pour baisser les impôts à leur guise].”

David Frum, le principal speechwriter de Bush à la Maison Blanche, est lui consterné sur son blog par les propos tenus par les leaders républicains comme John Boehner (le futur Speaker de la Chambre en cas de victoire républicaine). Il y voit de la démagogie électoraliste, loin des vrais problèmes et enjeux de la politique américaine contemporaine : "On the Sean Hannity radio program this afternoon, Speaker-presumptive John Boehner was interestingly cautious about promising actually to do anything in the new Congress. But there was one thing Boehner did specifically pledge : Republicans would call a vote on restoring President Obama’s cuts to Medicare. It’s a clever move! How can Democrats vote no ? At the same time, it’s also a warning of what is to come. You don’t call a vote like that if you are seriously planning to balance the budget. This is what gridlock looks like : tactical maneuvers, point scoring – and a continuing intensification of all the problems [Lors d’une interview à la radio, le futur Speaker Boehner s’est montré très prudent quand il a fallu promettre de parvenir à réussir quoi que ce soit lors du prochain Congrès. Mais il y a une chose par contre que Boehner a explicitement promis de faire : les Républicains vont organiser un vote pour annuler les coupes qu’Obama a fait voter dans le budget du Medicare. C’est une tactique brillante ! Comment les Démocrates pourraient-ils voter contre ? En même temps, cela doit aussi servir comme un avertissement sur ce qui va se passer. On n’organise pas un tel vote si on veut sérieusement rétablir l’équilibre budgétaire. Tout ça annonce un blocage : des manœuvres tactiques afin de marquer des points contre l’adversaire… et pendant ce temps les problèmes vont en s’intensifiant].” Un tel consensus gauche-droite est rare dans la blogosphère américaine. Quand il concerne un sujet aussi capital que la gestion – ou plutôt la non-gestion- du pays en pleine crise pendant les 2 prochaines années, on ne peut que conclure avec tristesse et pessimisme que l’Amérique est bien mal partie…