A l'heure du bilan unanimement positif de la FIAC, l'art contemporain ne prolifère pas que dans les galeries... Il envahit aussi les romans de la rentrée. Les écrivains ne se sont jamais autant emparés du thème, mais pour faire entendre une voix autrement plus critique. Les maîtres de la fiction posent en cœur la même question : L’art contemporain est-il le royaume de l’illusion ?

Pauline Klein ou Marie Nimier, Don de Lillo et bien sûr notre star internationale Michel Houellebecq, tous dépècent chaque os de ce système international, mondain et financier. Ils transforment en romans au vitriol la matière d’essais de sociologie, et dévoilent les arcanes du marché de l'art pour nous, pauvres lecteurs, tristes intrus. On entre par la fiction dans les coulisses de ce théâtre, puisque décidément le Theatrum mundi, ce vieux thème baroque de la vanité, ne passe pas de mode. Dans les romans de cette rentrée, l’art contemporain est ce théâtre de dupe qui vaut bien celui de Wall Street. C’est dire s’il est déprécié et considéré comme immoral. Et la célébrité de pacotille, d’esbroufe, est la première qualité de ses acteurs.

"Tu connais Mylène ? Attends c’est extraordinaire… Elle nous a fait une installation pour la galerie, là, phénoménale. Mais si, je suis sûre que tu vois. C’est de la récup’, elle travaille avec des vieux jouets, c’est un univers très pop, Mylène…
Ah oui, très ludique c’est ça ?
Oui, très pop, très récup’, hyper vivant."

Dialogue croqué au vernissage photo d’une galerie parisienne par Pauline Klein, dont le premier et court roman Alice Kahn est publié par Allia. L’héroïne accroche une petite photo d’elle dans une galerie d’art. Elle repart avec sa propre photo sous son bras, mais après l’avoir achetée pour la modique somme de… 2000 euros. Sorte de Cindy Sherman de la fiction, Pauline Klein brouille les frontières entre l’authentique et l’imposture dans l’art. Mais elle sourit de sa malice. Son ironie est moins acerbe, plus ambiguë aussi que celle du génial réactionnaire Michel Houellebecq, dont la critique des impostures de l’art, elle, est pour le coup sans équivoques. " Damien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l'art ", c’est le titre du "chef d'œuvre" que ne parvient pas à terminer le héros de La Carte et le territoire publié chez Flammarion. Jed Martin est un peintre figuratif dont on assiste à l’ascension dans le milieu de l’art ; il doit sa réussite à l’hypocrisie, la superficialité, et aux papiers dithyrambiques et boursouflés des critiques d’art. Comme Pauline Klein, Houllebecq élève les faux-semblants au rang d’œuvres d’art. Il souligne la frontière perméable entre artiste et sponsor, se moque de la frénésie des attachées de presse et dénonce l’inflation arbitraire de la cote d’un artiste. Bref, il croque une mutation de l’artiste en produit culturel de masse à laquelle Houellebecq lui-même n’échappe peut être pas, lui qui se met en scène dans ce théâtre du monde.

Duplicité de l’art, encore et toujours dans deux autres romans de la rentrée, chez l’écrivain américain Don De Lillo et la romancière Marie Nimier. Mais une dualité pas totalement vaine chez Don de Lillo : Point Oméga publié chez Actes Sud s’ouvre et se ferme sur une longue ekphrasis, cette figure de style selon laquelle un texte littéraire décrit avec précision une œuvre d’art visuelle. Et c’est une œuvre vidéo de Douglas Gordon que Don De Lillo décrit dans son dernier roman, une version allongée et hypnotique du film Psychose d’Hitchcock… Sauf que l’installation au Moma de New York est selon lui meilleure que le film original, mais elle vide le réel, le langage et le temps de leur sens.

Marie Nimier, elle, poursuit l’interrogation : Comment les images travestissent la réalité ? Ses développements sur la photo, l’exhibition, font de l’art un leurre dans Photo-photo publié chez Gallimard. Karl Lagerfeld qui la photographie est réduit à une image de marque. Et la réflexion sur les identités perdues ou interchangeables d’Edouard Levé, écrivain et photographe suicidé en 2007 hante Marie Nimier du début à la fin de son livre… Quand la mode rencontre la création artistique, on ne quitte plus le royaume de l’illusion et du paraître.

Les romanciers de cette rentrée dissèquent donc un système qui fait fantasmer, une scène artistique à la fois secrète comme vos codes de carte bleue et publique comme la célébrité, ce succès qui semble toujours usurpé par les artistes. Le thème de l’art contemporain transforme les romanciers en moralistes. Car dans le petit théâtre en trompe l’œil de la fiction romanesque, l’art d’aujourd’hui est une toile de fond idéale pour capter la société de notre temps