Ed Miliband, 40 ans, a été élu à la tête du parti travailliste britannique le 26 septembre dernier en battant d'une courte tête, avec 50.654% des voix, son frère aîné David Miliband alors favori du scrutin. Son élection a été placée sous le signe du changement : changement de génération, changement de ligne politique, en rupture aux années du New Labour de Blair et Brown, avec à la clef un exercice d'inventaire.

 

 

Ed Miliband, 40 ans, a été élu à la tête du parti travailliste britannique le 26 septembre dernier en battant d'une courte tête, avec 50.654% des voix, son frère aîné David Miliband alors favori du scrutin. Son élection a été placée sous le signe du changement : changement de génération, changement de ligne politique, en rupture aux années du New Labour de Blair et Brown, avec à la clef un exercice d'inventaire.

 

Ed Miliband, de par son parcours, son cercle d'appartenance et son discours politique, outre son irréprochable intégrité qui l'a tenue à l'écart des scandales liées aux dépenses des parlementaires, est considéré comme appartenant à l'aile gauche du Labour, proche des syndicats et opposée aux blairistes emmenés par son frère David Miliband. Tony Blair disait d'ailleurs qu'une victoire d'Ed Miliband serait « catastrophique ». Sa victoire est violemment critiquée par les Tories comme une gauchisation archaïque du Labour. Ses contempteurs du Sun le surnomme « Red Ed ».

 

 I. Dans l'ombre de Brown

Ed Miliband est issu d'une famille d'intellectuels marxistes. Il s'est engagé au Labour à l'âge de 17 ans tout en faisant de brillantes études (Oxford, LSE). Pendant sa jeunesse, il est notamment critique de films sur LBC Radio et membre d'un membre d'un groupe de musique amateur formé avec deux amis entre 1992 et 1996, nommé « Squashed Psyche ». Son parcours politique commence comme stagiaire auprès de Tony Benn, ancien secrétaire d'Etat à l'industrie (1974-1975), puis à l'énergie (1975-1979) dans le cabinet Callaghan. Ce dernier fut considéré comme l'une des principales figures de l’aile gauche du Labour dans les années 1970 et 1980, et connu comme l’une des rares personnalités politiques à s’être radicalisée au gouvernement plutôt que dans l’opposition, notamment par réaction avec le fonctionnement et l’action de la Communauté européenne.

En 1993, Ed Miliband devient rédacteur de discours pour Harriet Harman, Shadow Chief Secretary to the Treasury, puis en 1994 pour Gordon Brown, Shadow Chancellor of the Exchequer, et devient son conseiller spécial lorsque celui-ci entre au gouvernement en 1997. Ed intègre ainsi le premier cercle des « brownites » en étant la plume attitrée de Brown. En 2004, après une année de césure à Harvard, il prend la présidence du comité des conseillers économiques du Trésor royal. En 2005, il est désigné comme candidat du Labour contre Michael Dugher, un conseiller spécial du secrétaire d'État à la Défense Geoff Hoon, pour la circonscription du Doncaster North, un fief travailliste de longue date. Recevant le soutien sur place de Gordon Brown pendant sa campagne, il gagne avec 55,5% des voix. En juin 2007, avec l'arrivée de Gordon Brown au 10 Downing Street, il est nommé Ministre du Cabinet Office et Chancellor of the Duchy of Lancaster (ministre sans portefeuille). Puis, d'octobre 2008 à mai 2010, il occupe le tout nouveau poste de Secrétaire d'Etat à l'énergie et au changement climatique. Il participe à ce titre au Sommet de Copenhague sur le changement climatique et se distingue avec des positions fortes : il fait part de son intention de légiférer pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80% d'ici à 2050, contre 60% précédemment annoncés ; et accuse la Chine d'avoir fait capoter le sommet. Le 6 mai 2010, il est réélu député avec 47% des voix. Le 15 mai 2010, il se lance dans la course au leadership du Labour.

II. Le besoin de changement et la critique de la perte du sens de la mission progressiste du Labour

Ed Miliband a construit sa campagne pour le leadership du Labour sur le thème du besoin de changement : tourner la page du New Labour pour écrire celle du Next Labour. Cela l'a amené à tenir un discours de radicalisation politique et de retour vers les valeurs et l'idéalisme du Labour, en décriant le glissement gestionnaire et technocrate des années de gouvernement. Il s'est positionné comme celui qui pourra tourner la page des années Blair et Brown, celui qui incarne la possibilité du changement générationnel mais aussi d'un renouvellement du discours politique et de la pratique politique. Il a appellé à saisir la chance d'un grand débat sur l'identité et les missions du Labour, comme en 1994 qui avait vu l'arrivée de Tony Blair à la tête du Labour et la suppression de la clause 4 relative à la collectivisation de l'économie. Ed Miliband a ainsi joué sur un appel à un retour à la politique comprise comme un engagement fondé sur des valeurs.

