Didier Fassin est venu présenter à la Cité des Livres le lundi 18 octobre son dernier ouvrage, La raison humanitaire, une histoire morale du temps présent (Hautes Etudes/ Seuil Gallimard) L’anthropologue a publié le fruit de dix ans de recherches et d’enquête autour de l’humanitaire. Samuel Coavoux   a présenté le livre en élargissant le terme de raison humanitaire à celui de "gouvernement humanitaire", gouvernement au sens large puisqu’il peut aussi bien s’agir des instances humanitaires que des organisations non gouvernementales Il ne s’agit pas seulement du geste humanitaire mais des structures et des motivations qui le déclenchent. Cette raison humanitaire a une origine très ancienne mais une mise en pratique plutôt récente.

L’auteur a aussi travaillé autour du second sens de la raison humanitaire, celui qu’on pourrait traduire par les termes de compassion ou d’humanité. L’auteur a ainsi balayé dans son travail des problématiques de philosophie politique, de sociologie et d’éthique. Sa démarche a été celle d’un ethnographe  mais aussi d’un analyste qui s’est interrogé sur les nouvelles représentations de la raison humanitaire dans les sociétés. Le livre clôture une longue immersion dans tous les milieux qui peuvent faire appel à la raison humanitaire : aussi bien celui des chômeurs, des victimes de guerres que de malades du SIDA, par exemple. Didier Fassin a ensuite pris la parole pour discuter de trois points essentiels de son livre : la définition d’un "gouvernement humanitaire", la critique qu’il a voulu en faire ainsi que les résultats de ses enquêtes de terrain. Pourquoi cette notion de gouvernement humanitaire ? Parce qu’elle englobe dans une dimension plus large le concept de structure ou d’organisation humaine. L’auteur s’est attaché dans son enquête à montrer toutes les formes que la « raison humanitaire » peut prendre : le témoignage humanitaire, le don, l’entrée des sentiments moraux en politique, la solidarité. Son objectif n’était pas de démontrer comment celle-ci peut être réutilisée ou instrumentalisée dans un usage cynique par exemple. Il  s’est plutôt attaché aux causes du succès de cette raison humanitaire, qui fait en fin de compte consensus dans la sphère politique. "Quand on parle d’inégalités on oppose plus que quand on emploie le terme de traumatisme qui a un effet beaucoup plus fédérateur ". C’est en cela que la raison humanitaire a un pouvoir car elle fait appel à l’affect de chacun. D’où l’intérêt de sa critique et de la mise en évidence de ses limites : qu’en est-il de la raison humanitaire lorsqu’elle sert de justification pour des guerres, quand elle  vient se substituer à la raison d’Etat ?

A la question que gagne-t-on ou que perd-on dans l’usage de la raison humanitaire ? La réponse reste complexe. " La proximité, l’empathie et donc le consensus sont un gain mais l’asymétrie entre victimes et donateurs en est aussi une conséquence.  "Le registre de la compassion finit par se substituer à la notion de droit, et les gens perdent leur parole, leur voix", a conclu Didier Fassin. Ils sont obligés de se référer à un autre langage : celui du traumatisme et de l’émotion pour défendre ce qui est du ressort de leurs droits et de la justice. Face aux questions des participants, le débat s’est ensuite orienté sur la question de la réinsertion des bénéficiaires de la raison humanitaire. Dans quelle mesure celle-ci peut-elle y faire obstacle ?  Où se trouve par exemple la limite entre assistanat et réinsertion dans l’usage de la raison humanitaire ? Si celle-ci reste indéniablement selon Didier Fassin un acquis social et moral des sociétés actuelles, sa mise en pratique continue à susciter débats et controverses