Le discours du besoin de changement s'appuie sur un inventaire sans concession des années Blair et la critique de la perte du sens de la mission progressiste du Labour. Ces années de gouvernement sont celles qui ont vu le New Labour devenir le parti des classes moyennes et supérieures, urbaines et éduquées, au détriment des classes populaires. Contre le discours technocrate de l'élite, Ed Miliband a défendu un discours de la vérité du terrain, comme sur le thème de l'immigration qu'il considère comme un problème de classe : les technocrates du Labour disent que l'immigration est une bonne chose, tandis que les pauvres souffrent des conséquences de l'immigration. Ce constat de la perte de confiance dans le Labour a été renforcé par la position du gouvernement travailliste sur l'Irak qu'Ed Miliband fustige à nouveau dans son discours d'intronisation, au grand damn de son frère, ex-ministre des Affaires étrangères.

Sur le fond, le discours programmatique d'Ed Miliband s'articule autour de quatre grandes thématiques :

- Les inégalités entre riches et pauvres (revenus, éducation, santé et pouvoir) (« I do believe this country is too inequal. And the gap between the riches and the poors doesn't harm the poors. It harms us all, and it is something that government must tackle.")

- La dignité du travail des faibles revenus (augmenter le salaire minimum) ;

- Un Etat plus démocratique (renforcement des libertés individuelles) ;

- Les valeurs post-matérielles (environnement, famille, qualité de la vie).

Ed Miliband a porté la critique du modèle économique du New Labour fondé sur une régulation minimale des marchés combinée avec une redistribution des revenus. Il s'agit pour lui de sortir de la pensée libérale unique des années 1990 et de repenser le marché et la globalisation, de sortir de l'alternative « soit tu t'y adaptes, soit tu meurs ». Il se prononce en faveur d'un contrôle bien plus prononcé des marchés (avec notamment l'idée de renationalisation partielle), d'une politique industrielle et d'une responsabilité des classes riches. La dignité du travail est mise au centre de toute sa politique : tout travail doit permettre de vivre décemment. Sa campagne s'est concentrée sur les petites gens, les bas revenus, ce dont la souffrance se doit d'être la première préoccupation du Labour, sa raison d'être. En substance, Ed Miliband a développé un discours de reprise du politique sur l'économique, sans tabou ni angle mort : la re-fondation de l'Etat-providence, l'égalité des chances en matière d'éducation, la critique de l'Etat trop managérial, la critique des atteintes aux libertés individuelles, notamment depuis le 11 septembre 2001, les valeurs post-matérielles, "ce qui compte réellement  dans la vie, au-delà de l'économie comme l'environnement, la famille, le voisinage, la qualité de la vie, le temps et la fraternité, dans une veine similaire à celle de la politique du care, la question du déficit, mais de manière juste socialement. Sur ce dernier point, il critique la politique actuelle du gouvernement conservateur qui mets l'accent davantage sur les coupes budgétaires que sur le rehaussement des impositions.

On pourra regretter l'absence de véritable discours sur l'Europe et l'international. Mais la logique de la campagne pour le leadership du parti imposait un cadrage national des débats essentiellement centrés sur les thématiques socio-économiques britanniques et celles relatives au renouveau du parti.

III. Passer par la gauche tout en maintenant son centre

Ed Miliband a donc réussi à incarner la figure du changement, tant générationnel qu'idéologique. Il rompt avec la politique de Blair pensée pour les classes moyennes, et construit un discours tournée vers les classes populaires autour de la notion de la dignité du travail et de la lutte contre les inégalités. Au-delà, il réaffirme le rôle et le sens de la politique comme facteur premier de changement et de transformation sociale.

Toutefois, contrairement à la vision simpliste faisant de lui un gauchiste, Ed Miliband ne s'enferme pas dans un positionnement à la gauche du Labour. Au contraire, et c'est là toute la force de son positionnement politique, il opère un élargissement du champ politique du Labour en prônant une pratique responsable de la politique et appelle expressément les libéraux-démocrates à s'allier avec le Labour (et non le Labour de s'ouvrir au Lib-dems). Cela passe par le thème d'une société plus juste et soucieuse des problématiques post-matérialistes (libertés individuelles, environnement et qualité de vie). Cela se résume par l'idée du progressisme : une nouvelle alternative progressiste englobant le Labour et les Lib-dems, contre les conservateurs.

Ed Miliband rassemble ainsi potentiellement dans son jeu les classes populaires, les classes moyennes voire le centre libéral et humaniste. Il ne s'agit pas d'un glissement des classes moyennes vers les classes populaires, mais d'une ouverture de la portée du discours du Labour aux classes populaires tout en maintenant l'acquis des classes moyennes

 

 

* A lire sur Nonfiction.fr :

- Florence Faucher-King et Patrick Le Galès, Les gouvernements New Labour. Le bilan de Tony Blair à Gordon Brown (Presses de Sciences Po, 2010), par Eszter Patay.

- Collectif, Royaume-Uni : après les élections (IFRI, 2010), par Laurent Bouvet.

 

* A lire également :

- Zaki Laïdi, "Y a-t-il une vie après Tony Blair ?", Libération, 04.10.2010.

- Monique Saliou, "La "Troisième voie" britannique et le devoir d'inventaire", Fondation Jean Jaurès, 05.10.2010